Quand le gouvernement espagnol fait fi du statut de réfugié

Est-ce parce-ce que les socialistes espagnols veulent rendre un dernier service au Maroc avant de quitter le pouvoir ou veulent-ils prouver à nouveau leur détermination en matière de coopération antiterroriste quitte à agir à l’aveuglette? Toujours est-il que le Conseil des Ministres espagnols a pris, vendredi dernier, sur proposition du ministre de la Justice, Francisco Caamaño, une décision pour le moins surprenante: aller de l’avant avec la procédure d’extradition du marocain Hassan Bakir, 44 ans, réclamé par Rabat.

Bakir est exilé aux Pays Bas depuis 2005. Deux ans après il y a obtenu le statut de réfugié politique jusqu’en 2015. Il est professeur à Rotterdam. Aux Pays Bas il a épousé l’algérienne Darid Zouaoui avec qui il a eu deux filles, de 4 ans et 20 mois. La famille habite à Gouda. Avant, de 1985 à 2005, Bakir a vécu en Libye après avoir fui son pays ou la police le recherchait pour son appartenance à la Chabiba Islamia (Jeunesse Islamiste), un mouvement violent en partie encouragé par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Driss Basri, pour combattre la gauche. C’est dans ses rangs qu’il a fait le plus de victimes.

Bon nombre d’anciens militants de la Chabiba Islamia occupent aujourd’hui des postes de responsabilité au sein du Parti de la Justice et du Développement (PJD) représenté en force au Parlement de Rabat. Bakir lui-même a négocié son retour au Maroc avec des envoyés du Ministère de l’Intérieur marocain mais ces conversations n’ont pas abouti.

Bakir ne semblait cependant rien craindre de la part du Maroc. La preuve c’est qu’à la mi-juillet il s’est rendu en Espagne, avec toute sa famille, pour y rencontrer des parents à Albacete et pour permettre à sa femme, chercheuse à l’Université de Leiden, de consulter des manuscrits à la Bibliothèque Royale d’El Escorial.

Mal lui en pris. Le 21 juillet dans la nuit la police l’arrêta, devant sa famille, à son hôtel de Madrid, à la demande du Maroc. Elle l’amena à la prison de Soto del Real (Madrid) d’où il sortit au bout d’une semaine. Depuis il est en situation de liberté provisoire avec obligation de se présenter régulièrement à la police.

L’Ambassade des Pays Bas à Madrid et la délégation du Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (HCR) confirment que Bakir a le statut de réfugié. Ils ont même pris la peine de s’adresser au juge d’instruction de l’Audience Nationale, la plus haute instance pénale espagnole, pour le lui signifier. Rien que pour cette raison Bakir n’est pas extradable. Le procureur adscrit à ce juge d’instruction a d’ailleurs voulu classer l’affaire.

« Le Conseil des Ministres aurait dû renoncer à continuer la procédure d’extradition », insiste Julia Alonso, l’avocate de Bakir. Le bureau madrilène du HCR tient le même discours. Le gouvernement ne les a pas suivi. C’est maintenant l’Audience Nationale qui doit se dire si Bakir est extradable mais, en dernier ressort, c’est à nouveau le Conseil des Ministres qui aura le dernier mot.

Dans ses attendus le Conseil des Ministres précise que Bakir « a été condamné » para la Justice marocaine « pour son appartenance à une organisation secrète dont l’objectif est de commettre des actes terroristes ». « Cette condamnation se fonde sur la déclaration d’un voisin à qui Bakir a communiqué son affiliation à cette organisation et lui a aidé à en faire partie ». « Ce voisin fut arrêté en 1985 » à Oujda « quand il transportait des armes et des explosifs ».

Ces justifications gouvernementales constituent une nouvelle surprise. Bakir a été condamné à mort par contumace, ce que le Conseil des Ministres espagnols oublie de rappeler. L’Espagne n’extrade pas les condamnés à la peine capitale. Qui plus est- il a été condamné il y a 26 ans, au beau milieu des « années de plomb » du règne de Hassan II, quand la justice marocaine était davantage aux ordres du pouvoir exécutif. A travers l’Instance Equité et Réconciliation (IER) les marocains ont d’ailleurs révisé cette période de leur histoire.

A toutes ces raisons Eric Goldstein, directeur adjoint de Human Rights Watch pour l’Afrique du Nord, en ajoute une autre pour demander à l’Espagne de refuser l’extradition : « Bakir risque d’être torturé et son procès risque d’être inéquitable ». « Les Pays Bas doivent faire pression sur l’Espagne » pour qu’il puisse rentrer chez lui.

Ignacio Cembrero 

 
Orilla Sur, 04 de octubre de 2011

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