INTRODUCTION
De plus en plus la coopération internationale ainsi que le développement font appel à la démocratie, aux droits de l’homme, à la société civile et à l’Etat de droit.
Les bailleurs de fonds, principalement l’ONU à travers ses organisations internationales (FMI, BM, CNUCED, ONUDI…), découvrent que le développement dissocié des normes morales et éthiques est voué à l’échec, ne serait-ce de par le fiasco qui l’a caractérisé durant les décennies écoulées.
Ejecter les droits de l’hommes et les valeurs connexes dans l’action internationale du développement «humain», provoque à tort et/ou à raison, des polémiques, des résistances voire des oppositions. Pourtant les droits de l’homme font les étendards des principes onusiens surtout après une prise de conscience que le développement doit s’inscrire dans la durabilité.
En effet, certains dirigeants des pays du Sud, par crainte que les nouveaux mécanismes de la coopération internationale démasquent leurs abus, agitent la souveraineté nationale, empêchant leurs concitoyens de réclamer leurs droits et de s’inscrire dans la mouvance des droits de l’homme. Ce faisant, ils détournent la colère de leurs sujets en leur offrant d’exprimer des mécontentements et des dénonciations qui puisent dans des systèmes de représentations socio-culturelles et idéologiques.
Pour la science politique, ces manifestations de masse sont appréhendées en tant que manœuvres montées par les politiques en vue d’acquérir une légitimité qui, dans la plupart du temps tourne autour d’un homme, le Chef : seul clairvoyant sauveur et protecteur du salut collectif…
En dehors des arrières pensées et des manipulations que certains font via le peuple, cette médiation est toutefois inéluctable pour les constitutionnalistes et constitue toute la légitimité de l’action politique, notamment sur des questions qui ont trait à l’indépendance et à l’exercice de la souveraineté.
Souveraineté qui, malgré les nombreuses réflexions qui lui ont été réservées semble nécessiter encore des dépouillements. Toujours séduisante et irritante la souveraineté ne cesse de nous renvoyer pour dégager ses contours, la comprendre, repérer ce qui lui est propre et spécifique, voire ce qui est mythique et sacrée. Par conséquent, pour importante qu’elle puisse être, la dogmatique juridique s’avère incapable d’élucider le débat sur la souveraineté pour en dégager une théorie. La doctrine nous livre la position du droit par rapport à la souveraineté: Carré De Malberg considère qu’elle se présente en tant que puissance absolue et parfaite, Charles Loyseau lui confère le caractère de la permanence et de la perpétuité, tandis que Jean Bodin met l’accent sur la capacité d’exercer le pouvoir sans être soumis à un pouvoir extérieur. En toute vraisemblance, ce sont ces différents aspects qui constituent parmi d’autres le ferment de la souveraineté, même en l’inscrivant dans une perspective du droit naturel.
Toutefois, cette souveraineté semble céder le pas, selon Gérard Cohen-Jonathan en matière des droits de l’homme, ce sont les droits…qui arrêtent la souveraineté. Cette doctrine justifie les ingérences, partant du fait que les droits de l’homme, en tant que principes du Jus cogens, intéressent la communauté internationale et doivent en tout état de cause être protégés.
De surcroît, la mondialisation et les nouvelles orientations du libre échange, à travers les alliances régionales (ALENA, MERCOSUR, ALEA, APEC), se font aussi au détriment des souverainetés et renforcent en même temps l’intérêt des capitaux des multinationales et la loi des marchands.
En vue de mettre en lumière cette problématique, nous analyserons quelques aspects du partenariat Euro-Méditerranéen, à travers l’accord d’association passé d’une part entre la Tunisie et d’autre part la CE et ses Etats membres. Réunissant l’Union européenne (UE) et les pays tiers méditerranéens (PTM) le partenariat Euro-med (lancé en 1995 suite à la déclaration de Barcelone), innove les approches de coopération de l’UE, en faisant appel aux principes dits de conditionnalité. Ces dernières sont à caractère économique et politique.
