Le Carnaval

Tout d’abord, je voudrais dire ma gratitude au cercle des jeunes débiles marocains. Débiles au point d’accepter que je dépose ma propre fiente sur leur espace (qui a dit que seuls les chiens marquaient leurs territoires de la sorte?). Je me disais: si les représentants les plus vils de notre population sous intellectuelle ont droit au chapitre, je peux me réserver le droit de les chapitrer, et de délivrer mes propres pensum sur ce qui va, ce qui ne va pas, et ce qui ne devrait pas. Aller ou pas. nihilo aut nihil. Voici une maxime que nos nihilistes devraient admettre.
Je voudrais aussi déclarer la soumission de ma petite personne devant la seule personne, le seul individu, la seule fonction qui vaille d’être respectée, crainte et révérée dans ce pays. Je parle bien sûr de Sa Majesté le Roi Mohamed VI, que Dieu l’honore, le guide et l’assiste. Voilà, c’est fait, je me suis acquitté de mon devoir de citoyen/sujet marocain. Oh, et vive le Sahara MAROCAIN aussi (ne sait-on jamais, les prochaines candidatures pour les grimas vont bientôt être ouvertes, et il faut exceller en fayotage)
Je ne sais pas pour vous, mais de temps à autre, la politique marocaine me fait penser à la Comédia Dell’Arte. Oui, l’acculturé que je suis s’excuse de ne pas avoir d’exemple marocain de bien de chez nous pour illustrer le propos, mais voyez: je m’exprime et écris en français, je consomme de la bière et du saucisson, ne couche qu’avec des rousses aux yeux bleues (et à forte poitrine si possible). Quant aux affaires spirituelles, il fut un temps où j’ai été rayé définitivement de la liste d’attente auprès de l’Archange Gabriel, un raton lui aussi, videur à temps partiel avec Saint-Pierre dans le ‘After-life Heaven’, une boîte très prisée en ces temps, surtout par les amateurs des partouzes à 72 vierges. Donc va pour la Comédia Dell’Arte (les non natifs du Souissi ou Anfa Supérieur, c’est le moment de vaquer à vos occupations de bergers ou femme au foyer)
Plus que la Comédia Dell’arte, la scène politique marocaine est un carnaval  perpétuel de faux-semblants, de masques, de grande pompe et certainement d’une dissimulation élevée au rang de seconde nature. L’arabe étant un être fourbe et conspirateur, on ne pouvait que s’attendre à une conduite pareille de la chose publique (à propos, peut-on parler de chose publique au Maroc? J’ai peur de me faire taxer de Républicain).
Polichinelle: son caractère n’est pas sans rappeler le n°2 théorique dans les institutions de notre pays, celui qui répète à tout bout de champ que ‘Mon programme, c’est celui du Roi’; Mais si, faites un petit effort: le vieux monsieur qui se pointe de temps à autre au bout d’un micro de télé ou de radio pour réciter sa leçon. Non? Toujours pas? Il a une entreprise nommée ‘Fassi & Co’ spécialisée dans le placement de jeunes talents. Ça marche très fort d’ailleurs, même si la boîte reste familiale. Abbas El Fassi, qu’il s’appelle. Le Premier Ministre est un ectoplasme sans substance -pardonnez le pléonasme, mais dans notre cas, vous comprenez qu’il est parfaitement justifié- et certaines de ses caractéristiques se recoupent avec celles de Polichinelle. Abbas El Fassi, comme Polichinelle, est truffé de contradictions. Tour à tour courageux et poltron, bien que sa vivacité et son courage ne se manifestent que devant ceux qu’il considère inoffensifs pour sa carrière, et sur lesquels il peut tirer sans risque de contre-feu. Nous nous rappelons tous ses imprécations contre les ‘ennemis de la cause et de l’intégrité territoriale, des fondamentaux du consensus national’ -excusez le vieux sexagénaire, il devient sénile et bête avec le temps, « gaga » comme on dirait en perfide Albion- ou encore dans son vain jihad (je souhaitais utiliser le mot croisade. Il faut s’adapter au contexte, n’est ce pas) pour réécrire les notes et circulaires en arabe, lui qui ne peut aligner une phrase correcte en arabe, ni dans quelconque langue d’ailleurs. Enfin, quand on est élevé dans une famille prédestinée aux hautes fonctions, les talents de communication, ou les talents tout court, sont superflus. Peut être est-ce dû à la consanguinité
Abbas El Fassi est un Polichinelle, et cela n’est un secret pour personne. Mais comme dans tout démocratie qui se respecte, nous devions avoir un Premier Ministre issu de la majorité, ou, dans notre cas, du premier parti (et deuxième famille) du Maroc. Même si c’est un vieux gâteux ayan autant de charisme et d’énergie qu’une sardine pourrie de deux semaine dans une poissonnerie à Safi.
