L’histoire des troupes indigènes de l’armée française

De l’Afrique noire à l’Indochine en passant par Madagascar et le Maghreb, l’empire colonial français a levé des troupes indigènes qui ont valeureusement combattu sur tous les théâtres d’opérations ou la France a été engagée. Une longue histoire que nous rappellent Eric Deroo et le lieutenant-colonel Antoine Champeaux.

De tous temps, les conquêtes militaires se sont appuyées sur des forces recrutées localement. Les pertes humaines dues aux pathologies tropicales, la méconnaissance du pays conquis, l’absence de moyens et de volontaires européens ont conduit les grandes nations coloniales à créer des unités indigènes constituées de soldats de métiers, de conscrits ou de supplétifs. Au XIXe siècle, l’occupation de l’Afrique du Nord, puis de l’Afrique noire, de Madagascar de la péninsule indochinoise ou d’île du Pacifique par la France, entraîne la mise sur pied de nombreuses formations spécifiques : l’armée d’Afrique au Maghreb et l’armée coloniale dont les troupes sont recrutées partout ailleurs ou s’étend l’empire colonial.

C’est ainsi qu’en 1830, lors de la conquête d’Algérie, le maréchal de Bourmont recrute 500 hommes de la tribu des Zouaoua, qui fournissait régulièrement des contingents militaires auxiliaires au bey d’Alger, représentant du pouvoir ottoman. Cette première troupe d’infanterie est dénommée zouaves. Bientôt des cavaliers musulmans forment les premiers régiments de chasseurs d’Afrique. Peu à peu, les zouaves et les chasseurs d’Afrique intégrant dans leurs rangs des volontaires européens, les indigènes cessent de constituer l’essentiel du recrutement. En 1841, sont créés des escadrons de spahis (cavaliers et trois bataillons de tirailleurs, surnommés Turcos car certains ont servi dans les garnisons turques de la Régence. Ces formations participèrent à la conquête de l’Algérie. En 1854, Napoléon III les engage dans l’expédition de Crimée, avant que ne soit créés, l’année suivante, trois régiments de tirailleurs algériens qui vont participer à la campagne d’Italie en 1859. Chaque année, un bataillon de tirailleurs est détaché àDe l’Afrique noire à l’Indochine en passant par Madagascar et le Maghreb, l’empire colonial français a levé des troupes indigènes qui ont valeureusement combattu sur tous les théâtres d’opérations ou la France a été engagée. Paris pour servir dans la prestigieuse Garde Impériale et un escadron de spahis est affecté à l’escorte des souverains. Cette présence de l’armée d’Afrique en métropole durera plus de cent ans.

Que ce soit au Sénégal, en Cochinchine, au Mexique ou en Chine, l’armée d’Afrique est de toutes les campagnes du Second Empire. Elle prend part également à la guerre contre la Prusse en 1870, puis participe aux campagnes du Tonkin et de Madagascar. Sur le continent africain, l’occupation du Sahara mobilise tirailleurs et spahis, puis les unités spécialisées de méhariste mise sur pied par Laperrine. En 1882, la France impose un protectorat à la Tunisie et des unités tunisiennes sont créées. À partir de 1907, et jusqu’au milieu des années 1930, c’est au Maroc que tirailleurs et spahis combattent les résistants. Des unités de goumiers, de fantassins et de cavaliers marocains sont également recrutées. À la veille de la Grande Guerre, tirailleurs, spahis et goumiers indigènes côtoient les unités composées de métropolitains de l’armée d’Afrique, Légion étrangère, zouaves, chasseurs d’Afrique, infanterie légère d’Afrique et Sahariens, et celle s de l’armée coloniale, Guyanais, Réunionnais, Pondichériens, Calédoniens, Tahitiens, Africains, Malgaches, Comoriens, et Indochinois.

