La Tunisie, le meilleur élève du Maghreb pour les institutions financières internationales termine l’année par une mauvaise note donnée par ses propres jeunes sous forme d’émeutes. Un retour au réel que les chiffres, si jolis, ont tendance à masquer. Cela donne une idée du bilan du Maghreb virtuel dans l’année Wikileaks.
En 2010, les performances économiques des cinq pays du Maghreb restent contrastées, la Libye et l’Algérie, forts de leurs exportations pétrolières, affichent des performances correctes mais – pour l’Algérie surtout – en deçà des objectifs de résorption du chômage. La Tunisie et le Maroc, plus sensibles aux variations de l’économie globale, ont plutôt bien résistés à la crise alors que l’économie de la Mauritanie aux capacités très limitées semble engagée sur la voie du redressement. Si on ne parle que des Etats, c’est que le Maghreb n’est qu’une virtualité à laquelle les sociétés ne sont pas encore en mesure de lui donner un contenu concret.
Le Maghreb en 2010 est à peine une idée. Les cinq pays qui constituent cet ensemble géoculturel, particulièrement homogène et plutôt complémentaire, ne parviennent toujours pas à résoudre leurs différences d’approche et à surmonter les obstacles de méfiance et du nationalisme étroit. La question du Sahara Occidental qui divise profondément l’Algérie et le Maroc n’explique pas totalement le blocage de l’Union du Maghreb Arabe. La zone de libre-échange annoncée prématurément par le secrétaire-général de l’UMA ne verra probablement pas le jour en 2011. Comment en effet instaurer un espace douanier unifié tant que les stratégies «nationales» l’emporteront sur une vision collective, profitable à tous ? L’incapacité manifeste de dégager des plateformes de coopération a pour conséquence la densification des relations institutionnelles bilatérales sans effet probant sur la dynamisation des échanges.
Déficit de gouvernance
Le nombre de commissions mixtes entre pays de la raison pour impressionnant qu’il soit est davantage l’expression de l’incapacité manifeste à stimuler un réel cadre opératoire. De fait, l’UMA prise en otage par les politiques et les bureaucraties en excluant les entrepreneurs du champ de la décision se condamne à la stagnation. La réalité est cruelle : le commerce intermaghrébin ne représente que 3% du volume global des échanges internationaux de la région. L’impossible convergence des politiques économiques et l’inexistence d’un niveau minimal de coordination constatées en 2010 sont d’un mur en acier sur lequel viennent buter toutes les velléités de dépassement des obstacles.
Au delà des chiffres les économies du Maghreb restent marquées par un déficit de gouvernance mis en relief par les télégrammes diplomatiques américains fuités par le site Wikileaks. Au manque de «vision» qui caractérise les autorités algériennes viendrait s’ajouter la plaie de la corruption commune aux pays de la région. L’Algérie a entamé l’année 2010 par la décapitation judiciaire de l’ensemble de la direction de l’entreprise nationale d’hydrocarbures, Sonatrach, suivie en mai par l’éviction de l’inamovible ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil, en poste depuis 1999. Le scandale Sonatrach est lié à la passation frauduleuse de contrats portant sur des centaines de millions de dollars. L’entreprise nationale mise dans une actualité scandaleuse a de la peine à s’en remettre.
Au Maroc, on découvre via Wikileaks le droit de péage illégal imposé par le sommet de l’Etat marocain aux investisseurs immobiliers et les comportements prédateurs des familles «régnantes» en Tunisie. De quoi tempérer fortement l’image positive que ces deux pays ont su se forger et les rangs honorables qu’ils occupent dans les divers classements internationaux. Globalement, les performances économiques des différents pays restent en deçà des exigences de développement et de résorption du chômage, des jeunes en particulier. Ces catégories de plus en plus larges sont pénalisées par la mauvaise redistribution et par la faiblesse de l’Etat de droit. Il s’agit de traits communs aux pays de la région. Les récentes émeutes à Sidi Bouzid dans le centre de la Tunisie illustrent bien, malgré les satisfécits et les classements «honorables», la commune réalité du chômage massif des jeunes. A défaut d’exister en tant qu’entité politique et économique, le Maghreb des «affaires» et des chômeurs est, lui, bien réel.
par Said Mekki
Le Quotidien d’Oran, 27/12/2010
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