Le monde arabe, Israël et la démocratie

Il y a une bonne quinzaine d’années j’ai rédigé un texte à propos du lien tabou entre l’absence de démocratie dans le monde arabe et les intérêts stratégiques d’Israël.


Cette analyse venait en réaction à une phrase que l’on entend presque toujours dès lors que l’on aborde la situation au Proche-Orient. «Israël est la seule démocratie dans la région» : voilà l’argument qui est censé faire taire tous ceux qui critiquent ce pays pour le sort qu’il inflige aux Palestiniens». Le raisonnement est connu : Entouré de dictatures arabes hostiles, Israël mériterait le respect et l’indulgence tout en ayant le droit de se défendre par tous les moyens.

 Dans mon texte, j’ai d’abord commencé par poser une simple question. Si Israël est une démocratie, pour qui l’est-elle ? Pour les Israéliens ? Assurément, même si on peut critiquer la militarisation de sa classe politique et le blocage de son système électoral qui fait que ce pays devient de plus en plus ingouvernable. Je n’ai aucun problème à reconnaître qu’Israël est, pour ses citoyens, une démocratie et un Etat de droit. Mais est-ce le cas pour les Arabes israéliens ? Pas sûr. Est-ce le cas pour les Palestiniens, qui sont, pour le moment et qu’on le veuille ou non, des Israéliens sans statut ni papiers : absolument pas.

 Mais tel n’était pas l’objectif prioritaire de l’analyse. Dans cette opinion, j’ai essayé de mettre en lumière ce curieux paradoxe qui consiste à déplorer l’absence de démocratie dans le monde arabe sans vraiment soutenir le changement et sans avoir le courage d’avouer que cette même absence de démocratie a souvent fait l’affaire d’Israël. Et pour illustrer mon raisonnement, j’ai pris l’exemple de l’Egypte. Un cas concret qui est d’actualité comme le montrent les cris d’orfraie que poussent certains politiques et intellectuels français face à la perspective d’une chute du régime de Moubarak, un grand démocrate comme chacun le sait…

 Le raisonnement est très simple. Est-ce que le peuple égyptien aurait accepté les accords de Camp David s’il avait eu le droit de donner son avis et, surtout, si cet avis avait compté ? Peut-être que oui. Mais ce peuple aurait certainement imposé à ses dirigeants de l’époque une plus grande sévérité à l’égard d’Israël et, surtout une plus grande vigilance dans l’application d’un traité de paix qui, rappelons-le au passage, devait aussi conduire au règlement de la question palestinienne. C’était en 1978, et l’on attend toujours la naissance d’un Etat Palestinien… En réalité, c’est bien parce que Sadate était un dictateur qu’il a pu signer la paix contre l’avis de son peuple et d’une grande partie de la diplomatie égyptienne qui considérait que le raïs avait été trop vite et trop loin dans les concessions. Au passage, relevons que c’est aussi parce que les Jordaniens n’ont pas leur mot à dire que leur roi a signé la paix avec Israël. Là aussi, la dictature s’est avérée être bien utile pour Tel Aviv.

 Autre question : imaginons aujou-rd’hui que l’Egypte devienne une démocratie où le peuple aurait son bulletin de vote à faire valoir ? Qui peut jurer qu’un référendum ne mènera pas à la remise en cause de ces accords de Camp David ? Il n’y a pas que les Frères musulmans qui sont hostiles à l’Etat hébreu ou qui sont solidaires de la cause palestinienne. C’est toute une société, y compris la haute bourgeoisie égyptienne, qui vit dans une drôle de schizophrénie. D’un côte, il lui faut assumer la paix avec Israël, de l’autre, elle se laisse aller parfois aux pires diatribes antisémites.

 Pour autant, il y a très peu de risque que le peuple égyptien réclame une nouvelle guerre contre Israël. Bien au contraire, la liberté recouvrée le poussera plutôt à préserver cet acquis plutôt que de s’engager dans une aventure risquée. Cela devrait rassurer les charlatans médiatiques qui, à Paris, multiplient les circonvolutions pour nous expliquer – sans paraître le faire – que, finalement, il n’y a que la dictature qui convienne aux arabes.

 On dit souvent que les démocraties ne se font pas la guerre. Pourquoi cette règle ne s’appliquerait-elle pas au monde arabe ? Débarrassés de Moubarak et de sa clientèle, les Egyptiens ont la possibilité de se choisir un gouvernement légitime. Ce dernier, répétons-le, ne va pas déclarer la guerre à Israël et je ne pense pas non plus qu’il remettra en cause Camp David. Mais si elles ne se font pas la guerre, les démocraties ne se font pas non plus de cadeaux. Plutôt que d’être un partenaire passif comme l’a été l’Egypte depuis 1978, ce pays pèsera donc de tout son poids pour que les droits des Palestiniens soient enfin respectés.

 Israël devra donc composer de manière plus sérieuse avec Le Caire. C’est peut-être cette situation et la nécessité de garder de bonnes relations avec son voisin arabe qui obligera le gouvernement Netanyahou – ou celui qui le suivra – de faire enfin des concessions sérieuses à propos des Palestiniens. Une chose que personne, pas même les Etats-Unis, ne semblent capables aujourd’hui d’imposer. Voilà donc le fond du problème. Celles et ceux qui agitent le spectre de l’islamisme pour décrédibiliser une Egypte enfin libre le savent très bien. Ce n’est pas la paix et la sécurité d’Israël qui sont en jeu mais la pérennité de son intransigeance dans les négociations avec les Palestiniens.

 Terminons enfin par cette précision. Le texte dont je fais mention au début de cette chronique n’a jamais été publié. Soumis aux pages opinions de la majorité des publications, il a été poliment rejeté y compris par un grand quotidien du soir dont un responsable m’avait expliqué, un peu gêné, qu’il y décelait un «propos provocateur». A l’époque, internet n’existait pas et avec lui ses blogs et ses médias alternatifs. Il est heureux aujourd’hui que les révoltes arabes interviennent dans un contexte de réel pluralisme éditorial. La marge de manœuvre des chiens de garde médiatiques est largement réduite et c’est tant mieux. 

Akram Belkaid, Paris
Le Quotidien d’Oran

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