Le Docteur: personnage présomptueux, orgueilleux, aimant le verbiage, aux longues prédications truffées de citations latines la plupart du temps hors de propos. Il semble tout naturel que notre vaillant Porte-parole du gouvernement, Ministre de la Communication (et de la censure) et à ses temps perdus, pourfendeur de la vile population nihiliste de notre bienheureux Royaume, endosse le rôle. A défaut de régner dans un régime communiste albanien, Khalid Naciri trouve dans ses fonctions tout la mesure de son talent savamment et patiemment pratiqué avec le temps, une langue de bois d’une rare suavité que même les vieux grabataires du XXVII congrès du PCUS auraient trouvé obséquieuse au possible. Par ses longues tirades pédantes qu’il veut terrifiantes et édifiantes, finit par tomber dans l’absurde et le comique (d’où son sigle K.K: Komical Khalid) sans qu’il ne s’en aperçoive.
Le vieux Khalid a un autre point commun avec le personnage du Docteur. Il est lui-même docteur en droit. Bien que cela ne transpire pas de ses définitions approximatives et certainement très personnelles du droit à l’expression, ou du droit tout court. Les nihilistes adorent Naciri, pour la simple et bonne raison que ses excréments oratoires fournissent matière -et je pèse mes mots- à ceux-là pour déverser leur fiel à leur tour. Il y a comme une relation ‘win-win’ entre le nihiliste et le khobziste (voyez, nous sommes capables de créer nos propres concepts à nous aussi) qu’est Naciri, car chacun fournit à l’autre une raison de vivre, de critiquer et d’exprimer une misérable opinion à tout va.
Scaramouche: Dont le costume, voire le faciès joyeux rappelle certainement la carte du Joker (pas celui de Batman). J’ai hésité entre plusieurs individus, bien qu’ils se retrouvent dans une où deux caractéristiques communes: des ex-gauchistes renégats  ayant troqué le drapeau rouge pour des sièges drapés de rouge aussi, mais en cuir. Tout comme la voiture de fonction qui va avec lorsqu’on arrive à se faire coopter pour un siège au Parlement. Je me contenterais d’assigner Chemmas à ce personnage. Il y a dans notre système politique des invertébrés, certes, mais il est plus doux d’être un lèche-botte convaincu qu’un ex-rebelle rentrant dans le rang. L’humiliation ravalée au titre d’un repositionnement politique en plus.
Scapin: Dans le rôle du serviteur fourbe, Mustapha Ramid se retrouve complètement. Autrefois créature d’un régime de plomberie, pion dans un bras de fer entre la Couronne et ses détracteurs, il servit bien docilement -et parfois inconsciemment- son maître. Il obtint même la possibilité -et le privilège bientôt lucratif- d’obtenir son visa de respectabilité en créant, avec d’autres compagnons mal rasés, un parti politique. Manque de bol, le petit chiot devint un clébard aux canines bien acérées, et sous une fausse apparence docile et résolument servile, une impatience, une frustration pour faire tonner les préceptes divins, éventrer la prostituée et faire cuver -définitivement- son vin à l’ivrogne impie.
Comme Scapin, Ramid et ses potes du club ‘On boycotte Gilette produit Sioniste’ sont d’une hypocrisie savamment entretenue, et que le crédule prend pour de la modération, voire de la bonne foi (‘nia. ah, ce concept finira par être la perte du Maroc), dissimule de sombres desseins, ou, dans le meilleur des cas, contient l’enthousiasme des partisans de l’ordre noir islamiste.
