Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Notre très beau et magnifique pays regorge de talents extraordinaires et peu de choses sont faites pour encourager la créativité de nos jeunes compatriotes. Le CJDM, profitant de sa diffusion internationale grâce à sa présence sur le réseau mondial et multimédia Internet, a décidé de remédier à cette situation pour sortir un écrivain talentueux de l’ombre. Ce monsieur, Abderrahim de son tendre prénom, a été condamné par le sort et par l’inculture de ses compatriotes à occuper un sombre bureau dans les locaux d’Aujourd’hui le Maroc, où il excerce l’ingrat métier de chroniqueur judiciaire pour le fameux journal.
Assez parlé, lisons ensemble la chronique de ce chevalier des mots. (texte en gras)
Il est chauffeur d’un grand taxi.
Ainsi commence donc cette chevauchée littéraire, par la trivialité saisissante de la vie quotidienne.
La quarantaine sonnante, ce père de famille parcourait quotidiennement, à bord de son véhicule blanc, le trajet entre la place Maréchal et le quartier El Oulfa, à Casablanca.
Le chroniqueur nous donne d’abord quelques informations de base sur notre homme, qui a la quarantaine sonnante (et trébuchante? ). Il est donc chauffeur de taxi, entre, précise-t-il, Maréchal et Oulfa. Le lecteur s’attend naturellement à ce que cette information soit cruciale à la compréhension du texte, ou qu’un moins, un évènement saugrenu ait lieu précisément sur ce trajet et qui changera complètement le cours de l’Histoire. Et bien vous savez quoi ? surprise, surprise ! cette information est complètement inutile, et le type aurait pu conduire son taxi de couleur rose pédé entre Tizi Ouazzou et Hammamat ça n’aurait absolument rien changé. Ce passage a en fait un rôle purement esthétique, contrairement à la phrase qui suit .
En fait, il est un homme tranquille.
La locution en fait a permis à l’auteur d’aller au fond des choses et de réfuter subtilement tous les clichés du taximan-truand malheureusement très répandus dans notre société.
Mais, le mauvais voisinage peut jeter quiconque dans le gouffre des rixes sans fin et le rendre une personne à problèmes.
C’est à cela que l’on reconnaît les grands écrivains : au beau milieu d’une chronique judiciaire toute banale qui n’a même pas commencé, il glisse une réflexion personnelle profonde sur les choses de la vie, et déconseille ainsi aux pères de familles, tentés par les charmes des professionnelles du sexe, d’habiter à côté d’un bordel. D’autant plus que les rixes sont, selon notre écrivain, hautement addictifs et qu’on risque facilement d’être jeté dans leur gouffre. Moi-même, qui suis pourtant pas d’un tempérament violent, me suis retrouvé dépendant des rixes et même qu’il m’en fallait au moins trois par jour. Je vous rassure, je suis sorti de ce gouffre.
Morale : si vous êtes une personne sans problèmes, et pour éviter de devenir une personne à problème (élégance du verbe), choisissez soigneusement vos voisins !
à bon entendeur !
C’est ce qui est arrivé, récemment, à ce chauffeur de taxi. Pour quelques futilités, il s’est retrouvé en confrontation avec une voisine qui n’hésitait pas à le menacer de le mettre en prison. Il n’a pas pris ses paroles au sérieux. Puisqu’il ne l’a jamais violentée. Certes, il a échangé avec elle des invectives, mais sans la toucher.
L’implication que contient ce passage est un chef d’oeuvre de logique formelle que l’on peut ainsi reformuler : Il ne l’a jamais violentée, donc il n’a pas pris ses paroles au sérieux. Tenez par exemple, Meriem, mon ex, et bien je ne l’ai jamais prise (à quatre pattes peut-être, mais jamais au sérieux). La preuve : je ne l’ai jamais violentée. J’espère seulement qu’elle n’est pas entrain de me lire … imaginez la pauvre femme qui se rend à l’évidence « Ce connard ne m’écoutait jamais, c’est pour ça qu’il ne m’a jamais frappée … ah je me disais bien qu’il était trop pacifiste ce Abou Lahab ! »
Enfin, remarquez tout de même que l’auteur nous parle au début de rixes, mais fini par préciser, quelques phrases plus loin, qu’aucune violence n’a eu lieu. Rixes mais pas de violences donc. Il s’agit de rixes bisounours à l’helvète je crois, avec à peine l’échange de ces quelques insultes
– “Tes parents se sont connus dans les chiottes de leur fac, bouuuuuuh !”
-“Toi tes parents n’ont pas voté l’année dernière bouuuuuuh !”
Continuons
Quelques jours plus tard, un policier a frappé à sa porte. C’était sa femme qui lui a ouvert la porte puisqu’il n’ était pas à la maison. Le policier lui a remis une convocation pour son mari. Celui-ci est rentré le soir.
On ne va pas non plus s’arrêter à la concordance des temps, avec laquelle seuls les poètes sont capables de prendre des libertés.D’ailleurs, derrière ce passage a priori frappant par son inutilité se cache un haiku, les fameux poèmes japonais :
Le policier lui a remis
Une convocation
Pour son mari.
Une convocation
Pour son mari.
Mais ce n’était pas tout, ce haiku fait partie d’un poème d’un genre assez exotique, où la rime a été carrément remplacé par la répétition du mot entier :
Quelques jours plus tard, un policier,
a frappé à sa porte.
