La route qui mène de la ville de Tindouf au camp du 27 Février est bitumée depuis plusieurs années. Au fur et à mesure qu’on s’approche de ce camp, où les baraques avec des toits en zinc ont pris place des tentes qui faisaient le décor de cet immense bidonville, on aperçoit les efforts accomplis par l’Etat algérien pour aider ces réfugiés chassés de leurs terres par un occupant qui ne leur reconnaît aucun droit. La route goudronnée prend fin à l’entrée du camp. La place est appelée 27 Février, une date qui rappelle aux Sahraouis l’insurrection armée contre l’occupant marocain (le Maroc a envahi le Sahara Occidental en 1975, ndlr). C’est un groupement scolaire éponyme qui regroupe des classes d’école, une caserne de gendarmerie, un dispensaire et un centre culturel qui contient entre autres au cybercafé. Comme dans l’essentiel des habitations du désert, le «complexe», construit à base de terre, est peint en jaune ocre. L’évolution de la vie dans ces territoires, surveillés par des barrages militaires qui n’incommodent personne de voyage ici, est également symbolisée par ces antennes installées par Algérie-Télécom. Elles fournissent du champ téléphonique et de la connexion Internet à ces habitants isolés du monde depuis une trentaine d’années.En plus du téléphone, les habitats de ce camp de réfugiés, tout comme d’autres sites, sont raccordés au réseau électrique qui leur fournit une énergie en continu et bon marché. Les efforts des autorités locales algériennes ne se limitent donc plus au volet humanitaire. Mais vont au-delà.Assise sur un tapis «made in Sahara», Zagharit, la cinquantaine, tisse des objets à la main. Accompagnée d’une autre «collègue», cette grand-mère travaille au sein de la coopérative des femmes sahraouies des camps de réfugiés. Autour d’elle s’entassent dans ce local minuscule construit de pierres et d’argiles toutes sortes d’objets artisanaux. On y trouve des sacs à main, des fanions, des drapeaux et même des fresques murales. Tout est fabriqué par la volonté de ces femmes qui ne connaissent pas ce que le mot «fatigue» veut dire. Dès l’aube, des groupes de femmes, de tout âge, convergent vers cet atelier, le seul que possède la RASD (République arabe sahraouie démocratique). Mais contrairement à Zagharit qui opère manuellement, une dizaine d’autres femmes travaillent, dans un semblant d’atelier à quelques encablures de l’échoppe principale, dans un véritable atelier. «Nous travaillons pour aider nos familles et suppléer les hommes occupés par la guerre», raconte notre hôte, qui continue à tisser un sac à main. «Nous vendons sur place nos produits aux humanitaires européens et algériens qui viennent ici», dit-elle.A l’intérieur de l’atelier, la directrice, Fatma Bent Handou, fait office de la femme à tout faire. En plus de la direction de l’usine, cette quinquagénaire s’occupe également de la vente des produits exposés à l’entrée du hangar qui abrite «les machines». Entre deux réclames de prix à l’adresse des humanitaires espagnols, Fatma nous livre ses impressions. «Nous employons 32 femmes. Tous les trois à quatre mois, nous distribuons, équitablement, les revenus de notre effort», dit-elle fièrement. Tous les trois à quatre mois, donc, chacune des femmes qui travaillent dans la coopérative perçoit 3 000 ou 4 000 DA en guise de salaire. Cela semble dérisoire. Mais dans les dures conditions de vie des camps des réfugiés sahraouis, chaque centime compte. Il faut dire que la chose n’est pas facile. Puisque si les prix proposés sont parfois élevés – un portefeuille cousu main peut aller jusqu’à 6 euros – les produits trouvent difficilement preneur, puisqu’ils ne sont vendus que sur site. La quasi-totalité des habitants des camps des réfugiés de Tindouf vivent de l’aide humanitaire internationale. Il est vrai que, depuis quelques années, des échoppes, généralement faites de bric et de broc, sont construites un peu partout autour des camps. En ce milieu de mois d’avril, on peut s’offrir des yaourts, des biscuits fabriqués en Algérie ou même du pain à des prix abordables. Parfois un peu moins chers que les tarifs pratiqués à Tindouf, leur ville de provenance. Dans «les boutiques» de