Tropismes

Quand les bruits de couloirs ne sont plus audibles, nous nous faisons un plaisir de vous les faire parvenir. Musique.

La crise politique qui frappe le monde arabe secoue l’Europe. Elle fait apparaître, chaque jour qui passe, au grand jour les failles de sa diplomatie d’une part, et le grand fossé qui sépare ses instances exécutives (Conseil et Commission) de ses institutions politiques et législative tel le Parlement européen d’autre part. Ainsi, lorsque le président du PE, Jersy Buzek, déclare que «la page de l’ancien régime politique égyptien doit être tournée» et appelle à la constitution d’un nouveau gouvernement comprenant toutes les forces démocratiques; Catherine Ashton, vice-présidente de la Commission et représentante de la politique étrangère de l’Union, se contente d’encourager «une transition sans heurts vers la démocratie». Ce qui, rappelons-le, a poussé l’eurodéputé belge Guy Verhofstadt, président du groupe libéral au PE, à lancer à Mme Ashton: «dans l’affaire égyptienne je me sens plus représenté par le 1er ministre turc que par vous».

 Le fossé est encore plus grand entre les gouvernants européens et leurs opinions et sociétés civiles organisées. Manifestations et appels d’innombrables associations et ONG pressant leurs gouvernements à plus d’intransigeance et de fermeté vis-à-vis des régimes politiques au sud de la Méditerranée et dans le monde arabe se multiplient depuis le 17 décembre, jour du «départ» de la révolution tunisienne. Le désarroi politique de l’Europe face à la révolte des peuples arabes est d’autant plus profond qu’elle ne dispose pas de relais dans les sociétés arabes pour mesurer la portée de leurs revendications et encore moins celle de leurs aspirations.

 Depuis 60 ans, l’Europe se suffit des seuls gouvernants en place au sud de la Méditerranée, pour peu que leurs intérêts commerciaux soient garantis. La compromission avec les régimes corrompus et répressifs du monde arabe s’est aggravée depuis l’apparition du phénomène terroriste d’obédience islamiste ces 20 dernières années, sacrifiant les courants démocratiques arabes par la lutte antiterroriste. L’inexistence d’un lien fort et dense entre les gouvernements de l’UE et les partis d’opposition démocratiques arabes, ainsi que les sociétés civiles et les milieux intellectuels, explique, aujourd’hui, les hésitations de l’UE à se prononcer clairement sur l’obsolescence définitive des régimes arabes.

 Pire, l’UE ne dispose d’aucun audit politique et social dans les pays arabes, et encore moins d’une stratégie d’accompagnement pour préserver l’avenir. L’UE est, face à la révolution en marche au sud de la Méditerranée, en position d’observateur, d’attente. Elle est tétanisée. Aujourd’hui, apparaît au grand jour toute l’insignifiance des multiples cadres de partenariat que l’UE a bâti avec les pays arabes, à commencer par celui de l’Union pour la Méditerranée. Non pas que ce dernier projet ne soit pas noble, mais parce qu’il est construit sur la seule base de l’intérêt commercial, loin de toute dimension humaine.

 Faut-il rappeler combien de programmes financiers d’accompagnement et d’aide à la société civile n’ont jamais abouti parce qu’ils ont été versés au compte des gouvernements ? Est-il nécessaire de lister le nombre d’humiliations subies par les démocrates arabes, chez eux, sans que l’Europe ne s’en émeuve ? La crise arabe sera-telle l’occasion pour l’UE de se ressaisir et de penser à une coopération avec le monde arabe exempte de toute complicité d’atteintes aux droits humains ? La différence est énorme entre l’UE et les USA dans l’engagement aux côtés des peuples dans leur aspiration à la liberté. Ce devrait être le contraire tant leur proximité est naturelle et, surtout, leur histoire et la densité de leurs liens séculaires.

 Que l’on veuille ou non, les USA ont anticipé sur la révolte arabe d’aujourd’hui et l’ont annoncé dès 2003 avec leur initiative dite du Grand Moyen-Orient (GMO). Quand George W. Bush, avec toutes ses tares et violences politiques, annonce dans son discours sur l’état de la Nation, en janvier 2004, que: «tant que le Grand Moyen-Orient – du Maroc aux pays du Golfe – restera un lieu de tyrannie, de désespoir et de colère, il continuera de produire des hommes et des mouvements qui menaceront la sécurité» ; il y a de quoi s’interroger sur la capacité de l’Europe à peser sur le cours de l’histoire. Pour l’anecdote, rappelons que l’UE a été la première à réagir négativement et à critiquer le diagnostic américain des régimes politiques arabes. Il ne s’agit pas d’attribuer le verdict américain à George W. Bush ou à cautionner un quelconque de ses actes ; il s’agit de montrer tout l’abîme qui sépare la vision européenne et celle des Américains dans l’appréciation des politiques arabes et de leurs évolutions historiques. Au moment où cette chronique est rédigée, le sort du dictateur égyptien Hosni Moubarak est plus que jamais scellé. Et l’Europe ne sait pas encore que faire et dire. Ce sera pareil pour la suite de la révolution dans les autres contrées arabes.

par Notre Bureau De Bruxelles : M’hammedi Bouzina Med  
Le Quotidien d’Oran, 13/02/2011

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