Il faut vous savoir gré d’associer le Maroc aux « dictatures » tunisienne et égyptienne. Toujours prompts à nous désinformer, nos médias s’en gardent bien. Ils se réveilleront, par nécessité une fois de plus, si des mouvements venaient à confirmer les actes de contestation actuels dans ce pays. En l’état, on s’offusque ou l’on fait semblant de s’offusquer des vacances tunisiennes d’Alliot-Marie mais, si rien ne bouge, on ne s’intéressera pas à celles, bien plus scandaleuses, du Président de la République au même moment dans l’un des nombreux palais du Roi, sans bourse délier bien évidemment. Il faudra attendre que le Roi soit devenu « le tyran » et ce n’est pas pour demain, la « gauche », tout aussi compromise, observe de loin… derrière les volets clos de ses riads marrakchis.
Il conviendrait, en effet, d’élargir le sujet. Pourquoi s’en tenir à tel ou tel soi-disant dérapage alors que ces agissements sont la norme. En les ciblant ponctuellement, on montre l’arbre pour cacher la forêt. Et la forêt, c’est la collusion entre le pouvoir et la grande bourgeoisie, c’est même, politiquement parlant, le pouvoir de la bourgeoisie. Dès lors, toutes ces gesticulations ne sont que poudre aux yeux. Toutefois, pour avoir conscience de cette configuration politique, il faut admettre le principe marxiste de la division de la société en classes et son corollaire, l’Etat instrument au service de la classe dominante.
Cela étant, l’ébranlement de ces régimes sous la poussée populaire laisse rêveur. On ne peut manquer de faire des parallèles qui ne semblent pourtant pas effleurer l’esprit des commentateurs. Ils s’enflamment de façon souvent péremptoire au sujet des « aspirations du peuple », de ses « légitimes revendications », de sa « soif de liberté » et, par-dessus tout, de sa « quête de démocratie », concept sacré qui s’impose d’évidence sans toutefois que l’on cherche à le définir ni à le placer dans un quelconque contexte. Toutes ces belles formules sont respectables lorsqu’il s’agit de pays étrangers, mais exclues du discours pour son propre peuple. Est-on sûr que nous soyons plus en démocratie en France que dans ces pays en révolte quand on sait que ce n’est pas 1 million de manifestants (chiffre vraiment énorme pour les journalistes) mais entre 2 et 3,5 à battre le pavé en 2010 et auxquels a répondu la classe au pouvoir par la méprisante raffarinade « Ce n’est pas la rue qui gouverne ». N’étions-nous pas nous-mêmes, toutes proportions et nuances gardées, « préoccupés de progrès social, aucunement obsédés par la question religieuse, assoiffés de liberté, excédés par la corruption, détestant les inégalités et réclamant la démocratie pour tous, sans exclusives » ? Ne demandions-nous pas à notre Raïs de dégager lui aussi en scandant le si bien venu « Casse-toi, pov’con ! » ? Le peuple, théoriquement partie prenante de la démocratie occidentale, a-t-il un quelconque pouvoir ?
Ah, comme on aimerait que la contagion tant évoquée, aux autres pays du « monde arabo-musulman » s’étende au « monde judéo-chrétien » et que nos responsables syndicaux s’inspirent de ces événements et cessent de proclamer lorsqu’un mouvement de protestation se déclenche qu’ils ne bloqueront pas le pays !
A ce propos, pour terminer, je relève amicalement ce que j’estime être une erreur de jugement contenue dans cette phrase : « C’est une des rares fois où, sans leader, sans organisation dirigeante et sans programme, la simple dynamique de l’exaspération des masses a suffi à faire triompher une révolution. ». Rare sinon unique, en présence de quel phénomène est-on ? Rappelons-nous la maxime de Lénine qui, en l’occurrence, prend toute sa valeur : « Pas de révolution sans théorie révolutionnaire », donc sans dirigeant, sans organisation, sans programme. Vous soulignez très justement « tout change pour que rien ne change ». Ce qui signifie qu’aussi bien en Egypte qu’en Tunisie, il s’agit d’une révolte mais pas d’une révolution.
El Diablo, 5/02/2011
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