ElDjazaïr.com :Votre dernière visite en Algérie remonte à juillet 2006, quand vous aviez été invité par le FLN. Quel est, M. Hollande, l’objet de votre visite, aujourd’hui ?
François Hollande : Ma visite est un déplacement sous le double signe du travail et de la fidélité. Elle ne répond pas à une conjoncture. Elle s’inscrit dans une démarche longue de dialogue avec un pays ami. Il s’agit bel et bien d’une continuité, dans la volonté de tisser des relations capables de préparer l’avenir.
Après Dominique Strauss-Kahn en tant que directeur du FMI et Manuel Valls, en tant que maire, vous êtes le troisième personnage du PS à venir en Algérie. N’y aurait-il pas une lecture politique à faire de ces déplacements surtout que vous n’êtes pas personnellement un habitué d’Alger ?
La visite d’une personnalité politique revêt forcément un caractère politique, quel que soit le contexte qui la motive. La mienne est surtout motivée par la nécessité de rencontrer des responsables algériens avec qui je peux échanger sur des questions d’intérêt commun: le développement des échanges, la Méditerranée, la lutte contre les inégalités. Le monde est secoué par des crises qui s’enchaînent et se reproduisent. La France et l’Algérie assument, depuis longtemps, un rôle international d’équilibre. Il est bon que nos deux pays se concertent régulièrement.
À droite aussi, c’est aussi le chassé-croisé en Algérie. Henry Guaino, Alliot-Marie, Idrac, Fadéla Amara, Raffarin et récemment Rachida Dati. N’est-ce pas là une offensive de charme en direction d’Alger à quelques mois de la présidentielle française ?
Les présences rapprochées de tant de personnalités françaises est un bon indicateur de la place stratégique qu’occupe l’Algérie dans le concert des nations. C’est également le signe que le dialogue se renoue et se renforce à tous les niveaux. Je m’en félicite car cela doit dépasser les clivages politiques. La France et l’Algérie sont les pivots incontournables du partenariat euro-méditerranéen.
Par rapport à la question de la mémoire, le discours de la gauche est mieux perçu en Algérie. Pourtant, c’est avec les gouvernements de droite que les relations algéro-françaises ont été relativement dépassionnées, mis à part sous Sarkozy…
Les blessures de la mémoire ne s’effacent pas, elles se regardent lucidement. Il n’est pas de devenir commun possible sans mémoire apaisée du passé. Je le dis et le répète avec force, la colonisation doit être condamnée. Et la France doit faire preuve de la plus grande des clartés. La patrie des droits de l’Homme, pour être fidèle à elle-même, ne peut faire moins.
À dix-sept mois de la présidentielle, il y a une nette impression que le Président Sarkozy voudrait normaliser ses relations avec l’Algérie. Pensez-vous qu’il sera facile de corriger presque deux années de brouille et de déclarations intempestives, notamment celles de Kouchner ?
Les destins de nos deux pays sont liés, depuis si longtemps, qu’aucune brouille ne pourra ralentir nos efforts dans la recherche de projets d’intérêt commun. Les maladresses politiques ne sont qu’intempérie passagère. Les relations bilatérales doivent se construire non pas dans les paroles mais dans les faits.
Quel discours la gauche devra tenir pour rassurer l’Algérie et sa forte communauté en France ?
La communauté algérienne en France évolue dans une société qui ne lui est pas étrangère. Elle partage, avec la population française, la langue, une histoire ancienne et un patrimoine culturel commun. Il s’agit d’appliquer et de garantir tous les droits sociaux reconnus à l’ensemble des immigrés par les lois de la République, d’œuvrer efficacement à la cohésion sociale, notamment dans les domaines de l’éducation et de la culture. Il faut, aujourd’hui, en finir avec toutes les exclusions.
L’Algérie apprécie mal l’alignement presque automatique de la France sur les thèses marocaines s’agissant du Sahara occidental. Comment comptez-vous convaincre l’Algérie que vous aspirez à une union maghrébine alors même que votre gouvernement continue de saborder le processus d’autodétermination du peuple sahraoui à l’ONU ?
L’Union maghrébine, comme l’Union européenne, s’inscrit dans une logique historique, humaine et économique. L’Algérie et le Maroc en seront deux piliers porteurs. Et je souhaite aussi qu’une union de la Méditerranée soit bâtie sur des réalisations et non sur des improvisations. Le conflit du Sahara occidental dure depuis trop longtemps. Il est temps qu’il débouche sur une paix durable ayant pour base les résolutions des Nations unies.
Le 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie coïncidera, ironie de l’histoire, avec l’élection présidentielle de 2012. Quel regard portez-vous sur l’évolution des relations entre les deux pays et quelle influence pourrait avoir cet anniversaire sur la thématique électorale en France ?
Les symboles jouent un rôle majeur en politique. Ils peuvent servir ou au contraire desservir. Ce 50e anniversaire de l’indépendance algérienne doit être un instrument utile pour regarder notre passé et préparer l’avenir.
Une nouvelle fois, on se bouscule à la candidature du PS. Votre ex-épouse s’est déjà mise en ordre de bataille pour les primaires et a même «grillé» Strauss-Kahn qu’elle considère comme un parfait Premier ministre. Quel serait, de votre point de vue, le meilleur candidat pour le PS ?
Celui qui pourra gagner en 2012 et réussir après. D’ici le choix que feront les sympathisants socialistes, je travaille à des propositions de gauche, ambitieuses, cohérentes et réalistes qui répondent au mieux aux aspirations de mon pays dans un moment particulièrement difficile. Ensuite, le parti socialiste saura, je vous l’assure, se rassembler derrière le candidat désigné par les primaires.
La France «Black, Blanc, Beur» reste encore un slogan creux. A quoi cela est-il dû, d’après vous ?
La France, comme nation, s’est constituée, depuis deux mille ans, par la diversité, dans la diversité. Elle est la réalité de la société française, son visage, et sa jeunesse.
Un président PS, en 2012, pourrait-il donner des couleurs à la diversité française. Que pourriez-vous faire de mieux que la droite en la matière ?
Le problème est social. L’élitisme est un barrage au plein exercice de la démocratie à tous les échelons de la société. Nous devons éviter le slogan de la « discrimination positive ». Il a montré ses limites dans les faits. Il faut donner à toute la jeunesse, sans aucune distinction, les moyens d’accès à une éducation d’excellence. Repérer et mobiliser les compétences existantes là où elles sont, en dehors des réseaux constitués. Enfin éradiquer toutes les formes de discrimination par une politique sans concession
El Djazaïr, Janvier 2011
Soyez le premier à commenter