Le Sahara occidental ou l’épée de Damoclès

Vous avez peut-être vu ces images de nos représentants penauds et empruntés, à la sortie des négociations de Manhassett, avec le Polisario, apportant encore une fois la preuve d’une diplomatie marocaine médiocre et incompétente, prise entre les mâchoires d’un étau constitué d’un côté par une administration américaine, si prompte à fondre sur son allié marocain, comme lors de l’affaire Aminatou Haidar, et un Palais castrateur qui, déstabilisé par le printemps arabe, ne peut plus faire machine arrière, sur le Sahara, après tant de sacrifices.

Questionné sur le résultat des pourparlers, notre représentant, dont les prérogatives qui lui sont consenties par le Palais, sont inversement proportionnelles à son infinie propension à l’obséquiosité, a botté en touche, en déclarant notamment que « le processus de normalisation en cours, entre le Maroc et l’Algérie est de nature à contribuer à la résolution de la question du Sahara ». La déclaration qui n’aura surpris personne, procède de la logique marocaine, de rejeter systématiquement sur Alger la responsabilité du conflit. Pour qui connaît les valses hésitations de la normalisation entre les deux capitales, le traitement de l’affaire du Sahara est donc renvoyé aux calendes grecques.

Le Polisario qui clame à qui veut l’entendre que «Le Maroc craint les résultats d’une consultation démocratique du peuple sahraoui», n’est pas en reste, puisque quelques semaines auparavant, son représentant, Mohamed Abdelaziz, dénonçait devant des membres de la société civile française, la connivence de la France avec le Maroc et ses efforts consistant à empêcher la création d’un Etat sahraoui hispanophone, dans une région constituée d’anciennes colonies françaises. Il a notamment comparé les manœuvres de Paris à celles des Etats-Unis en faveur d’Israël.

Ce huitième round des négociations aura donc été un échec de plus, entre les deux protagonistes d’un conflit vieux de plus de trente cinq ans, le Maroc continuant de rejeter toute autre solution que le plan d’autonomie, au sein du royaume, alors que les sahraouis plaident pour un référendum d’autodétermination avec en point de mire l’indépendance.

Petit flash back

Nous sommes en novembre 1975, Hassan II est fragilisé. Il a subi deux coups d’Etat qui ont failli lui coûter la vie et ont décimé le dessus du panier de la hiérarchie militaire du royaume. L’opposition, très active ne cesse de dénoncer, y compris sur la scène internationale, les dérives absolutistes du palais et les exactions de ses services de sécurité.

L’affaire du Sahara tombe à point nommé.

En effet, un avis consultatif de la Cour internationale de justice qui vient de confirmer l’existence de liens historiques entre les populations du Sahara occidental et le Maroc, lui inspire alors l’idée de récupérer ce territoire, sans recourir à une aventure militaire contre l’Espagne, qui risquerait de lui coûter un trône vacillant.

Il convoque un soir, au palais une poignée d’intimes parmi ses conseillers, ainsi que quelques généraux, leur fait prêter serment, sur le Coran, de garder le secret absolu, sur la teneur de l’entretien qui va suivre. Hassan II annonce à ses interlocuteurs médusés, son intention de faire marcher trois cent cinquante mille volontaires pacifiques sur le Sahara, histoire de forcer la main à l’Espagne qui tergiverse à restituer ce territoire au Maroc et à la Mauritanie, en raison de l’état de santé du Général Franco, à l’article de la mort.

Le roi sait qu’il joue son va-tout. Il balaie, comme à son habitude et sans la moindre hésitation, les rares appréhensions, craintes ou questions que soulèvent ses vis-à-vis.

Même quand il joue le destin de son pays, Hassan II, comme le fera son fils plus tard, ne consulte jamais ses compatriotes, sauf à être sûr d’être plébiscité, au moyen de la fraude et de la triche.

La suite on la connaît : une opération soigneusement préparée, dans le plus grand secret, le discours royal et une mobilisation sans précédent de l’ensemble des ministères, des administrations et des médias, mais également de tous les partis politiques. Jusqu’aux poètes, penseurs, artistes et musiciens qui entonnent à l’unisson, un panégyrique enflammé du roi et de son génie et décrivent la marche verte comme une épopée des temps modernes.

L’organisation logistique est aussi exemplaire qu’impressionnante. Rien ne fait défaut. Ni les milliers de camions réquisitionnés, ni l’eau, ni la nourriture, ni le gîte, ni la sécurité.

Le makhzen n’est pas en reste, puisque Gouverneurs, Pachas, Caïds, Khalifas, Chioukhs, et Moqadems mobilisent et recrutent les volontaires, la plupart du temps en distillant ou laissant courir les rumeurs les plus folles sur les richesses du sous-sol des provinces du Sud et sur l’opportunité qui s’offre à tout marcheur de pouvoir se choisir, à sa convenance, une parcelle de terrain, dans une sorte de nouvelle conquête de l’Ouest. En réalité, aucun de ces pauvres diables n’atteindra jamais le Sahara, mais tous s’arrêteront à sa frontière, quand le roi sifflera la fin de la partie, en annonçant que l’objectif de l’opération est atteint.