C’était sa femme, qui lui a ouvert la porte.
Puisqu’il n’était pas à la maison. Le policier,
lui a remis une convocati
on,
Le soir, sa femme lui a donné la convocation,
Du policier.
a frappé à sa porte.
C’était sa femme, qui lui a ouvert la porte.
Puisqu’il n’était pas à la maison. Le policier,
lui a remis une convocati
on,
Le soir, sa femme lui a donné la convocation,
Du policier.
Passons …
Quand sa femme lui a donné la convocation de police, il était convaincu que sa voisine ne jouait pas avec les mots.
C’était donc ça ! Sa voisine ne jouait pas avec les mots ! Reamquez qu’il lui a tout de même fallu un document officiel pour enfin comprendre qu’il n’y a pas de contrepèterie dans la phrase “Je vais t’envoyer en prison”. Quel idiot !
Le lendemain, il s’est présenté au commissariat de police. Il a été informé que sa voisine avait porté plainte contre lui, qu’elle l’avait accusé de l’avoir maltraitée et qu’elle avait remis à la police un certificat médical attestant qu’elle a fait l’objet de coups et blessures qui lui ont causé une incapacité temporaire totale de vingt-six jours. Le chauffeur s’est disculpé. Il a été relâché en attendant que l’enquête soit achevée.
Vous avez bien lu : le chauffeur s’est disculpé. Il a sûrement fait des études de droit qui lui ont permis d’éviter facilement la garde à vue et un long procès.
Que devait-il faire pour prouver son innocence? Pourquoi le médecin lui a remis un certificat médical attestant qu’elle avait été maltraitée? Le médecin a-t-il constaté des traces de violence sur son corps ?
Tant de questions auxquelles le marocain lambda a déjà trouvé la réponse, mais rien n’est moins évident pour notre taximan vraisemblablement helvète. Néanmoins, il a déjà un début de réponse :
Ce n’était pas vrai.
Ah ! Donc notre chauffeur de taxi, convaincu de son innocence, a mis un certain temps et beaucoup de questions pour se rendre compte qu’effectivement, il est innocent. C’est déjà un bon début.
Enfin, le chauffeur de taxi, qui a noté le nom du médecin et le dispensaire où il exerce, a trouvé la solution convenable pour prouver son innocence.
Petit clin d’oeil, au Maroc c’est le suspect qui doit prouver son innocence.
Comment ?
Notre auteur pose la question et fait monter le suspens. On imagine bien le lecteur priant Dieu pour que cette chronique ne s’arrête pas ici, sait-on jamais, un To be continued peut surgir de nulle part nous laissant ainsi sur notre faim.
Le lendemain matin, il a recouru au dispensaire Al Massira, situé au quartier Sidi Moumen. Il a cherché le médecin puisqu’il était l’auteur du certificat médical remis à la plaignante.
Avez-vous remarqué l’usage répété de la conjonction puisque ? On se croirait en plein démonstration du théorème de Fermat-Wiles.
A partir d’ici les commentaires (en gras) seront inclus dans le texte.
Quand il l’a rencontré, il lui a demandé de lui rédiger un certificat médical attestant qu’il avait fait l’objet de coups et blessures. En deux minutes (c’est dans le PV), il le lui a remis avec un sourire aux lèvres (ça aussi c’est dans le PV) surtout quand il a vu un billet de deux cents dirhams glissé dans sa poche. Quelques jours plus tard, le chauffeur de taxi était une seconde fois parti chez le même médecin. Cette fois, il lui a demandé de lui rédiger un certificat médical pour sa mère. Le «service» a été rendu contre un billet de cent dirhams. Les deux certificats médicaux en poche, le chauffeur de taxi s’est dépêché (vous sentez le rythme monter ?) sur la préfecture de police. Il a déposé une plainte contre le médecin. Il a affirmé aux limiers (oui, moi aussi j’ai consulté le Robert) que sa mère n’est plus en vie, il y a onze ans, depuis février 1999 (si c’était juin 1998 ça n’aurait pas marché). Et pourtant, le médecin en cause (à distinguer du médecin non mis en cause, celui dont on ne parle pas ici) lui avait remis un certificat médical attestant que son corps présente des signes de violence qui ont nécessité une ITT de vingt-deux jours. Une souricière (comme le roman d’Aghta Christie) a été tendue par les enquêteurs et le médecin est tombé dans leurs filets (je croyais que le seul enquêteur dans l’affaire est le chauffeur de taxi …) . Il a été arrêté lundi 3 janvier. Deux intermédiaires qui lui cherchaient des «clients» surtout devant les portes des commissariats et dans les couloirs des tribunaux (lieux absolument pas fréquentés par les flics) ont été également interpellés par la police judiciaire. Le médecin qui a rédigé plusieurs faux certificats et ses deux complices ont été traduits, mercredi 5 janvier, devant la chambre correctionnelle près le tribunal de première instance de Casablanca. Mais, combien d’innocents ont-ils été mouillés (comme ses lectrices) dans une affaire de coups et blessures sur la base de certificats médicaux rédigés par ce médecin ? (question ouverte, vous avez droit aux calculettes. Dans quatre heures je ramasse les copies)
CJDM, 12/1/2011
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