Les enfants marocains n’auront pas leur photo souvenir avec le bonhomme en rouge cette année, les sécuritaires leur conseillent plutôt d’adopter son homologue local “Baba Aïchour”, estampillé Hallal.
Au Maroc, le père Noël fait peur aux autorités. Celles-ci lui mènent une guerre secrète depuis 2006, année où les nombreux jeunes qui profitaient des fêtes de fin d’année pour se faire un peu d’argent de poche en enfilant l’habit rouge dans les artères des grandes villes se sont vu refuser le renouvellement de leur autorisation. Depuis des décennies, des générations d’enfants marocains attendaient avec joie d’avoir leur photo souvenir avec le personnage populaire. La disparition de ces pères Noël saisonniers qui travaillaient en binôme avec des photographes est presque passée inaperçue, jusqu’à cette année où les autorités casablancaises ont formellement interdit la circulation de toute personne en costume rouge de père Noël, officiellement pour raison de sécurité.
Selon le site Addoualia , les forces de l’ordre craindraient que des terroristes n’utilisent le déguisement pour commettre des actes terroristes. D’après des sources sécuritaires, des tracts distribués clandestinement dans la capitale économique auraient menacé de représailles “toute personne qui participe à la fête chrétienne”, ajoutant que c’est une “indignité que des musulmans fêtent l’anniversaire du Christ”, que “l’achat de gâteaux le jour de l’an relève de l’associationnisme*” et que “le personnage à la barbe blanche habillé en rouge symbolise le clergé de l’Eglise”. Le site se demande si cette décision “interdisant de se cacher le visage en portant un masque de père Noël” inclut également les adeptes de la Burqa. Parallèlement, des équipes de police se sont rendues aux écoles étrangères, ambassades, consulats et autres représentations diplomatiques pour vérifier si la fête de Noël y aurait bien lieu et ont renforcé leurs dispositifs de sécurité alentours.
Toutefois, l’argument sécuritaire ne convainc pas. La figure du père Noël n’étant pas plus chrétienne au Maroc qu’elle ne l’est ailleurs, elle est surtout un personnage festif pour des enfants qui auraient bien du mal à comprendre qu’ils devraient y renoncer en raison de leur identité islamique. Son interdiction est surtout un gage envers les conservateurs qui accusent le vieillard en rouge de velléités d’évangélisation. Sur une émission égyptienne à grande audience, un cheikh d’Al Azhar* a répondu à l’enfant Youssef qu’il ne devrait plus célébrer “Papa Noël”, mais plutôt “Baba Mohammed*”, criant à l’aliénation religieuse et culturelle (voir vidéo).
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Au Maroc, le remplaçant de la figure consumériste née grâce au concours de Coca Cola existe déjà. Il suffit de le dépoussiérer. “Baba Aïchour”, personnage sorti de l’imaginaire populaire, avait pour habitude de distribuer des friandises aux enfants lors des fêtes de l’Achoura. Tombé en désuétude depuis près d’un siècle, il a été ressuscité par l’association Contes’Act en 2005, mais peine encore à remplacer le père Noël faute de marketing. Un groupe facebook appelé “Fans de Baba Aichour et non pas de papa Noël” appelle au retour aux valeurs arabo-musulmanes et accuse les adeptes du bonhomme en rouge “d’imiter les Occidentaux”. Toutefois, là encore, les thuriféraires de l’orthodoxie sunnite crient à la Bid’a*. En effet, même si les scènes d’auto-flagellation qui marquent l’Achoura chez les communautés chiites du Moyen-Orient sont inexistantes au Maroc où la fête revêt surtout un aspect familial, les puristes du sunnisme n’y voient pas moins une acculturation au culte d’Al Hassan et Al Hussein, les deux fils d’Ali. Décidément, on ne peut jamais faire plaisir à tout le monde.
Et les enfants dans tout ça? En attendant que les fabricants de babioles chinois inondent le marché de peluches et déguisements de Baba Aïchour, ils devront désormais compter sans le père Noël.
Zineb El Rhazoui
Vox Maroc, 24/12/2010
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