S’il faut accorder à Hassan II le mérite de la conception de la marche verte, on ne peut que regretter qu’il n’ait pas daigné consulter, son voisin immédiat, l’Algérie qui partage, pourtant, avec le Sahara occidental quarante deux kilomètres de frontières. Cette lourde erreur et celles qui vont suivre, allaient hypothéquer gravement, jusqu’à aujourd’hui, les relations entre les deux pays.

On ne peut, également, que déplorer le fait que, sitôt le Sahara investi, la monarchie marocaine y ait reproduit, à l’identique, le modèle qu’elle a expérimenté dans le reste du pays. Une cohorte d’hommes d’affaires arrivée sur les chars de l’armée marocaine, y pose ses valises. Elle faitalors main basse, avec le concours appuyé de l’administration du maghzen, parachutée par Rabat, sur tous les secteurs clés de l’économie, dont la pêche et la transformation de ses produits ainsi que la promotion immobilière, avec en point de mire, la promesse de découverte de gisements d’hydrocarbures. La situation s’est sérieusement péjorée avec la signature des accords de pêche successifs avec l’Union européenne, ainsi que la concession de recherches pétrolières, sans consultation de la population marocaine, ou de ses représentants, et dans la complète ignorance des protestations, émanant des sahraouis. Le tout procède du même comportement, d’une monarchie qui se veut exécutive et le prouve, au moment précis où, comble du paradoxe, elle prétend démocratiser.

Pendant que les hommes de paille du Palais mettent en coupe réglée l’économie de la région, les haut gradés de l’armée, supposés prendre en charge les opérations de maintien de l’ordre, s’enrichissent à milliards, en se livrant à toutes sortes de trafics, et en confisquant purement et simplement la pêche hauturière, qu’ils partagent encore aujourd’hui avec les bateaux de l’Europe, au détriment de la pêche artisanale en voie de disparition. La troupe livrée à elle-même et sous le commandement d’officiers subalternes, incompétents se fait, alors, étriller par un Polisario galvanisé par son allié algérien qui dépense sans compter, trop heureux de pouvoir en découdre avec l’armée marocaine, histoire de laver l’affront de la guerre des sables d’octobre 1963.

Alors que la guerre fait rage, le makhzen déploie tout son art à neutraliser, torturer, déporter, assassiner et faire disparaître ceux qui sont tentés par le séparatisme.

Le conflit meurtrier nous aura coûté des milliers de vies humaines et des milliards de dollars, avant que n’intervienne un cessez-le-feu en 1991.

Mais le summum de l’ignominie est atteint avec nos soldats prisonniers de l’ennemi et dont le régime tait jusqu’à l’existence pendant plus de vingt ans, avant de les accueillir, à contrecoeur, suite à leur libération, sous la pression de l’ONU et du CICR.

De l’autre côté de la frontière, à Tindouf, la situation n’est guère meilleure. Nos compatriotes sont littéralement pris en otage par des responsables va-t-en guerre, qui tout en les faisant vivre dans un univers quasi-concentrationnaire, sillonnent le monde en première classe, habitent dans des palaces luxueux et détournent à leur profit les subsides que les Nations Unis consentent aux réfugiés. Dans cette vaste prison à ciel ouvert les sahraouis coupés de leurs familles et tenus éloignés de leur pays, n’en finissent plus de payer l’aventurisme de nos gouvernants.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cet énième échec a de quoi ravir le Maroc autant que l’Algérie, particulièrement en ce moment précis de l’histoire. Il permet aux deux frères ennemis de faire de cette tragédie régionale, un fonds de commerce idéal, les véritables perdants étant les populations sahraouies, prises en otage d’un côté de la frontière, comme de l’autre. Le conflit pourrait à tout moment être réactivé, afin de cimenter l’union nationale et estomper le printemps arabe.

Le conflit, qui semble toujours couver sous la cendre, est entré dans une phase inextricable, chacun des protagonistes renvoyant sur l’autre partie, la responsabilité de l’échec des pourparlers.

Les dérives prédatrices et affairistes du Palais, ainsi que la brutalité des méthodes du Makhzen et ses crimes contre les populations sahraouies, ont, sans aucun doute, largement contribué à la détestation du régime marocain.

Ironie du destin, la monarchie marocaine se retrouve, trente cinq ans plus tard, dans la même situation qu’à la veille de la marche verte.

Mohamed VI, dont le seul bilan dont il peut s’enorgueillir est son enrichissement personnel et celui de son clan, n’a jamais reproduit autre chose que les erreurs commises par son père. Il se retrouve dans la fâcheuse posture de l’héritier d’un cadeau empoisonné, car même si le Maroc peut sembler, au premier abord, confortablement installé au Sahara, il n’en demeure pas moins qu’il n’est perçu par le reste du monde que comme une puissance occupante, qui, au lieu de gagner les cœurs, s’est contentée d’acheter les consciences, à coup de prébendes, de népotisme, et de corruption .

Lors de l’une de ses dernières interviews, Hassan II, qui n’en était pas à une sortie ridicule près, avait déclaré qu’il laissait à sa progéniture cinquante ans de tranquillité.

En réalité, douze ans après sa disparition, le régime, de plus en plus contesté est rattrapé par son passé, et l’affaire du Sahara, comme une épée de Damoclès, pourrait également contribuer à catalyser sa perte.

E-plume, 25/07/2011

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