En ce qui concerne les conditionnalités politiques, il s’agit de relier la coopération au respect des droits de l’homme, de la société civile, de l’Etat de droit et des principes démocratiques (I).
En ce qui concerne les « conditionnalités économiques », l’Union européenne est d’une part associée dans la prise de décisions en vue de déterminer les projets constituant une priorité pour le développement dans les PTM, et d’autre part, nous verrons qu’elle exerce un monopole dans la gestion financière du partenariat (II).
Nous allons essayer de saisir l’impact des nouvelles conditions de la coopération sur le plan politique et économique.
Comment l’UE va-t-elle exercer ce nouveau pouvoir qu’elle détient vis-à-vis de ses partenaires méditerranéens ?
Dans quelle mesure la Tunisie acceptera t-elle d’être jugée par ses partenaires européens ? c’est à dire quelles sont les contraintes et les critiques communautaires (politiques et économiques) qui vont être tolérées par les autorités tunisiennes ? et celles qui auront une fin de non recevoir pour cause d’ingérences et d’atteintes à la souveraineté nationale ?
I : L’association des droits de l’homme soumise aux dialogues contraignants
En voulant mettre l’accent sur l’importance du dialogue dans le cadre des relations Euro-Méditerranéennes, le président Chirac disait « nous devons dialoguer en partenaires égaux qui s’apprécient et s’estiment. Après avoir détruit un mur à l’Est, l’Europe doit désormais construire un pont au Sud ». Ce dialogue qui traduit les approches positives de l’UE se résume en ces termes: il vaut mieux dialoguer que sanctionner. Il s’agit d’une distinction fondamentale entre les approches positives et négatives. En effet, malgré la capacité des « sanctions à exercer des pressions sur les gouvernements », elles présentent néanmoins quelques inconvénients. L’expérience a montré que d’une part ce sont les populations qui sont les plus endommagées des mesures punitives, et d’autre part les sanctions constituent des atteintes (flagrantes) au principe de souveraineté des Etats. Toutefois, en vue de situer la politique extérieure de l’Union par rapport aux droits de l’homme, il convient d’appréhender certains éléments d’ordres communautaires et internationaux.
Au niveau communautaire, selon la Commission européenne, le respect des droits de l’homme d’une manière générale, des principes démocratiques et de l’Etat de droit, représente une clause unique, dénommée élément essentiel se substituant ainsi à la clause dite fondement, eu égard à son « efficience sur le plan des garanties… ». La clause (essentielle) est insérée depuis 1992 dans tous les accords conclus avec les pays tiers (à l’exception des accords sectoriels sur les textiles, les produits agricoles, etc.), en tant que critère qui fonde depuis cette date les relations de coopération.
Au niveau international, c’et surtout la création de la Cour Pénale Internationale (CPI) qui fut un événement spectaculaire. L’UE, considère que la mise en place de la CPI est l’un des « principaux développements intervenus dans le cadre de la campagne mondiale menée pour promouvoir le respect du droit international, en particulier le droit humanitaire, et les droits de l’homme », d’où son insertion parmi les thèmes du MEDA démocratie. La modification de l’actualisation de la programmation de l’initiative européenne pour la démocratie et les droits de l’homme (IEDDH 2004) est venue considérer à son tour que le soutien aux tribunaux pénaux internationaux et à la CPI constitue une priorité parmi les projets mondiaux. Contrairement à l’instrument MEDA, MEDA démocratie vise uniquement le volet régional. Ses fonds sont du ressort de la Commission européenne, les pays récipiendaires n’ont pas droit de « regard sur ses fonds ». D’après ces éléments, il est manifeste que l’UE s’inscrit dans cette mouvance de l’internationalisation des droit de l’homme, ce qui va l’inciter à adopter une politique de sensibilisation vis-à-vis de ses partenaires et ce à travers un dialogue politique (a) et culturel (b).
Les deux formes de dialogue vont constituer une source de nuisance pour les partenaires de l’Union européenne et ce de par les ingérences qu’ils provoquent.