ce camp de réfugiés, appelées en espagnol «Tinda», point de fruits et légumes, ni de viandes. Seules quelques boutiques en sont pourvues. Pourtant, ces aliments sont plus que vitaux pour le bon fonctionnement de l’organisme. Même disponibles, ces produits ne sont pas à la portée de la bourse dérisoire des Sahraouis. Pour combler le déficit en alimentation, les organisations humanitaires distribuent, au mois de Ramadhan, des fruits et légumes frais. Le reste de l’année, «les organisations humanitaires donnent un kilo de chaque produit par tête d’habitant mensuellement», témoigne Fadili, un jeune militaire qui vit, en dehors de ses heures de mobilisation, de petits boulots. A titre d’exemple, une famille de 4 personnes reçoit un ratio de 4 kg de riz par mois !!!! De quoi tenir juste une semaine. Mais c’est toujours «mieux que rien», soupire notre interlocuteur. Comme beaucoup de ses compatriotes, Fadili vit chez ses parents. A 21 ans, ce jeune militaire a quitté l’école pour aider son père et sa mère à surmonter les difficultés de la vie. Scolarisé à Boussaâda (w. de M’sila), Fadili a dû renoncer à l’école au bout du collège. «Je devais m’engager dans l’armée. Puis, j’ai voulu aider mon père», dit-il, tout en s’occupant à préparer le thé, une véritable passion dans ces contrées désertiques. Sa mère, Mennou, est la maire de la «5e commune» de la wilaya de «27 Février». Entre les tâches ménagères et ses responsabilités à la «mairie», cette quinquagénaire est toujours disponible. Elle ne se plaint presque jamais. Preuve de sa mobilisation, elle n’a pas assisté au Congrès de l’Union des femmes sahraouies qui se tient à quelques mètres de chez elle. «J’ai beaucoup de boulot», justifie-t-elle.Si elle se plaint, c’est juste pour pourfendre le régime marocain, responsable, à ses yeux, des malheurs de son peuple. Elle est fière d’annoncer que Aminatou Haïdar est la cousine de son mari. «Malgré la répression, elle a refusé de prendre le passeport marocain. Ella crié haut et fort qu’elle est sahraouie !», témoigne-t-elle avec fierté.Aminatou Haïdar est une véritable icône pour les Sahraouis. Vivant dans «les territoires occupés», le portrait de cette infatigable militante pour la libération de son peuple est pratiquement dans toutes les maisons des Sahraouis. A côté de ceux de El-Ouali Moustapha Sayed, fondateur du Polisario, et de l’actuel président de la RASD (République arabe sahraouie démocratique), Mohamed Abdelaziz. La dame, qui vient de recevoir le statut de citoyenne d’honneur en Italie, s’est illustrée l’an dernier par une grève de la faim qui avait duré 32 jours. Elle avait protesté contre les autorités marocaines qui lui avaient refusé l’accès à Laâyoune, sans passeport. Elle avait tout simplement refusé de montrer son passeport marocain. Elle avait, par contre, choisi de porter la mention «sahraouie» sur la case «nationalité» de la fiche de Police de l’aéroport de la ville que les Sahraouis considèrent comme leur capitale.Le système éducatif sahraoui est en construction. En plus des quelques écoles essaimées dans plusieurs endroits dans les camps de réfugiés, il existe quelques crèches, financées par les aides internationales. L’une d’elles est située au camp du 27 Février. Elle est baptisée crèche «Ibrahim Mokhtar», du nom d’un martyr sahraoui. La crèche, qui compte quelques salles et une cour,
dispose de trois sections, dont l’une fait office de l’enseignement préscolaire. «Nous dispensons des cours de langue et d’arithmétiques, en plus du sport», dira N’guia Sidha, directrice adjointe. Elle et ses collègues perçoivent «une aide» de «10 000 DA» tous les trois mois. Cela ne les empêche pas de travailler avec acharnement.Dans les écoles, même topo. Les élèves poursuivent le programme algérien en cycle primaire, exception faite de la deuxième langue qu’est l’espagnol au lieu du français. Après l’examen de passage, les élèves sont orientés dans des collèges et lycées algériens ou espagnols. A l’université, les Sahraouis étudient essentiellement en Algérie et en Espagne. D’autres pays accueillent cependant un nombre limité d’étudiants sahraouis. Il s’agit de la France, de la Libye et de l’Egypte.