Dès l’implantation des premiers comptoirs commerciaux européens sur les côtes africaines au XVIe siècle, les marins recrutent des auxiliaires, notamment à Gorée et à Saint-Louis du Sénégal. C’est dans ce contexte que la marine française créée, en 1765, le corps des laptots (mousse). De multiples tentatives sont faites pour organiser une troupe noire et la Marine recrute même des contingents à destination des Antilles, de Madagascar, en 1827, ou de Cayenne, en 1831. Avant l’abolition de l’esclavage en 1848, on recourt au rachat des esclaves, libéré en échange d’un engagement comme soldat. L’expérience réussie de la création des spahis sénégalais en 1845, conduit le capitaine du génie Louis Faidherbe à constituer un bataillon, officialisé le 21 juillet 1857 par l’empereur Napoléon III sous le nom de tirailleurs sénégalais. Conquérant des zones de plus en plus vaste à partir des anciens comptoirs, les expéditions militaires se succèdent et les tirailleurs y occupent une place prépondérante. Le 1er régiment de tirailleurs sénégalais est constitué en 1884, suivi de nombreux autres, gabonais, haoussa, soudanais, congolais, tchadiens qui, par souci d’uniformité gardent l’appellation de sénégalais. En 1910, le lieutenant-colonel Mangin publie La Force noire et propose de mobiliser jusqu’à 120 000 hommes. Au Maroc combattent cinq bataillons de Sénégalais. Par ailleurs, sont mis sur pied, en 1885, quatre régiments de tirailleurs malgaches. Une compagnie de recrutement comorien stationnait. Dès 1869, à Nossy Bé. Servant au sein de divers formations, les Comoriens participent comme les Sénégalais aux opérations de Madagascar, puis sonDe l’Afrique noire à l’Indochine en passant par Madagascar et le Maghreb, l’empire colonial français a levé des troupes indigènes qui ont valeureusement combattu sur tous les théâtres d’opérations ou la France a été engagée.t intégrés aux bataillons de tirailleurs malgaches et, plus tard, au bataillon somali. À la veille de la Grande Guerre, les troupes noires africaines comptent trente-cinq bataillons, soit 30 000 hommes. À partir de 1856, des unités indigènes sont formées dans les colonies ou protectorats du Viêtnam, Cambodge et Laos. En 1879, est créé le 1er régiment de tirailleurs annamites, puis 1883 à 1886, quatre régiments de tirailleurs tonkinois, ainsi que des unités de chasseurs à cheval, de chasseurs cambodgiens et laotiens, de tirailleurs-frontières (chinois), qui inspirent au général Pennequin l’idée d’une force jaune.

L’Indochine compte à la veille de la Grande Guerre près de 15 000 militaires, 12 500 gardes indochinois et 24 000 réservistes. En 1913, le défilé du 14 juillet, qui se déroule à Longchamp, voit s’affirmer le rôle des troupes issue de l’Empire. Les unités issues de l’Empire. Les unités de tirailleurs annamites, Malgaches ou algériens reçoivent leur drapeau et l’emblème du 1er régiment de tirailleurs sénégalais est décoré de la Légion d’honneur des mains du président Poincaré.

La Grande Guerre

Dès le début des opérations au mois d’août et septembre 1914, dix bataillons de Sénégalais sont acheminés en France, soit 8000 combattants, engagés de la Picardie à Ypres et Dixmude en Belgique. Fin 1914, l’hécatombe est telle pour l’armée française près de 500 000 tués, blessés et prisonniers, que de nouvelles recrues sont réclamées à l’Afrique. Les recrutements forcés et l’économie de guerre imposée aux populations entraînent d’importantes révoltes dans plusieurs régions d’Afrique occidentale. Au total ce sont plus de de 130 000 Africains qui participent à la guerre en Europe et dans les Balkans au sein de 137 bataillons : 25 000 hommes sont tués et 36 000 blessés. Par ailleurs 34 000 combattants malgaches et comoriens servent au sein de 20 bataillons de tirailleurs malgaches et de 21 bataillons d’étape et dans l’artillerie lourde. 2 300 Malgaches meurent pour la France au cours du conflit. Quant au bataillon somali, rattaché au régiment d’infanterie coloniale du Maroc, 2000 tirailleurs viennent combattre en Europe : 517 sont morts et plus de 1000 blessés.