A : Un dialogue politique subordonné à une volonté communautaire
Dépourvue d’un caractère contraignant, la déclaration de Barcelone est foncièrement de nature politique instituant au niveau interministériel le partenariat Euro-Méditerranéen et c’est d’ailleurs pour la première fois que la « question méditerranéenne est élevée au niveau d’un enjeu politique clairement identifié avec un but à atteindre ».
Le dialogue politique constitue l’un des mécanismes les plus importants dans le cadre de l’accord d’association Tunisie /UE. Placé dans le titre I, art 3 de l’accord Tunisie/UE, « le dialogue politique instauré entre les deux parties vise à établir des liens durables de solidarité qui contribuent à la prospérité, à la stabilité et à la sécurité de la région méditerranéenne ainsi qu’au développement de compréhension et de tolérance entre cultures».
Les droits de l’homme sont l’une des questions qui constituent un sujet d’intérêt commun entre les partenaires (Art 4 accord Tunisie UE) et qui devraient être débattues lors des réunions du Conseil d’association. Depuis la conclusion de l’accord d’association, seulement 4 réunions ont eu lieu entre les deux partenaires au niveau du Conseil : 1998-2000-2002 et 2003.
Au niveau du dialogue politique, il faut rappeler que les européens ont tenté d’inciter les autorités tunisiennes pour qu’elles fassent preuve de compréhension. La Tunisie est d’ailleurs l’un des pays qui préoccupent de près l’UE. L’initiative européenne pour la démocratisation et l’Etat de droit a placé la Tunisie parmi les pays cibles pour la période 2002-2004.
C’est dans ce sens que la Commission a eu l’occasion d’exhorter la Tunisie « …en vue de favoriser l’Etat de droit: développement des médias et la modernisation de la justice ». Caroline Stainier pour qui la situation au niveau des droits de l’homme en Tunisie marque des progrès, signale avec satisfaction la création d’un sous-comité des droits de l’homme dans le cadre de la politique de voisinage. L’auteur ajoute que les autorités tunisiennes ont posé certaines conditions pour la mise en œuvre du sous-comité qui se rapportent essentiellement au respect des souverainetés.
Toutefois, il revient au parlement européen de mener le travail et le dialogue au niveau tant communautaire qu’international. Selon le rapport des droits de l’homme de l’Union européenne (2000), le Parlement européen constitue l’édifice le plus important dans les institutions communautaires, que ce soit sur le plan européen ou sur celui des relations de l’Union avec les pays tiers, notamment avec le traité de Maastricht et celui d’Amsterdam. Le Parlement assume un « rôle de plus en plus grand pour faire des droits de l’homme l’une des préoccupations centrales de l’UE ». En ce sens, il «entreprend des missions relatives à la situation des droits de l’homme dans les pays situés en dehors de l’UE, établit des rapports sur la situation des droits de l’homme, fait des déclarations, soumet des questions au Conseil et à la Commission et adopte des résolutions ». Selon Joël. Le professeur Rideau, l’arme essentielle du Parlement européen consiste dans les « résolutions par lesquelles il prend position sur les droits de l’homme ».
S’appuyant sur les engagements de la Tunisie à respecter les droits de l’homme (art 2 de l’accord Tunisie/UE), le Parlement européen a adopté depuis 1995, date du coup d’envoi du partenariat Euro-tunisien, pas moins de quatre résolutions : (le 15 juin 2000 ; le 14 décembre 2000, et le 4 mars 2002, juin 2006) dans lesquelles il a dénoncé des situations particulières d’atteinte aux droits de l’homme en Tunisie… ». Certes, le parlement européen est préoccupé de la situation des droits de l’homme, mais ces déclarations montrent qu’il ne se prive pas de s’ingérer dans les affaires des PTM.
Profitant des travaux du conseil d’association Tunisie/Union européenne (2000), le Parlement européen, a incité le Conseil et la Commission à mettre en œuvre tous les moyens appropriés, y compris le recours à la suspension de l’accord pour obtenir le respect des droits de l’homme. Plus encore, le parlement s’est adressé aux entreprises les invitant à suspendre leurs investissements dans les Etats qui ne respectent pas les droits de l’homme.
