Maroc-Sahara occidental: cyberpropagande, l’arme futile?

Depuis quelques années, la Toile a vu fleurir des sites Internet qui soutiennent le plan d’autonomie pour le Sahara occidental préconisé par Rabat. Des outils de lobbying à l’impact discutable.

Comme prévu, le 5e round des négociations officielles directes, menées fin janvier à Manhasset (près de New York) sous la houlette de Christopher Ross, l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU, n’a pas permis de rapprocher les positions des parties impliquées dans le dossier du Sahara occidental (Maroc, Polisario, Algérie et Mauritanie).

Un territoire que se disputent depuis 35 ans le royaume chérifien qui l’a annexé en 1975, et le Front Polisario, qui lui réclame son indépendance avec le soutien d’Alger. Malgré des promesses d’avancées «concrètes», presque rien n’aura filtré de ces pourparlers secrets. Mais loin des joutes diplomatiques, le Maroc et les séparatistes du Front Polisario continuent leur guerre d’influence sur… Internet.

Si le Polisario avait une longueur d’avance dans ce domaine —soutenu en cela par une myriade d’ONG internationales qui critiquent «l’exploitation des richesses du Sahara occidental par la force occupante», à l’instar du très actif Western Sahara Resource Watch—, Rabat met les bouchées doubles pour disséminer ses thèses et faire accepter par l’opinion internationale l’idée que seule une large autonomie du territoire contesté peut résoudre ce conflit hérité de la décolonisation et de la Guerre Froide.
La Realpolitik montée en épingle

Depuis que Peter van Walsum, le prédécesseur de Ross, avait claqué la porte en 2008 à l’issue des quatre premiers rounds de négociations et marqué sa préférence pour les thèses marocaines «par pragmatisme», —comme il s’en était défendu dans une interview accordée au journal néerlandais NRC Handelsblad— la Toile a vu fleurir une multitude de sites Internet défendant ce «principe de réalisme» cher aux diplomates de Rabat. Des sites élaborés, au graphisme résolument moderne et au contenu enrichi de «documents exclusifs»,«photographies inédites» et «d’informations confidentielles» distillés pour convaincre de la défaite en rase campagne des irrédentistes du Polisario. de

La première salve est venue d’un mystérieux collectif d’internautes marocains et algériens. Son signe de ralliement, un cœur formé des deux drapeaux; le chérifien frappé de l’étoile à cinq branches entrelacé avec celui vert et sang de la révolution socialiste algérienne. Aucune autre piste ne permet d’en savoir plus, si ce n’est leur rhétorique commune qui monte en épingle le «réalisme onusien» et les «tergiversations du Front Polisario», présenté comme un ersatz d’équilibre géostratégique révolu, verrou ultime du rêve d’union maghrébine, telle que fantasmée par les nationalistes panarabes. Une bonne douzaine de sites Internet prétendent ainsi représenter «la voix des peuples d’Afrique du Nord» contre «la junte d’Alger», caricaturée par la faucille et le marteau, l’emblème soviétique.

Le plus abouti de ces sites Internet est sans conteste Polisario-confidentiel. Riche et sans fioritures, il s’attache à pointer les vicissitudes des séparatistes avec des histoires cocasses qui décrédibilisent les caciques de la République arabe sahraouie démocratique (Rasd) et ses accointances avec la sécurité militaire algérienne. Des piques assassines destinées à jeter le discrédit sur des sécessionnistes «en mal de légitimité». Dernière offensive en date, une tentative de faire avorter un appel à manifester le 27 février dans toutes les villes du royaume, lancé via Facebook dans le sillage de l’embrasement de la rue arabe. Polisario-confidentiel accuse le renseignement algérien d’en être l’instigateur, arguant que la date choisie correspond à l’anniversaire de la création de la Rasd. Une thèse qui ne fait pas l’unanimité auprès des Facebookiens marocains. Les promoteurs de cette manifestation ne seraient en réalité que de jeunes internautes émoustillés par leurs pairs tunisiens et égyptiens, dont ils ont adopté le modus operandi et qui rêvent eux aussi d’un «grand soir» dans les rues de Rabat et de Casablanca.

D’autres sites, comme Western Sahara Online, Plan Autonomie, ou Sahara News proposent des menus interactifs usant à outrance d’outils multimédia dont sont très friands les internautes. Un de leurs objectifs affichés est de compiler des témoignages accablants sur les liens supposés du Polisario avec les terroristes islamistes de l’Aqmi, et de mettre l’accent sur un mouvement révolutionnaire obsolète, moribond et dangereux pour l’ordre mondial. Leur prose est calquée sur celle des dépêches de Maghreb Arab Press (MAP), l’agence officielle marocaine.

Le thème des droits de l’homme n’est pas en reste. Sur Droits Humains.org (qui joue la confusion avec le site d’«éducation aux droits de l’homme» droitshumains.org), c’est Amnesty International et Human Rights Watch —pourtant vilipendés par le Maroc sur d’autres thématiques internes au pays— qui sont exceptionnellement célébrés pour fustiger la situation dans les camps de Tindouf, le bastion des réfugiés du Polisario sous administration algérienne. Des rapports de l’association France Libertés de Danielle Mitterrand y relatent l’enrôlement d’adolescents sahraouis comme enfants-soldats et de jeunes filles, amazones en treillis et kalachnikovs en bandoulière, embrigadées et entraînées à Cuba pour en découdre avec l’Armée royale dans les confins du Sahara.
Un effet inverse sur le grand public

Mais l’impact de cette offensive numérique de charme est fortement décati, car le royaume de Mohammed VI n’a pas bonne presse sur le Web. Maroc Telecom, le principal fournisseur d’accès à Internet, joue les censeurs à tout va contre les sites indépendantistes sahraouis les plus virulents, leur donnant ainsi paradoxalement plus de crédibilité à l’international. Cette surveillance tatillonne qui s’exerce aussi sur les réseaux sociaux fait figurer le Maroc parmi les pays qui martyrisent le plus régulièrement leur blogosphère. Pire que cela, la palanquée de sites qui font l’apologie des vues de Rabat sur le conflit saharien est souvent référencée par Google ou d’autres moteurs de recherche comme… des messages publicitaires.

Ces sites, dont les promoteurs sont souvent anonymes, ressortent certes parmi les premiers résultats de recherches sur le Web et pointent en bannières promotionnelles d’autres sites critiques envers le Maroc, mais leur efficacité demeure discutable. A l’évidence, un budget assez important versé par des officines de l’Etat leur assure un excellent référencement, mais trahit en même temps leur nature propagandiste.

Car à trop vouloir miser sur les outils qu’offre Internet, cette stratégie de lobbying finit par susciter l’effet inverse auprès du grand public.
Ali Amar

Source : Slate.fr, 07/02/2011

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