Comment le Maghreb est devenu intégralement de rite malékite (entre autres)… Durant le troisième siècle de l’Hégire, Kairouan, alors capitale intellectuelle du Maghreb, bouillonne de débats théologiques : deux madhhabs y sont alors largement représentés, l’école irakienne d’Abû Hanifa & l’école médinoise de l’imâm Mâlik, déjà majoritaire & plus populaire.
Comme malheureusement trop souvent durant les premiers siècles de l’islâm, les partisans des deux écoles se détestent & ne manquent pas une occasion de s’affronter ou de s’insulter : ainsi, les malékites n’hésitent pas à maudire les hanafites durant leurs khutbas & refusent de prier derrière eux, tandis que les hanafites paient régulièrement des gens peu fréquentables pour aller insulter durant leurs cours des savants malékites.
Les choses vont encore s’envenimer lorsque la dynastie chiite extrémiste des Fatimides prend le contrôle de tout le Maghreb & entre dans Kairouan en 909 : les hanafites y voient l’occasion historique d’éliminer leurs rivaux en collaborant avec les nouveaux maîtres du pays, jouissant en retour de leur sympathie non dissimulée. Ainsi, deux savants malékites, ibn al-Bardhûn & ibn Hudayl, sont dénoncés par un juriste hanafite pour avoir affirmé qu’Abû Bakr, ‘Umar & ‘Uthman étaient « égaux en dignité » à ‘Alî, puis flagellés & décapités par le gouverneur de Kairouan.
Lorsque les Fatimides annoncent que toutes les décisions de justice devront désormais être rendues selon leur propre jurisprudence, de nombreux hanafites acceptent de servir le nouveau pouvoir, de leur plein gré, par faiblesse ou par intérêt. Alors que les persécutions s’abattent sur tous ceux qui font profession officielle de sunnisme & que les muezzins qui refusent de proclamer l’adhan selon la formule chiite se voient couper la langue, les hanafites achèvent ainsi de se décrédibiliser aux yeux du peuple du Maghreb, qui hait ce pouvoir hérétique représenté par un homme venu d’Orient & des prédicateurs outranciers qui n’hésitent pas à insulter publiquement les Compagnons, les Mères des Croyants voire le Prophète ﷺ lui-même.
Ainsi, c’est tout naturellement que, les forces fatimides étant parties s’installer en Égypte, dans leur nouvelle capitale du Caire, la restauration de l’orthodoxie sunnite par la dynastie des Zirides, de 972 à 1048, se fera autour du madhhab malékite & de ses savants, devenus au fil des décennies le symbole vivant de la résistance, et ancrant davantage encore l’école de l’imâm Mâlik dans le cœur des Maghrébins, particulièrement en Ifriqiya (Tunisie actuelle).
[Source : « La Berbérie musulmane & l’Orient au Moyen-Âge », Georges Marçais.]
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