En fait, en dehors du partenariat, les dénonciations de violations des droits de l’homme par le parlement européen ont contribué parfois à convaincre les Etats membres à pendre des mesures effectives, comme ce fut le cas de la décision prise en septembre 1986 contre l’Afrique du Sud, décision qui a été d’ailleurs maintenue « jusqu’au démantèlement de l’apartheid ». Rappelons que dans le cadre du problème du Sahara occidental, le parlement européen a demandé à la Commission d’arrêter la mise en œuvre des IV ème protocoles financiers avec le Maroc tant qu’il ne se conforme pas au respect des droits de l’homme et à la résolution onusienne relative au Sahara occidental.
Même si l’attitude du parlement européen constitue des ingérences dans les affaires internes, pour la Commission européenne la chose ne se présente pas ainsi, considérant que, l’IEDDH, représente une sorte de plus value là où l’action de la communauté est en panne, soit par manque d’un cadre légal, soit suite à une suspension. Une telle attitude du Parlement européen, ainsi que les approches communautaires ne peuvent s’expliquer que par cet élan en faveur de l’internationalisation des droits de l’homme ces dernières décennies, où les souverainetés, ne devraient plus constituer un obstacle à l’ingérence, selon les locataires de Bruxelles. Ces rapports conflictuels qui se greffent sur le registre de la souveraineté à travers le dialogue politique, au niveau du dialogue culturel la situation est davantage préoccupante.
B) Un dialogue culturel aux détriments des spécificités culturelles
Dans les relations entre les pays tiers méditerranéens et l’UE le dialogue culturel n’a commencé à se manifester d’une manière embryonnaire qu’à partir de la politique méditerranéenne rénovée, PMR. Mais c’est à partir du processus de Barcelone qu’il y a eu une prise en compte sérieuse de la dimension socioculturelle. Certains se sont même demandé pourquoi l’Europe a tant attendu pour la mise en place de la dimension culturelle avec les pays tiers méditerranéens, d’autant plus que la Méditerranée constitue le « berceau des civilisations » et « des trois religions monothéistes ». L’ancien secrétaire général de la Ligue des Etats Arabes postule que « l’Europe et la Méditerranée ne peuvent être dissociées, la méditerranée étant une dimension essentielle de l’Europe, géographiquement, historiquement, culturellement et économiquement ».
Au niveau du partenariat Tunisie/UE, il est institué entre les deux parties un dialogue (dans le domaine social) régulier et portant sur tout sujet du domaine social qui présente un intérêt pour elles (art 69 al 1, accord d’association). Le domaine social comprend notamment les conditions de vie et de travail des communautés migrantes, les migrations, l’immigration clandestine, les conditions de retour des personnes en situation irrégulière, le développement et le renforcement des programmes tunisiens du planning familial et de la protection de la mère et de l’enfant, l’amélioration du système de protection sociale et l’amélioration des conditions de vie dans les zones défavorisées.
Bien que le dialogue culturel soit conçu, comme la corbeille la plus profonde et la plus sensible du partenariat, certains voient que :« le volet social, culturel et humain, visant la compréhension mutuelle entre les peuples de la région, fait figure de parent pauvre dans l’ensemble du dialogue Euro-Méditerranéen ».
Les cocontractants ont pris le soin de préciser que ce dialogue doit se passer dans le respect mutuel des deux parties, allusion faite au respect des souverainetés nationales, comme le dispose l’accord d’association, art 74 «les parties s’engagent, dans le respect mutuel des cultures, à mieux asseoir les conditions d’un dialogue culturel durable et à promouvoir une coopération culturelle soutenue entre elles, sans, a priori, exclure aucune activité ».
