La course frénétique à l’armement qui oppose Rabat et Alger sur fond de conflit saharien fait exploser le budget défense chérifien.
D’après Forcast International, le Maroc est l’un des pays africains qui consacrent le plus d’effort budgétaire à l’armement. Depuis son accession au trône en 1999, le roi Mohammed VI a ouvert les robinets pour son armée: son budget a été doublé pour les dernières Lois de Finances, celles de 2008, 2009, 2010 et 2011. Il y a encore cinq ans, ce budget ne dépassait guère les 12 milliards de dirhams… Wikileaks révélait à ce propos un rapport confidentiel daté de 2008 de Thomas Riley, l’ex ambassadeur américain à Rabat qui s’inquiétait de l’état de vétusté de l’armée chérifienne.
Aujourd’hui, le royaume consacre chaque année une enveloppe de 34,5 milliards de dirhams à son armée, soit environ 15% du budget de l’Etat. Pourtant, sous la coupole de l’hémicycle, les élus de la Nation procèdent à un vote rapide et à l’unanimité pour ce poste budgétaire dont les contours effectifs relèvent du secret défense. Pour le dernier budget, cette enveloppe avoisine les 32 milliards de dirhams, soit 4,24 milliards de dollars à peu près dont 1,36 milliards pour la seule acquisition et la réparation. Comme en 2010, le seul fonds d’acquisition et de maintenance de l’arsenal militaire chérifien est crédité cette année de la coquette somme de 10, 2 milliards de dirhams, soit à près deux fois le budget de fonctionnement de la santé publique et plus de 8 fois celui de ses investissements. Si l’on rapporte le poste global dédié aux armées (26 milliards de dirhams de ponction supplémentaire au budget de l’Etat) à la santé, le gap se transforme en véritable rift.
Depuis des années, les besoins militaires du Maroc absorbent 5% de son PIB, ce qui lui vaut de figurer au top 20 des pays les plus dépensiers pour leurs armées. Aussi, si l’on tient compte de la croissance du PIB, le Maroc dépense 100 millions de dirhams par jour pour sa défense. Depuis 2004, les dépenses militaires ne cessent d’augmenter. La course à l’armement imposée par des raisons d’équilibre géostratégique avec Alger pousse à toujours plus de décaissements imposants. De grosses commandes d’armement ont été passées ces deux dernières années: modernisation de la chasse aérienne avec l’acquisition de deux escadrilles de F-16 pour plus 24 milliards de dirhams, l’achat d’une frégate française FREMM pour 5 milliards de dirhams, en plus de trois corvettes néerlandaises, la construction d’une nouvelle base navale pour 1,4 milliard de dirhams, et un chapelet de contrats pour l’armée de terre.
Sans le conflit du Sahara (Sahara Occidental, ancienne colonie espagnole annexée par le Maroc en 1975, ndds) et le nécessaire équilibre régional avec l’Algérie, mais aussi avec certains pays d’Europe du Sud, avec qui Rabat entretient des liens de coopération militaire au sein de l’Alliance Atlantique, le Maroc aurait été dans la moyenne du classement mondial des dépenses en armement. Il dépenserait annuellement pour ses forces armées moins de 2% de son PIB et économiserait ainsi près de 20 milliards de dirhams pour son soutien aux secteurs sociaux.
Si le Maroc s’arme, l’Algérie aussi. Les données du dernier rapport 2009 de l’Institut international de recherche pour la paix (SIPRI) basé à Stockholm mettent en évidence cette course effrénée à l’armement à laquelle se livrent les deux pays voisins. Cet institut d’études stratégiques, qui fournit les statistiques annuelles sur les dépenses militaires et le marché de l’armement dans le monde, classe l’Algérie au troisième rang des pays arabes en terme d’effort d’armement, juste derrière le Qatar et l’Arabe Saoudite. Elle consacre en moyenne 3% de son PIB par an aux dépenses militaires, ce qui représente environ 4,5 milliards de dollars.
Dans le même classement, le Maroc se trouve à la cinquième place, avec plus de 1,7 milliard de dollars de dépenses militaires en moyenne depuis cinq ans avec un rapport similaire de ponction sur le PIB avec un pic à 4,6% du PIB en 2003, plaçant le royaume en pôle position des pays à économie comparable qui consacre le plus de richesses à sa défense. Selon des estimations publiées par la CIA, sur son site internet (CIA facts book), c’est le Maroc qui consacre en termes relatifs le plus d’argent à l’armement (5% de son PIB en 2003). Il se place en 17ème position dans le classement mondial. Il est suivi par la Libye (3,9% du PIB en 2005), l’Algérie (3,3% du PIB en 2006) et la Tunisie (1,4% du PIB en 2006).
Les dépenses militaires algériennes et marocaines connaissent ainsi chaque année une forte progression, le conflit sahraoui est à l’origine de cette rivalité, le Maroc, considérant officiellement l’Algérie comme partie prenante de ce contentieux territorial vieux de trois décennies. Le budget consacré par les deux pays à la défense illustre, on ne peut plus clairement, cette frénétique course. La conclusion par l’Algérie d’un contrat d’acquisition d’une soixantaine d’avions de combat avec la Russie en 2006 avait immédiatement suscité une réaction de Rabat qui s’est empressé de moderniser sa flottille de Mirage F-1 vétustes et de conclure le mirifique contrat des F-16 avec Lockheed Martin avec la bénédiction de Washington. Le budget militaire algérien pour l’année 2009 s’élevait à de 6,25 milliards de dollars, soit une augmentation d’environ 10% par rapport à 2008. Des sommes colossales sont ainsi allouées par ces deux pays au secteur militaire qui occupe la première place en termes de budgétisation.