Les mille combattants du bataillon du Pacifique perdent plus de 200 hommes. Enfin, 43 000 combattants indochinois servent en Europe et sur le front d’Orient, dont 4 800 au sein de 4 bataillons combattants et 24 000 dans 15 bataillons d’étape. Sont également recrutés comme travailleurs indigènes 49 000 Indochinois, en France dont plus d’un millier trouveront la mort. En août 1914, 25 00 tirailleurs maghrébins, pour la plupart engagés, sont acheminés vers les frontières du nord-est. La  guerre totale oblige à recourir à la conscription, puis au recrutement forcé qui entraîne de nombreuses révoltes en Algérie. Au cours des quatre années de guerre, 175 000 Algériens, 62 000 Tunisiens, et près de 37 000 Marocains combattent sur les fronts de France et sur le front d’Orient. 140 000 Maghrébins participent à l’effort de guerre dans l’industrie ou l’agriculture. À la fin de la guerre, les unités de tirailleurs maghrébins figurent parmi les plus décorées de l’armée française. Leurs pertes s’élèvent à 25 000 tués pour les Algériens, 9 800 pour les Tunisiens et 12 000 pour les Marocains, sans oublier des dizaines de milliers de grands blessés et d’invalides.

Sous mandat de la Société des Nations, troupes coloniales et unités de l’armée d’Afrique mènent des opérations au Levant. 300 officiers et 9 000 hommes de troupe de l’armée d’Afrique y laissent la vie. Des unités de recrutement libanais, druze, alaouite ou tcherkesse, et celle de la coloniale y combattent également. Près de 150 000 hommes dont 18 régiment de tirailleurs nord-africains et 10 bataillons sénégalais sont engagés pour pacifier le Maroc jusqu’en 1934. En 1930, de grandes fêtes marquent le centenaire de l’Algérie. L’empire colonial semble à son apogée lors de l’Exposition coloniale de 1931. Plusieurs régiments de l’armée d’Afrique et des troupes coloniales sont alors en garnison dans nombre de ville en métropole.

La Seconde Guerre mondiale

En 1940, la mobilisation de l’armée en Afrique permet de disposer de sept divisions d’infanterie nord-africaines, une division marocaine, quatre divisions d’infanterie d’Afrique, trois brigades de spahis, soit 200 000 soldats maghrébins mobilisés, dont près de 80 000 sur le sol métropolitain, tandis que  huit divisions d’infanterie coloniale montent en ligne. Dès l’armistice, en Afrique du Nord, les généraux Weygand puis Juin préparent la reprise des combats en dissimulant troupes et matériels. 20 000 goumiers sont ainsi militarisés. Pendant ce temps, les tirailleurs africains du général Leclerc s’emparent de Koufra tandis que ceux des brigades françaises libres, avec les Légionnaires de la 13eDBLE et les tirailleurs nord-africains que rejoindront les tirailleurs du Pacifique, livrent bataille en Érythrée, subissent les combats fratricides au Levant, avant de s’illustrer à Bir Hakeim et à El Alamein. Le 8 novembre 1942, les Alliés débarquent en Afrique du Nord. En 1943, l’armée d’Afrique reprend en Tunisie le combat interrompu en 1940. Il coûte 17 000 tués et blessés et disparus. En septembre 1943, le 1er régiment de tirailleurs marocains et le 2e groupement de tabors marocains participent à la libération de la Corse. Le réarmement décidé à la conférence d’Anfa permet la constitution de trois divisions blindées et de cinq divisions d’infanterie, dont trois de l’armée d’Afrique et deux des troupes coloniales : La 2edivision d’infanterie algérienne (DIA), la 4e division d’infanterie marocaine de montagne (DMM), la 1edivision française libre (DFL) et la 9e division d’infanterie coloniale (DIC).

