Le pourquoi des relations si particulières avec Paris

Jean-Pierre Tuquoi décrit les dessous du soutien sans faille de Chirac à Mohammed VI.

Journaliste au «Monde», Jean-Pierre Tuquoi poursuit dans «Majesté, je dois beaucoup à votre père…» (1) la description des relations très particulières unissant la France et le Maroc, ou plutôt sa famille royale, que Gilles Perrault avait brossée au temps de Hassan II dans «Notre ami le roi» (2). Le titre de son ouvrage est inspiré par le propos que le président Jacques Chirac a tenu à Mohammed VI, son successeur, lors des funérailles du roi défunt, le 25 juillet 1999, à Rabat: «Majesté, je dois beaucoup à votre père et, si vous le souhaitez, tout ce qu’il m’a donné, je m’efforcerai de vous le rendre». Cette promesse a aussi une histoire qui remonte au défilé du 14 juillet, quelques jours plus tôt, sur les Champs Elysées. Hassan II en est l’invité d’honneur et, se sentant proche du crépuscule de la vie, il demande solennellement à Jacques Chirac de veiller sur ses enfants, d’être pour eux le père qu’il ne serait plus et de veiller sur Mohammed VI dans son métier de roi…

Requête rencontrée et parole tenue, constate Jean-Pierre Tuquoi: «Aucun chef d’Etat n’a défendu la monarchie marocaine avec une constance égale à la sienne. (…) Lorsque le Maroc se retrouve en fâcheuse posture au Conseil de sécurité de l’Onu sur le dossier du Sahara occidental; lorsque Rabat, comme en 2004, déporte dans le désert des émigrés clandestins (…); lorsque les pays de l’Union européenne exigent du royaume davantage de démocratie en contrepartie de l’aide financière de Bruxelles, la France est là pour défendre bec et ongles l’ancien protectorat et lui obtenir un traitement de faveur».

Cette relation privilégiée est entretenue par les visites de Jacques Chirac au Maroc «où il s’est rendu plus fréquemment qu’en Bretagne ou en Aquitaine» depuis qu’il est Président et, souvent à titre privé, séjours qu’il passe désormais à «La Gazelle d’or», palace paradisiaque plus discret que «La Mamounia» de Marrakech. Elle est aussi alimentée par les excursions régulières de membres de la famille royale marocaine à Paris, par l’éducation des enfants de celle-ci au sein du Collège royal auprès duquel sont détachés des enseignants mis à disposition par l’Education nationale française ou par les liens très étroits entre Jacques Chirac et Lalla Meryem, fille aînée de Hassan II.

Le livre de Jean-Pierre Tuquoi décrit très bien les ressorts de cette «affaire de famille» franco-marocaine et les dérives auxquelles elle peut conduire, comme lorsque Paris, par son soutien indéfectible à Rabat, réussit à crisper ses relations avec l’Espagne de José Maria Aznar, à la suite de l’affaire de l’îlot de Persil, à l’appartenance incertaine, que des militaires marocains avaient soudainement investi avant d’en être délogés par l’armée espagnole. Un livre éclairant qui bénéficie de certaines révélations, aux allures de règlement de comptes, de l’ancien ministre de l’Intérieur d’Hassan II, Driss Basri.

(1) «Majesté, je dois beaucoup à votre père…» France-Maroc, une affaire de famille, éd. Albin Michel, Paris, 2006, 250 pp., env. 17,5 €.

(2) On doit aussi à Jean-Pierre Tuquoi et à Nicolas Beau le pendant tunisien du livre de Gilles Perrault, «Notre ami Ben Ali: l’envers du miracle tunisien», paru en 1999 aux éditions La Découverte.

La Libre Belgique, 11/03/2006

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