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Les documents de Wikileaks jusqu’ici rendus publics sur le Maroc ont porté, sans grande surprise, sur les relations mouvementées du royaume avec ses chaperons américain et français, sur ses frictions avec l’Algérie ou l’Espagne autour du dossier du Sahara Occidental, sur l’alignement inconditionnel de Rabat avec Washington au Moyen-Orient, lorsqu’il s’agit d’Israël ou de l’Iran etc…
Sur ces questions, toutes ces notes diplomatiques marquées par le sceau du secret ne recèlent pas vraiment de scoops. Bien souvent ces documents ne font que refléter ce que les diplomates américains lisent dans la presse locale ou apprennent auprès de contacts plus ou moins initiés. Si leur publication est embarrassante, c’est d’abord parce qu’elle constitue une brèche dans la confidentialité normalement assurée à ce genre de correspondance.
Sur les 2106 notes évoquant le Maroc, toutes n’ont pas le même intérêt. Les rumeurs se mêlent aux informations sérieuses et aux analyses politiques. Il est évidemment croustillant d’apprendre que certaines têtes couronnées d’Europe et du Golfe se plaisent à chasser ensemble le faucon en terre chérifienne, ou encore que Nicolas Sarkozy a fait jaser par son geste outrancier lorsqu’il avait pointé le plat de sa chaussure vers Mohammed VI lors de sa première visite officielle en 2007, que le roi du Maroc a limogé un responsable sécuritaire parce qu’il a osé interpeller aux frontières le fils du président sénégalais… Là, la véritable nouveauté, ce n’est pas l’information, mais le vocabulaire. On y entend des diplomates habituellement impassibles faire des réflexions peu flatteuses sur leurs interlocuteurs.
Mais le plus intéressant est le portrait que brosse la diplomatie américaine de la classe dirigeante marocaine. Il nous renseigne sans les circonvolutions d’usage sur la manière dont l’Amérique juge son petit vassal maghrébin. Le constat est pour le moins pathétique : aux yeux de Washington, le Maroc demeure une monarchie bananière, régentée par une clique proto mafieuse. La realpolitik reprend cependant le dessus lorsqu’il s’agit d’épauler le régime de Mohammed VI, sur la question du Sahara Occidental notamment : un rapport de l’ex ambassadeur Thomas Riley daté de 2009 soutient sans détour le plan d’autonomie préconisé par Rabat.
Les commentaires, transmis par les diplomates en poste à Rabat et Casablanca, jettent une lumière crue sur la gouvernance du pays, ou du moins ce qu’ils en pensent réellement. Leur constat peu amène est souligné par des avis jugés précieux comme ce mot cinglant de Meir Dogan, ancien patron du Mossad qui sous-entendait que le roi Mohammed VI apparait comme quelqu’un qui a peu d’intérêt pour la conduite des affaires sensibles de son pays. Le câble qui révèle que le roi se sent personnellement outragé en tant que Commandeur des Croyants par la présence de l’ambassade iranienne à Rabat vient, dans la même veine, conforter l’Amérique sur le ralliement ventre à terre d’un pays arabe face à l’arrogance de Téhéran.
Mais pire encore, les câbles américains attestent de l’existence d’un véritable écosystème de corruption qui mène jusqu’aux marches du Palais. Dans une note secrète datée de 2009, le conseiller commercial des Etats-Unis, rattaché au Consulat américain à Casablanca, avance par exemple, que les intérêts commerciaux de Mohammed VI sont perceptibles dans chaque grand projet immobilier au Maroc. Le diplomate décrit par le menu détail des cas concrets où les conseillers du roi demandent des commissions pour autoriser des investissements étrangers. La note qui évoque des « conseillers gloutons » cite nommément Fouad Ali El Himma et Mohamed Mounir Majidi, les deux hommes liges du roi.
Sur les questions de défense et de stabilité du régime, le Département d’État pense que Mohammed VI considère toujours que les militaires constituent la principale menace pour son trône. Une conclusion tirée d’un rapport confidentiel daté de 2008 dans lequel Thomas Riley décrit une armée marocaine inefficace, politiquement marginalisée, gangrenée par la corruption et menacée par l’islamisme radical. Il y cite notamment le Général Bennani, commandant de la zone sud, dépeint comme un proconsul administrant des baronnies locales.
Si le secret est un outil indispensable à la sécurité nationale et à la conduite d’une diplomatie efficace, il est également une prérogative qui peut être employée pour dissimuler les méfaits des Etats. A ce titre, les fuites de l’organisation de Julian Assange ont valeur d’électrochocs. Le concept même de WikiLeaks restaure la méfiance envers les institutions qui contrôlent des pays comme le Maroc où la liberté d’expression est si malmenée et où toute information est strictement contrôlée.
Ali Amar
Source : Voxmaroc, 6/12/2010
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