A noter par ailleurs, que les prises de décisions relatives au dialogue culturel, incombent aux institutions régionales et bilatérales prévues à cet effet (Conseil d’association, Conférence Euro-méditerranéenne). Toutefois, nous avons remarqué que le dialogue culturel a été caractérisé par plusieurs obstacles qui ont trait à une thématique classique liée aux controverses relatives à l’universalité des droits de l’homme. En effet, cette thématique n’est pas exempte de conflits qui embrassent le champ de la souveraineté dans la mesure où il s’agit d’une rencontre entre le droit musulman (Charia islamya) et la modernité juridique et politique de l’occident.
Bien qu’elle fasse référence à quelques règles du droit musulman dans le domaine des successions en particulier (voir code du statut personnel, CSP), la Tunisie est considérée comme le pays le plus orienté vers la laïcité par comparaison aux partenaires de l’UE.
Ceci dit, la Tunisie comme les PTM est appelée à adopter des réformes au niveau politique et en particulier dans le domaine des droits de l’homme, d’autant plus que le monde arabe et musulman a adopté ses propres déclarations régionales. Dans cette perspective, il est assigné à la société civile, dans le cadre du partenariat, de faire un effort d’imagination en vue de contribuer à une harmonisation et à un rapprochement entre citoyens qui peuplent le bassin méditerranéen. Sachant que tout travail qui ne tient pas compte des spécificités culturelles est non seulement voué à l’échec, mais risque de donner des résultats indésirables. La doctrine a tissé un rapport entre le phénomène de violence et la modernisation hâtive orchestrée dans la période post-coloniale: « …Les élites qui ont pris le pouvoir après les indépendances des pays arabo-musulmans n’ont fait qu’imposer une modernisation à l’occidentale, écartant toutes les valeurs islamiques, sous prétexte qu’elles ne peuvent, en aucune manière, contribuer au développement ».
Ayant un fondement « libéral clairement énoncé », le partenariat se présente, selon certains spécialistes, comme une occasion pour la promotion des valeurs occidentales surtout après la disparition de la logique bipolaire qui prévalait au niveau des relations internationales. La doctrine soutient que les réformes que préconise la déclaration de Barcelone, s’inscrivent dans une perspective libérale conforme aux orientations désormais classiques des institutions financières internationales et à l’attachement aux droits de l’homme. Dans le même cheminement certains travaux soulignent que c’est bien la diffusion du modèle libéral européen, tant sur le plan de la pratique économique, que du point de vue des valeurs politiques, qui est visé dans le cadre du projet de partenariat.
Le professeur Louis Balmond considère que la diplomatie (européenne) des droits de l’homme devrait permettre de réaffirmer les valeurs qui fondent la légitimité du régime politique libéral ainsi que la mise en œuvre d’une riposte idéologique aux attaques du tiers monde et du camp socialiste. Dans cette perspective, le Haut conseil français de la coopération et des droits de l’homme souligne que les conditionnalités associées aux aides au développement émanant des bailleurs de fonds se présentent comme des instruments « d’imposition de leurs propres critères et objectifs, en matière économique et en matière politique». C’est pourquoi, la société civile est appelée à procéder avec vigilance et savoir faire, car le cas échéant la situation dans les PTM risque de s’aggraver et ceci constitue des dangers même pour l’Europe, dans la mesure où les tensions, les conflits interculturels associés à la pauvreté, le chômage, les instabilités politiques et économiques, sont des raisons de l’immigration légale et clandestine. C’est pour cela que le dialogue culturel doit rapprocher les deux peuples et réduire aussi les disparités entre les partenaires.
Par ailleurs, ce travail de rapprochement entre les deux cultures est plus que jamais sollicité surtout après le 11 septembre, étant donné que « le dialogue entre les cultures et les religions est devenu le fondement du dialogue socioculturel. A cet effet, les ministres des affaires étrangères réunis à Bruxelles les 5 et 6 novembre 2001, ont tenu à dissiper tout amalgame entre Islam et terrorisme ».
