"La vague de changement dans les pays arabes arrivera à l'Occident"

Alvaro Frutos, président de l’ONG Charte Méditerranéenne, ne peut pas éviter de tracer un parallélisme entre la vague de changements qui vit le monde arabe et la chute des régimes communistes de l’Europe de l’Est. Il se rappelle d’une réunion de l’OTAN à laquelle il a participé comme directeur du Cabinet de Crise de la Moncloa en 1989 sur les menaces de l’avenir, dans laquelle des experts de toute sorte mettaient l’Union Soviétique et ses pays satellite dans la ligne de mire. La même nuit, à l’hôtel, quelqu’un a sonné à sa porte et lui a dit d’allumer la télévision : le mur de Berlin tombait. « Et il ne tombait parce que vieux, ni par les chards de l’alliance, mais parce que les citoyens tiraient sur lui à coups de pioche parce qu’ils voulaient vivre dans un système comme l’Européen, avec des libertés publiques et des horizons de vie. Et personne n’a été capable de le voir venir ».

Il considère que l’effet domino déclenché alors est un bon précédent pour anticiper les changements qui viendront. Frutos participe à Vitoria aux journées « Parlant du Sahara Occidental sans crispation ». De nouveaux paradigmes pour les Droits de l’homme célébrées entre hier et aujourd’hui à Vitoria.

Question : Pourquoi le conflit du Sahara Occidental déclenche-t-il tant de passions en Espagne ?

Réponse : Lorsque quelqu’un a eu l’idée du titre des journées, il y en a qui a dit que cela était impossible. Lorsque nous organisions les collaborations, ils nous disaient tous « moi, je suis pro-sahraoui » ou « moi, je suis pro-marocain ». Moi, de mon côté, je suis pro-droits de l’homme, pro-libertés publiques, je veux voir des démocraties au Sahara Occidental, au Maroc, à Tunis, partout.

Q : En Espagne il y a un certain sentiment de culpabilité en ce qui concerne la cause sahraouie.

R. Il y a une culpabilité, mais une culpabilité mal analysée ou mal interprétée. Parce que le Gouvernement espagnol de l’époque, avec la dictature dans une situation très faible, l’a fait très mal. Celle de Hassan II était aussi faible : c’était presque une opération de maquillage pour avoir une cause nationale avec laquelle unir le peuple marocain autour de sa personne et cela il faut le tenir très en compte. Il est important que les experts se mettent d’accord, à travers le dialogue, pour trouver des points en commun pour que la citoyenneté ne soit pas pro-quelque chose sans bien savoir pourquoi.

P. Serait-elle viable, une solution dans laquelle les deux parties ne soient pas d’accord ?

R. Il faut chercher le point de rencontre, la solution Baker [une période d’autonomie pour le Sahara Occidental après un référendum au préalable] était possible mais le Maroc l’a sabotée depuis le début. L’objectif qu’il faut chercher est de résoudre les problèmes. Et ce qui est important c’est qu’il y a une quantité innombrable de personnes déplacées de chez elles dans des champs de réfugiés. Et cela est inacceptable si nous prenons au sérieux les Droits de l’homme.

P. Convaincront-elles les propositions d’autonomies du Maroc si elles ne viennent pas accompagnées des changements démocratiques ?

R. Avec la succession de Hassan II et l’arrivée de Mohamed VI l’on a essayé de faire une transition politique similaire à celle de l’Espagne. Mais ils ont primé les intérêts économiques : les castes privilégiées se sont occupées à satisfaire leurs besoins. Le changement dans les pays arabes impliquera finir avec certains privilèges.

P. L’Espagne avait l’Europe comme référence dans sa transition. Allons-nous à l’aveuglette dans les pays arabes ?

R. Le modèle est l’Européen, en maintenant les particularités de chaque pays. Si un parti démocrate – chrétien a gouverné l’Italie pendant presque 40 ans, pourquoi ne va-t-i pas le faire un autre de nuance islamiste en Égypte, à condition de respecter les libertés publiques et les droits fondamentaux avec des garanties sociales et une justice indépendante ? Une classe moyenne doit faire surface qui soutienne l’état du bien-être, avec un système fiscal qui assure une distribution du revenu : ils doivent entreprendre de vrais processus constituants.

P. Quel rôle doit jouer l’UE dans cela ?

R. L’UE doit laisser la bureaucratie et faire la politique avec des majuscules. Nous avons besoin d’idées, mais il semble que les penseurs sont en congé. Le modèle que nous avons déjà ne nous convient pas, parce que nous n’avons pas la capacité de croîssance d’avant et parce que nous devrons partager avec ces pays pour maintenir notre sécurité. La vague de changements arrivera à l’Occident.
K. Asry



Álvaro Frutos (Madrid, 1960) licencié en Droit à l’Université Complutense de Madrid. Directeur Général de la Direction de Crise de la Présidence du Gouvernement entre 1989 et 1996, professeur en excellence de la Faculté de Sciences Economiques et Administration d’Entreprises à l’Universoté Européenne de Madrid et membre du Conseil Social à l’Université Carlos III. Président du Groupe Cofivacasa, dépendant de la SEPI, dirige depuis 2008 la Charte Méditérranéenne, une ONG connue comme un réseau d’intellectuels et penseus qui parie sur le concept de diplomatie publique.


El Pais, 05/02/2011
Traduction non-officielle de Diaspora Saharaui

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