Après avoir réalisé la plupart de mes films précédents dans l’ouest saharien (Némadis, des années sans nouvelles / Racines lointaines / Le Cercle des noyés / Les Dormants), il m’est apparu évident de réaliser un film sur le peuple sahraoui, sur son territoire, sur son enfermement dans les rêves des uns et des autres.
De tradition et de culture nomade, les Sahraouis sont en exil pour la plupart, depuis 1976, dans un bout de désert en Algérie. Ils sont aujourd’hui près de 160 000 à survivre dans ces camps de réfugiés.
Leur territoire, sous occupation espagnole jusqu’en 1976, fait l’objet depuis lors d’une guerre qui oppose le Front de Libération du Sahara occidental (POLISARIO) à la Mauritanie jusqu’en 1979 et au Royaume du Maroc jusqu’à aujourd’hui ; et ce malgré le droit à l’autodétermination qui a été reconnu au peuple sahraoui par la Cour internationale de Justice.
Pour empêcher les embuscades menées par le POLISARIO, l’armée marocaine a achevé en 1989 la construction d’un mur de 2400 km qui traverse le territoire sahraoui. Ce mur, sous haute surveillance militaire, permet depuis lors au Maroc d’occuper une partie de ce territoire et de l’exploiter.
Un cessez-le-feu maintient depuis 1991 les deux camps dans une guerre de l’attente et de l’usure, sans qu’une solution politique à ce conflit parvienne à voir le jour et sans que la communauté internationale ne s’en soucie véritablement.
En tant que cinéaste, j’ai voulu témoigner de cette situation méconnue pour la plupart, mal connue pour ceux qui se souviennent de ce conflit dont il fut surtout question avant la fin de la guerre froide.
Ce projet de film est né il y a trois ans. Pour le mettre en chantier, j’ai réalisé plusieurs repérages de part et d’autre du mur. A l’origine, mon idée était de reconstituer au travers de relevés topographiques à l’intérieur du territoire sahraoui l’histoire du Sahara occidental.
Au cours des repérages qui se sont déroulés dans les camps de réfugiés et dans la partie du territoire sous contrôle du POLISARIO, j’ai eu l’occasion de faire de nombreuses rencontres avec des Sahraouis. En devenant le témoin des récits de leur exil, de leur lien à la terre et au territoire en tant que nomades, j’ai pris conscience de l’ampleur de leur enfermement. Un enfermement physique mais aussi un enfermement de la pensée et de l’imaginaire.
Il est ainsi devenu évident que je devais construire le film géographiquement à partir des camps de réfugiés et des zones sous contrôle du POLISARIO. Autrement dit, sans cesse se rapprocher du mur et ne jamais le dépasser, rendre compte de l’imaginaire des Sahraouis, lorsqu’il est question du territoire sous occupation marocaine, et ne jamais y pénétrer.
Bien que le sujet de ce film soit politique, mon idée a toujours
été de permettre aux enjeux du conflit de se révéler à travers une forme cinématographique, tant pour la narration que pour l’image et le son. Je suis en effet convaincu que la force d’un film réside dans sa capacité à sublimer par l’esthétique le propos et à octroyer au spectateur une place à partir de laquelle il pourra se mouvoir en pensée.
L’expérience humaine des images et des sons
Si l’élaboration de ce film a débuté après mon documentaire Le Cercle des noyés, tourné en vidéo haute définition, j’ai terminé un autre film Les Dormants, tourné en super 8 mm, avant que ne débute le tournage de Territoire perdu.
L’expérience du tournage en super 8 mm sur Les Dormants fut fondamentale dans mon parcours de cinéaste et déterminante pour le filmage de Territoire perdu.
En effet, tourner avec une caméra super 8 mm, donc à la main, s’est révélé être une façon pour moi de prolonger le ressenti de mon corps dans un geste, celui de filmer, de permettre aux frémissements intérieurs, ceux du ressenti et non plus seulement de l’intellect, de s’incarner dans des images. Ceci est d’autant plus vrai lorsque – comme c’est le cas en pellicule – le nombre de bobines est limité et que par conséquent l’acte de filmage agit comme un rituel.
Dès le début du tournage de Territoire perdu, mon intention
fut de mailler des images de corps et de visages avec des images d’espaces.
Comme l’écrivait Julien Gracq dans son ouvrage, Carnets du grand chemin, il y a deux manières de regarder : à la façon du presbyte qui se met à distance pour regarder ou à la façon du myope qui doit se rapprocher pour voir plus clairement. En travaillant à partir de ces deux formes de regard, j’ai voulu inscrire davantage la relation qui unit les Sahraouis à l’espace, à la terre, au territoire.
Si le tournage a duré plusieurs semaines, quelques heures seulement d’images ont été tournées. Cette manière de tourner à l’économie est un choix de réalisation. Il témoigne pour moi de la nécessité de ne filmer que dans une forme d’état d’éveil, d’attention, de vigilance, qui aiguise le regard au point d’être en qu
ête sans cesse de l’image unique, essentielle.
ête sans cesse de l’image unique, essentielle.
Parallèlement, après avoir construit des liens privilégiés avec les témoins, j’ai enregistré sur le vif des récits de vie, de disparitions et d’exil. L’idée était de conserver par l’entremise de ces enregistrements en situation la fébrilité qui habite les histoires que l’on raconte pour la première fois ou presque, de donner aussi autant d’importance aux souffles et aux hésitations qu’aux mots.
La création sonore du film s’est élaborée sous la forme de deux expériences.
Durant le tournage proprement dit, des sons purs et isolés, propres au désert, à sa nudité et à ses vents, ont été récoltés. Ces sources sonores ont ensuite été rejouées à l’aide d’enceintes dans des cavités (prismes, globes en verre…) et réenregistrées de manière transformée.
Dans un second temps, en Lozère (Fance) cette fois, les ambiances sonores ramenées du Sahara occidental ont été mises au travail dans des chambres d’écho naturelles (grottes, avens, cheminées).
Il était important pour moi que les sons dans le film soient éloignés du réel, évoquent un univers mental, deviennent une forme de pensée, celle qui naît de la solitude et de l’oubli.
Le montage du film quant à lui s’est déroulé à la manière de la fabrication d’un tricot ; à savoir monter l’image en même temps que la narration sonore avec l’idée que chaque son choisi induise l’image qui va suivre et inversement.
Mais il est une expérience plus belle encore, née de ces gestes de cinéma, celle d’avoir rencontré des hommes et des femmes au Sahara occidental et d’avoir pu imaginer avec eux un film, le rêver, le désirer, comme une renaissance.
Si-peu-de-nous, 28/04/2011
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