Pierrot/Pierrette: personnage triste, malheureux, il est tour à tour le gauchiste déçu de voir ses camarades tourner leurs vestes. Au choix, Khadija Ryadi de l’AMDH ou Abdellah El Harrif d’Annahj Addimocrati. C’est touchant d’observer les fidèles héritiers d’une vision utopique d’un paradis rouge (ou à nuances de rouge) battre le pavé pour défendre les droits de l’homme, battre le pavé pour se faire gentiment rosser par les forces du désordre makhzénien, ou distribuer des feuillets à l’impression incertaine (mais au message certain) appelant à protester contre la hausse des prix, la tenue d’élections trafiquées et sans signification, ou pour faire libérer des rêveuses trop mignonnes et trop jeunes pour faire l’inspection des installations carcérales de notre pays, dont le Docteur disait qu’il agissait d’un Ilot de Démocratie et des Droits de l’Homme.
Pierrot/Pierrette sont passionnants à écouter. C’est, sous leurs abords volontiers rébarbatifs et barbants, de grands sentimentaux au fond.
Colombine: Yassine juniorette. Voilà un comportement bien étrange de la part de son papa-cheikh-calife-à-la-place-du-calife, bien qu’il ne soit pas le seul. Abdessalam Yassine, ex-inspecteur au Ministère de l’Education (dispensant le programme marocain, faut-il le rappeler) envoie sa fille faire ses études dans le système français – un peu comme une certaine personnalité dont la famille étudie aux frais du contribuable français depuis les années 1940. Cherchez la contradiction… (Non? Toujours pas?). Il n’empêche qu’en attendant le trépas -ou l’élévation au trône du Califat Musulman du Maroc- du vieux grabataire, c’est Nadia qui est aux commandes, ne se serait-ce qu’en termes de communication et de publicité, nationale ou à l’étranger. C’est une dame pleine de ressources, qui maîtrise parfaitement les codes et les cordes sensibles des sociétés post-industrielles sur lesquelles il faut jouer- Ce que notre haute sphère, nos élites d’ingénieurs formés au biberon des usines intellectuelles françaises, et présidant aux destinées de notre pays, n’arrivent toujours pas à intégrer. Comme Colombine, Nadia est ingénieuse, débrouillarde, un brin retorse mais dont la malice arrive toujours à piéger le Makhzen là où elle veut, à un moment par elle choisi. Je ne sais pas pour vous, mais elle me rappelle La mini vilaine dans Batman Harley Quinn, l’acolyte du Joker.
J’ai laissé de côté beaucoup de personnages, d’abord parce que certains ne valent pas l’honneur d’être caricaturés, parce que certains sont oints d’une immunité telle que si je ne la respecte pas, je risque de faire du tourisme dans les noires forêts de Temara. Enfin, je pensais à Al Himma. Je ne lui trouve pas de personnage de la Comédia, sinon que le poste de Mazarin de notre révéré Monarque lui sied parfaitement : ambitieux, dans l’ombre du soleil royal, mais comptant des ennemis qui ne peuvent le confronter directement. La cour, la vraie, se voit greffée une autre, politique et certainement plus sournoise et plus dangereuse. Pour paraphraser le mot de Churchill, ceux qui ont été poignardés dans le dos risquent de l’être plus d’une fois.
Le manant contemple ce petit monde haut en couleur, ses petits complots. Il secoue la tête d’un air désolé et se replonge dans la lecture de sa chronique favorite. Dans son monde, le Maroc prend l’Algérie et l’Espagne en levrette en buvant un thé à Oran, mais croit sincèrement en l’amitié Algérienne et donnerait père et mère pour se retrouver en Europe.
Dans son monde, les putes sont pendues par les cheveux –mais il faut bien en garder quelques unes pour l’amusement public-, les ivrognes sont lynchés publiquement, mais les bars restent ouverts car il en faut pour les faux écrivains. Entre son monde et le microcosme de la cour, un gouffre infranchissable comme le détroit où s’échouent ses rêves brisés.
CJDM, 28/12/2010

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