Dissiper les amalgames est une tâche épineuse eu égard aux conflits provoqués par le 11 septembre qui constituent pour certains le déferlement d’une sorte de « fatalisme face au terrorisme ». Le professeur Slim Laghmani pense que nous assistons, non seulement aux mépris des souverainetés, mais à une sorte de droit impérial orchestré notamment par les américains dans le cadre de la lutte anti-terroriste. En tout cas, il paraît que ce dialogue piétine comme le démontre le cas tunisien. Jugeant que le soutien apporté par l’UE à la société civile tunisienne présente des immixtions dans les affaires internes et donc porte atteinte à la souveraineté, les pouvoirs tunisiens ont bloqué les fonds alloués au titre de l’initiative européenne des droits de l’homme IEDDH, vers la Ligue tunisienne des droits de l’homme LTDH. Un sénateur français pense que cet exemple constitue un « contentieux persistant entre les autorités tunisiennes et les autorités communautaires».
Nous verrons que ces différends entre les deux parties ainsi que la mainmise européenne sur le partenariat vont continuer à s’exercer à travers l’association économique.
II : L’association économique déterminée par des rapports de force
Avant d’aborder les « conditionnalités économiques » instituées par Barcelone, il convient de décrire sommairement, les lignes directrices caractérisant la coopération antérieure entre la CEE et la Tunisie, ce qui nous aide à apprécier les évolutions récentes.
La coopération entre la CEE et la Tunisie (ainsi qu’avec les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranéen) a vu le jour dans les années 70, bien qu’elle soit prévue depuis l’adoption du traité de Rome en 1957, instituant la Communauté Economique Européenne, (CEE). Cette coopération a été conçue notamment afin de permettre aux pays susvisés, nouvellement indépendants, d’acquérir une certaine maîtrise technologique et un savoir faire en vue de réduire les écarts entre les pays des deux rives du bassin méditerranéen. Cet état d’esprit qui prévalait a engendré l’élaboration par la CEE du « système communautaire du traitement préférentiel, SCP», consistant à ne pas soumettre les marchandises en provenance des pays en voie de développement au droit de douane, même si cela se faisait au détriment des principes fondateurs de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, GATT.
En fait, c’est cette dynamique de développement qui explique aussi des aides financières bilatérales communautaires (et internationales) sans renvoi à des conditions de fond ou de forme, sauf quelques recommandations d’orientation générales.
Les échecs des expériences socialo-communistes, l’avènement de la mondialisation, la création de l’organisation mondiale de commerce, OMC, (sur laquelle l’Union européenne a aligné sa politique du libre échange) ont tous contribué à l’émergence de nouvelles règles administrant le libre échange, ainsi qu’à leurs amplifications.
Au niveau de l’accord régional Euro-Méditerranéen, les nouvelles conditions du libre échange ont rendu la coopération et le développement plus rigoureux et donc assorties par ce qui convient d’appeler les principes de « conditionnalités économiques », qui vont apparaître au moment de l’élaboration des projets (A) ainsi que dans leurs modalités de gestion (B).
A : Les projets économiques dépendent des critères européens
Plusieurs projets en faveur de la Tunisie ont vu le jour ou sont en cours de réalisation depuis 1995. Ces programmes sont assez diversifiés et ont trait à la privatisation, le développement social, l’environnement, l’eau, l’infrastructure physique etc., (voir tableau p. 17). Programmes qui s’intègrent soit dans le volet bilatéral (faisant partie des programmes indicatifs nationaux, PIN), soit dans le volet régional et relevant des programmes indicatifs régionaux, PIR. Les deux programmes sont complémentaires et solidaires conformément à la de la philosophie de Barcelone. Les PIN comme les PIR sont institués par le règlement communautaire MEDA. Ils sont soumis à une concertation entre les partenaires et visent à responsabiliser les PTM à l’égard de leur politique de développement. Cette condition appelle à quelques constatations : en effet, la procédure de relier les programmes à une dynamique intra-régionale, bien qu’elle soit bénéfique en vue d’une intégration tant sollicitée par Barcelone (et renforcée par la politique européenne de voisinage 2003, PEV), que freinée, réduit les marges de libertés des pays bénéficiaires.
Le volume du commerce intra-régional ne représente que 6% des échanges. Plus dramatique, le constat d’un ancien ministre marocain soulignant que le trafic entre pays maghrébins a beaucoup diminué par rapport à ce qu’il était il y a 20 ans.
