Chaque année, du 2 au 8 mai, un festival hors du commun pour deux raisons est organisé par une bande de jeunes espagnols surmotivés. Primo, c’est le seul festival de cinéma organisé dans un camp de réfugiés. Segundo, il a été créé pour disparaître le jour où le Sahara Occidental recouvrera son indépendance. Visite sablée du camp de Dakhla au premier jour du festival Fisahara.
Il faut trois heures pour parcourir le désert qui sépare l’aéroport de Tindouf du camp de Dakhla, le plus isolé des rassemblements humains situés en Algérie et qui réunissent quelques 200 000 Sahraouis en exil depuis 35 ans. On y accède par une route entourée de sable, rien de plus, rien de moins : « Il y a peu, des gens mouraient encore sur cette route, confie Nacho, un journaliste espagnol connaisseur de la région. Les choses avancent dans le désert de la Hamada. Mais elles ne vont pas plus vite que la prise de décision de l’ONU, qui s’est engagée il y a vingt ans à organiser un référendum d’autodétermination pour permettre aux Sahraouis de décider de leur destin collectif (annexion du Sahara Occidental au Maroc ou indépendance). Ils attendent toujours.
La lenteur se transformant en retard, un groupe d’Espagnols a débarqué il y a huit ans armé de bobines de films, de rétro-projecteurs, d’appareils-photo et d’un amour profond des habitants des camps. Leur objectif ? Divertir ses habitants, rompre la routine ensablée faite de thé, de cigarettes et de temps à tuer, en injectant une bonne dose de cinéma, de bonne humeur et d’échanges culturels. David, Laura, Carlos, Gerardo, Paz et tous les autres sont venus insuffler de l’oisiveté fructueuse dans un monde de privation, et cela n’a rien de drôle.
« C’est un mauvais signal ». Le responsable de la presse du festival Fisahara est partagé sur la construction de la fin de la route asphaltée, bien qu’il apprécie de ne pas passer trois heures dans les dunes. Carlos Bardem, un des invités du festival et surtout un habitué, est lui très inquiet : « Plus ils construisent ici, plus le Maroc va jouer la carte du fait accompli : Vous voyez, il n’y a aucune raison d’organiser un vote puisqu’ils sont bien ici. » Le débat ne tranche pas mais pointe le paradoxe de la situation actuelle des Sahraouis, entre leur envie de lever l’ancre au plus vite et celle de vivre dans la dignité, avec le risque de rester encore longtemps…
“Hamada” : “putain, il n’y a rien”
« Hamada », tu sais ce que ça signifie ? » Sidi revient tout juste de Libye. Ce Sahraoui parti étudier à Cuba en 1988 – ils étaient 450 cette année – a parcouru le monde entier avant de devenir ingénieur civil pour une boîte espagnole et d’aller faire une mission à Tripoli. Impossible de rester sur place avec la guerre entre pro et anti-Kadhafi et les bombardements de l’OTAN, si bien qu’il est de retour au pays. Beaucoup de « Cubarahuis » suivent le même itinéraire : des études à l’étranger, la découverte de toutes les choses interdites dans un désert, l’obtention d’un diplôme, puis le retour dans un lieu sans perspectives pour les jeunes. De quoi se ronger le sang. « Joder, no hay nada » (« Putain, il y a rien !), « Hamada », voilà ce qu’auraient dit les premiers nomades à se balader dans le coin.
Le festival Fisahara, c’est du donnant-donnant, un contrat tacite qui dispose que les Sahraouis racontent leur histoire aux jeunes du monde entier, qui en retour leur mettent à disposition des moyens de s’exprimer. Pendant toute la semaine du festival, des ateliers de formation sonore, cinématographique, d’édition et de production sont organisés par les volontaires du festival. Le Fisahara a pour objectif de disparaître en même temps que ces camps arides, mais il y laisse de petites traces de changement, comme la création d’une école de cinéma l’an dernier, où les Sahraouis réalisent les premiers court-métrages d’une longue série. Mais doucement. Ici, tout vient à point à qui sait attendre.
Cafe Babel, 04/05/2011
Soyez le premier à commenter