Aminatou Haïdar, l’icône
Malgré l’adversité, les Sahraouis des camps de réfugiés ne délaissent pas la culture. Au centre culturel Naâja, situé dans le complexe du 27 Février, nous avons rencontré, par hasard, des membres du Théâtre national sahraoui. Composée de plusieurs comédiens, pris en charge par le ministère de la Culture situé à Rabouni (siège provisoire du gouvernement sahraoui en exil situé à 25 km au sud de Tindouf), la troupe théâtrale se veut un accompagnateur du combat libérateur des Sahraouis.«Le théâtre a accompagné la révolution dès le départ», témoigne Najem Hen-Kacem, comédien et auteur. Nous l’avons «surpris» en train de préparer une pièce intitulée Symphonie de départ, jouée à l’occasion de la tenue du 6e Congrès de l’Union des femmes sahraouies. «Au départ, les Sahraouis n’appréciaient pas notre travail. Mais ils ont fini par comprendre que ce que nous faisons est en faveur du combat», dit-il. Malgré le manque de moyens, la troupe du Théâtre national sahraoui a réalisé plusieurs pièces et s’est même produite, en 2009, au Théâtre national algérien à l’occasion de la tenue du Festival panafricain. Le transport de voyageurs est l’une des rares activités qu’exercent les Sahraouis de Tindouf. Souvent propriétaires de véhicules tout-terrain qu’ils achètent de Mauritanie, ces transporteurs traversent, durant plusieurs jours, la frontière qui sépare leur pays de la Mauritanie pour emmener des commerçants à Nouakchott ou Nouadhibou, à des centaines de kilomètres. «Je fais le trajet en 7 jours et 6 nuits», témoigne Mohamed, la cinquantaine. L’homme avoue transporter 8 personnes à l’aller et autant de personnes au retour. Le prix de la place est évalué à 5 000 DA le simple aller. Tous les voyageurs sont des Sahraouis. «Les Algériens ne vont pas là-bas», dit-il.Les voyageurs sahraouis qui se rendent en Mauritanie vont souvent à la recherche de bonnes affaires. Ils y achètent des produits bon marché qu’ils écoulent dans les camps. Ils espèrent ainsi gagner de l’argent et permettre à leurs concitoyens de s’acheter certains articles de maison moins chers que ceux qu’ils achètent en Algérie. Pour justifier leur comportent, les Sahraouis disent que les douaniers mauritaniens sont vulnérables. «Avec 200 DA, tu peux acheter n’importe quel fonctionnaire mauritanien», avouent certains jeunes rencontrés dans le camp du 27 Février. Et le trafic de drogue ? «Jamais ici», tranche un commerçant sahraoui. Selon lui, «il peut y avoir des trafiquants comme partout ailleurs, mais les narcotrafiquants ne peuvent pas pénétrer dans les camps». Les Sahraouis racontent, d’ailleurs, que la situation est devenue très dure pour les contrebandiers et les narcotrafiquants. «L’Algérie ne tolère plus ce genre de commerce. L’armée algérienne utilise désormais l’aviation pour bombarder les caravanes des trafiquants», racontent-ils.Malgré le dénuement, la société sahraouie est très ouverte. Matriarcale par excellence, elle se caractérise par une tolérance sans pareille mesure dans la région. Sans véritable lieux de loisirs, les femmes sahraouies sont pratiquement les égales des hommes. Elles se baladent en toute liberté et sans restriction «machiste» connue dans d’autres sociétés musulmanes. Pourtant, une majorité de Sahraouis sont pratiquants. Mais ils pratiquent un Islam beaucoup plus ouvert et tolérant. La preuve ? La présence quasi permanente des étrangers dans les camps ne dérange jamais les habitants qui s’accrochent pourtant à leurs traditions.L’accès aux camps des réfugiés est minutieusement filtré. Deux barrages, l’un de l’armée
algérienne et l’autre, plus loin, des gendarmes sahraouis, sécurisent l’endroit.Les sorties et entrées des Sahraouis sont contrôlées par une simple démarche administrative. Mais jamais de restriction. «Tu peux aller là où tu veux», atteste Fadili qui se félicite que les camps ne sont pas infestés de terroristes. «Les terroristes ne viennent jamais ici», dit-il.En somme, le visiteur aux camps de réfugiés sahraouis –à l’image d’une délégation d’élus français qui ont eu à le vérifier le 22 avril dernier – découvre un peuple assoiffé de liberté. Un peuple digne, qui vit dans la sérénité, en attendant de recouvrer son indépendance.
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