Les contradictions entre les PTM, explique la tendance de l’Union à bloquer les financements, car il appartient à l’Union de se prononcer sur la validité ainsi que sur l’efficacité des programmes. Dans chaque pays partenaire, l’UE a mis en place une délégation composée d’experts de toutes spécialités pour analyser, faire des études et superviser les programmes. Etant des fonctionnaires attachés à la Commission européennes, ils ne suivent que les recommandations et les directives de leurs supérieurs hiérarchiques, les pays hôtes n’exercent sur eux aucune autorité, ni administrative ni politique.
Le tableau suivant nous montre à quel point la nouvelle méthode européenne, de par les immixtions éclatantes qu’elle présente a privé les PTM et la Tunisie des fonds communautaires. A cet égard, il faut noter que les budgets qui sont prévus par le règlement MEDA, une fois ne trouvant pas de destinataires (pour les raisons évoquées auparavant, c’est-à-dire, en cas où les projets présentés par les PTM sont jugés inacceptables par les experts européens), sont purement et simplement annulés et non reportés sur des budgets ultérieurs.
Les allocations communautaires constituent pourtant un aspect névralgique pour les PTM. En effet, si le contrat de partenariat représente pour l’UE un prolongement de sa politique de sécurité, il est plutôt perçu par les PTM comme un ensemble d’avantages économiques et financiers. Dans cet ordre d’idées, certains affirment que si le rideau de fer qui séparait le premier couple (Est/Ouest) était de nature idéologique, le rideau de fer qui risquerait de séparer le deuxième couple (Nord/Sud) est plutôt d’ordre économique. Jean-Pierre Mazery préconise une attention particulière pour échapper à une éventuelle fracture -NORD-SUD- qui donnerait des arguments aux intégristes « de tout poil qui se sentiraient menacés de devenir le nouvel ennemi de l’Ouest».
Mises à part ces considérations qui visiblement ont pour objet de restreindre les manœuvres des PTM, nous verrons dans ce qui suit que la gestion des programmes qui ont déjà reçu le visa européen dépende presque exclusivement de l’Union européenne, ce qui confirme que les nouvelles règles qui administrent le libre échange se font au détriment des souverainetés.
B: Une gestion unilatéraliste des projets
Depuis le lancement du partenariat, une ligne budgétaire (MEDA) est venue donc remplacer les anciens protocoles financiers communautaires réservés à la Tunisie et les autres pays du Maghreb. Le programme MEDA est le « principal instrument financier de l’Union européenne au service du partenariat Euro-Méditerranéen ». MEDA est un règlement du Conseil, bien que l’article 238 du TCE (310 nouveau) serve de base pour la CE pour conclure les accords d’association, dans le cadre du règlement MEDA, la CE a eu recours à l’article 235 (308 du TCE).
Ce choix va en effet, permettre au Conseil de renforcer d’une part le rôle des Etats membres et de réduire d’autre part le rôle du Parlement européen dans la gestion du programme financier. Marquant par ailleurs, une différence fondamentale avec les anciens protocoles financiers, le règlement MEDA fondé sur l’art 235, donne une liberté d’action pour l’UE de par son caractère unilatéral (l’art 238 prévoit un caractère contractuel des protocoles financiers et donc une gestion plus rigide pour l’UE). La gestion dudit MEDA relève des compétences de la Commission, quant à la gestion technique, elle est confiée à la Direction Générale des Relations Extérieures, mais depuis 2001 c’est la Direction Générale « Europe Aid Office de Coopération » qui est désormais « chargée de préparer et de gérer tous les programmes d’aide extérieure de l’Union européenne, y compris MEDA, à l’exception de ceux relatifs à la pré-adhésion ».