La fusion des forces française libre et de l’armée d’Afrique est réalisée au sein de la France combattante. La mobilisation générale permet de fournir 118 000 Européens et 160 000 musulmans rappelés qui s’ajoute aux 224 000 hommes déjà sous les armes. Placé sous les ordres du général Juin, le corps expéditionnaire français en Italie se compose, en 1943, des 2e DM et 3e DIA qui montent en ligne au nord de Cassino. Au printemps 1944, la 4e DMM et la 1re DFL les rejoignent. Elles donnent l’assaut au Garigliano et entrent à Rome le 6 juin. La 9e DIC libère l’île d’Elbe, le succès est chèrement payé : 15% des 200 000 hommes engagés sont tués. Les pertes atteignent 80% de l’effectif pour les compagnies d’infanterie. Les grandes unités retirées d’Italie et de la Corse ainsi que les 1re et 5e divisions blindées venus d’Afrique du Nord, forment l’armée B du général de Lattre qui compte 260 000 militaires, dont la moitié issus de l’Empire. Tandis que coloniaux, spahis marocains et artilleurs nord-africains de la 2e DB s’illustrent de la Normandie à Paris, les premières unités débarquent en Provence, le 15 août 1944, de Sainte-Maxime à Cavalaire. Le 12 septembre, les unités venues de Normandie et celles de Provence se rejoignent. Belfort est atteint le 20 novembre. Dès le début de février 1945, les Français entrent dans Colmar. À la mi-mars, la ligne Siegfried est percée et le Rhin franchit.

La victoire est acquise mais les pertes sont élevées : Plus de 13 000 tués dont les deux tiers de musulmans. Comme en 1918 et 1919, les unités indigènes participent aux cérémonies de la Libération en 1944, puis de la Victoire en 1945.

De la décolonisation à la mémoire combattante

De 1946 à 1954, plus de 120 000 tirailleurs, artilleurs, sapeurs ou cavaliers algériens, marocains et tunisiens, et plus de 60 000 tirailleurs africains ou malgaches combattent sur la terre indochinoise. 9 des 13 bataillons d’infanterie de la garnison de Diên Biên Phu sont composés de tirailleurs et de légionnaires. Le coût de cette guerre est particulièrement élevé : 23 000 morts dont 11 000 Français, 7500 légionnaires et 4500 Nord-Africains et Africains; 10 000 disparus, 165 000 prisonniers, sur les 6 000 Nord-Africains et Africains prisonniers, 1 300 sont non rendus. En 1954, plus de 66 000 Vietnamiens, Cambodgiens et Laotiens servent au sein des unités du corps expéditionnaire ainsi que 44 000 supplétifs. 45 000 sont tués et 57 000 blessés.

L’indépendance du Maroc, le 2 mars 1956, entraîne la dissolution des unités marocaines. Celles qui sont en garnison en France ou en Allemagne disparaissent entre 1955 et 1965. La Tunisie devient indépendante le 20 mars 1956. Le retrait des troupes françaises est terminé en 1958, tandis que les régiments de tirailleurs tunisiens perdent leur qualificatif régional et sont envoyés en Algérie. En 1954, débute la guerre d’Algérie qui s’achève en 1962 par son indépendance. En 1961, on compte en Algérie 26 000 Algériens engagés, 39 000 appelés et plus de 150 000 supplétifs locaux, tandis que 1 500 engagés et 21 400 appelés algériens cantonnent en Allemagne occupée. Huit régiments de tirailleurs africains, un groupe saharien, des unités d’artillerie et des services, soit plus de 15 000 hommes, servent également en Algérie.

Leurs dernières unités sont dissoutes en 1964. Tandis que les tirailleurs indigènes des troupes coloniales devenue troupes de marine en 1962, sont intégrés dans les armées nationales, créées en 1960 lors des indépendances, l’Armée d’Afrique est dissoute en 1962. Aujourd’hui, au sein de l’Armée française, seules quelques unités héritières des troupes indigènes maintiennent les traditions et entretiennent l’appellation armée d’Afrique : Légion étrangère, 1er régiment de spahis et quelques autres unités du train ou de l’artillerie.

Ces unités comme celles des troupes de marine, sont toujours attachées à perpétuer cette mémoire combattante qui devrait à nouveau être valorisée dans le cadre du 100e anniversaire de la Grande Guerre et du 70e anniversaire de la Libération de la France.

Chroniques de mémoire

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