La tendance est certes mondiale. Les dépenses militaires mondiales ont en effet augmenté de 45% en dix ans. Mais «la compétition engagée entre l’Algérie et le Maroc en termes d’acquisition d’équipements militaires des plus lourds fait couler beaucoup d’encre et inquiète aussi bien les Américains que les autres pays du bassin méditerranéen», rappelle un rapport d’analyse des Nations-Unies cité par le SIPRI. Les Etats-Unis
et l’Union européenne ont exprimé ouvertement leur inquiétude quant à la tendance haussière des dépenses de ces deux pays. Des dépenses qui font pourtant le bonheur des marchands d’armes américains européens et russes.
et l’Union européenne ont exprimé ouvertement leur inquiétude quant à la tendance haussière des dépenses de ces deux pays. Des dépenses qui font pourtant le bonheur des marchands d’armes américains européens et russes.
Même l’assurance donnée par l’Algérie que ses dernières commandes entrent dans le cadre d’un plan de modernisation des équipement de son armée, qui datent de l’époque de l’Union soviétique, n’a pas atténué les craintes des Occidentaux, soucieux surtout de la sécurité de leur allié traditionnel dans la région, le Maroc. Les Etats-Unis considèrent ce plan de modernisation de l’armée algérienne comme «un plan dissuasif» face à la montée en puissance de son voisin de l’Ouest.
Des sources diplomatiques citées par la presse algérienne affirment que la Maison-Blanche porte un intérêt particulier à cette question depuis la publication du dernier rapport du SIPRI. Ces sources rapportent que les Etats-Unis qui œuvrent pour le renforcement de l’armement au Maroc eu égard aux marchés annoncés durant 2009, ont interpellé l’Algérie sur les «mobiles de la course», précisément à propos de l’acquisition par l’Algérie de 180 chars et de 18 avions de combat sophistiqués de fabrication russe.
Par ailleurs, des informations font état de l’approvisionnement imminent de l’Algérie, par des usines russes, de sous-marins, d’appareils de défense aérienne, et peut être bientôt de frégates maritimes ultramodernes de marque française. Alger avait répondu qu’il s’agit «de moderniser l’armée algérienne et de remplacer l’arsenal soviétique par un autre plus développé».
Le débat autour de l’armement entre l’Algérie et le Maroc n’est pas nouveau. Certains experts avancent que le fait que les Etats-Unis et l’Europe s’emparent de ce dossier ne constitue qu’un moyen de pression pour obtenir des marchés d’armement auprès d’une Algérie gavée par ses revenus pétroliers. D’autant qu’Alger importe principalement de la Russie, et depuis peu de la Chine Populaire, de l’Afrique du Sud et de certains pays sud-américains, dont le Brésil.
Ali Amar
Les récentes dépenses d’armement du Maroc
– 24 chasseurs F-16 pour 2,4 milliards de dollars :
Le Maroc va bientôt se faire livrer ses premiers avions de combat F-16. 24 de ces chasseurs avaient été commandés au constructeur américain Lockheed Martin, l’an dernier, après que l’option d’achat d’avions français Rafale ait été définitivement écartée. Le marché porte sur un montant total de 2,4 milliards de dollars, avec une rallonge de près de 200 millions de dollars pour leur armement en missiles air-air Raytheon.
– Modernisation de 27 Mirage F-1 pour 400 millions d’euros :
Il s’agit d’un contrat avec Thalès et Sagem pour la modernisation de 27 Mirage F1 constituant l’ossature de l’armée de l’air chérifienne: mise à niveau de l’avionique et du poste de pilotage, nouveau radar, nouveaux équipements d’autoprotection, capacité d’emport de missiles MICA et de l’armement air-sol modulaire. Cette modernisation doit se terminer en 2011.
– 1 frégate FREMM pour 470 millions d’euros :
La France a vendu au Maroc une frégate multi-missions FREMM pour un montant évalué à 470 millions d’euros en réplique à la modernisation ses sous-marins de classe Kilo. Le groupe naval DCNS et Rabat ont paraphé ce contrat, l’accord financier se fera avec un pool de banques franco marocaines.
– 3 hélicos CH-47D pour 134 millions de dollars :
Les Etats-Unis ont accordé la vente de trois hélicoptères CH-47D Chinook au Maroc pour la coquette somme de 134 millions de dollars. Ces appareils serviront aux Forces Royales Air (FRA) pour améliorer leurs capacités de projection de troupes sur des terrains d’opérations hostiles ou pour des missions humanitaires.
– 1200 blindés espagnols pour 200 millions d’euros :
L’Armée marocaine a acquis de l’Espagne 1200 Véhicules de Haute Mobilité Tactique (VAMTAC), ainsi que 800 camions militaires et 10 patrouilleurs semblables à ceux de la Guardia Civil, selon les accords signés par les deux pays en 2006 et dont le montant s’élève à 200 millions d’euros. Les VAMTAC sont utilisés par les forces de l’OTAN sur le théâtre afghan.
– 4 avions de transport tactique C-27J Spartan pour 130 millions d’euros :
Alenia Aeronautica, filiale du groupe industriel italien Finmeccanica, a livré en juillet 2010 le premier des quatre avions de transport tactique et logistique C-27J Spartan commandés par les Forces Royales Air (FRA) marocaines, faisant ainsi d’elles la première armée de l’air non-OTAN dotée de cet appareil.
Source : Vox Maroc, 24/12/2010
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