La Banque européenne d’investissement travaille en collaboration avec les programmes MEDA. Commentant cette coresponsabilité entre MEDA et BEI, un haut responsable de la BEI déclare que le programme « MEDA permet de mettre en place les aspects institutionnels, de favoriser les schémas de libéralisation des économies, d’élaborer un programme de privatisation…, nous intervenons à ce moment là, juste en deuxième rang…». Par conséquent, il est clair que les pays qui sont récipiendaires de subventions européennes ne jouent aucun rôle dans la gestion du financement de leurs programmes. Cet unilatéralisme dans la gestion traduit un certain rapport de force entre les partenaires, en ce sens la doctrine souligne que «si les pays tiers méditerranéens adhéraient à l’idée d’une Méditerranée où des relations de bon voisinage pourraient enfin être développées, ils dénonçaient néanmoins ce partenariat dont ils n’avaient pas co-écrit les termes ».
Cette modalité de gestion permet à l’Union de ne verser les fonds que si les projets correspondent aux objectifs formulés à Barcelone, ce qui explique d’ailleurs l’existence de projets indicatifs nationaux (PIN) et de projets indicatifs régionaux (PIR). Il s’agit par conséquent pour l’Union d’avoir des atouts supplémentaires, une carte de pression sur ses partenaires récalcitrants.
A travers ces développements, nous avons remarqué que les pays tiers méditerranéens bien qu’ils soient les plus concernés par les programmes de coopération, ne sont de fait que partiellement associés pour déterminer ceux qu’il leur faut. En plus, ils ne sont appelés à cogérer ni les instruments financiers MEDA, ni les crédits de la BEI.
Il est manifeste que le fonctionnement de ces mécanismes financiers traduisent un déséquilibre entre les parties ce qui donne à l’UE une possibilité pour dicter ces conditions. Pourtant, le concept de partenariat Euro-med est conçu pour que les parties puissent dialoguer, négocier et gommer leurs différences. Par conséquent, cette suprématie ne peut pas être admise, nonobstant le fait que l’UE veut avoir les mains libres : en effet, une mainmise sur les instruments financiers permet à l’Union de bloquer les versements en cas où les projets économiques ne correspondent pas aux critères communautaires et/ou en cas de violation des droits de l’homme et du non respect des valeurs démocratiques !
CONCLUSION
L’intervention au Kosovo et celle au Kurdistan irakien ont été justifiées au nom du droit et/ou devoir d’ingérence. Certains travaux soulignent que les interventions susvisées se font sur les «décombres» des principes sacro saints du droit international, notamment celui de souveraineté.
Le 11 septembre 2001, avec la lutte anti-terroriste, a accentué cette tendance du droit international contemporain, reléguant la souveraineté au second plan.
Quant à la mondialisation, elle ne cesse de gagner du terrain, ne serait-ce par le biais des alliances régionales et les projets intégrateurs, qui en toute logique militent en faveur des formes de supranationalités.
Le cadre du partenariat Euro-Méditerranéen, via l’exemple tunisien, fournit de nouveaux éléments qui corroborent le postulat sur les ingérences et les déficits des souverainetés qui accompagnent l’action de la coopération internationale et ce nonobstant une précarisation du développement et une accentuation des disparités Nord/Sud.
Cet exemple est par ailleurs assez problématique, car si l’argument qui sous tend et légitime l’action internationale du développement vise d’une part le rapprochement entre les régions et la réciprocité…, l’exemple étudié constitue une antithèse, vue entre autres les malentendus qui persistent entre les partenaires.
D’autre part, si certaines « ingérences sont tolérées », par ce droit de regard que possède l’UE vis-à-vis des Etats associés, en vue d’une amélioration des droits de l’homme et de la démocratisation des systèmes politiques, cela semble tout à fait erroné et loin d’être le cas:
Du coup les peuples, notamment appartenant au monde en voie développement, se trouvent doublement humiliés ; humiliés par une confiscation des droits de l’homme et une paupérisation, accompagnée par une dépossession de leurs souverainetés au profit des superpuissances et des multinationales.
Constat qui nous pousse à nous interroger sur la moralité du droit international, dont la perte de crédibilité ne peut que rendre les équilibres entre les Etats plus précaires et un quotidien de plus en plus menacent.
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