Le Palais des nations a vécu, les 13 et 14 décembre dernier, au rythme des attentes des pays anciennement colonisés et de l’espoir des mouvements de Libération nationale, encore confrontés à la machine coloniale. L’occasion en a été offerte par la célébration du 50è anniversaire de la résolution 1514 des Nations unies sur l’octroi de l’indépendance aux peuples et pays coloniaux. Les deux jours ont permis aux nombreux participants, dont 200 personnalités étrangères, parmi lesquelles l’ancien président de l’Afrique du Sud, Tabo M’Beki, l’ex-président zambien, Keneth Kaunda, le président de la République sahraouie (RASD), Mohamed Abdelaziz, des représentants du MPLA et du Swapo, le militant belge Pierre Galand et le président de l’Union africaine (UA), ainsi que des représentants de l’Union du Maghreb arabe (UMA), de revisiter les décennies passées, de se pencher sur les nouveaux défis, sans pour autant perdre de vue la vision prospective, puisque le processus de décolonisation demeure inachevé, sinon qu’il fait l’objet de tentative de remise en cause. Dans ce cadre, les participants à la rencontre d’Alger ont mis en évidence les situations imposées aux peuples palestinien et sahraoui, toujours en attente d’un Etat indépendant.
La conférence internationale a été marquée par l’intervention remarquable de l’ancienne ministre des Affaires étrangères du Vietnam, Nguyen Thi Binh qui, paraphrasant le leader sud-africain Nelson Mandela, a assuré que « la forme d’exploitation cynique est remplacée par une autre plus sournoise et plus subtile». Elle a en outre souligné que « les indépendances doivent être parachevées par un développement économique». Selon Mme Thi Binh, les pays du Sud doivent mener à la fois un combat pour assurer leur indépendance économique et une action commune pour la refondation du système de l’ONU, de manière à intégrer les pays anciennement colonisés « dans la prise de décision au niveau international ».
L’autre aspect marquant de la rencontre est, sans conteste, la réflexion et les débats au sein des ateliers. Il a beaucoup été question de « l’engagement » des médias et des hommes de culture aux côtés du combat libérateur des peuples et des luttes sociales dans leur propre pays. Le problème de la liberté aux médias africains pour mener à bien leur « devoir d’informer » et assurer aussi le « devoir de mémoire » a également été mis en avant.
Le 14 décembre, la conférence internationale s’est achevée avec l’adoption de la « déclaration d’Alger », dont une copie sera transmise aux Nations unies. L’appel d’Alger s’est voulu comme un rappel à l’ordre de l’ONU sur les violations du droit international, commises par certains pays. Pour les participants, le parachèvement de la décolonisation est « inéluctable », car le colonialisme, « sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations, est contraire aux buts et principes de la charte des Nations unies et aux normes du droit international ». Il faut bien admettre que le cas du Sahara occidental et de la Palestine ont été au centre des préoccupations de la grande majorité des participants. Ces derniers soutiennent qu’aucune raison ne peut justifier l’occupation des territoires. « Conformément au droit international, aucun prétexte lié à la superficie du territoire, à la situation géographique ou à l’importance numérique des peuples ne saurait être recevable pour empêcher le libre exercice des peuples encore colonisés au droit à l’autodétermination et à l’indépendance », précisent-ils. Par ailleurs, la déclaration d’Alger appelle à l’adoption, au sein de l’ONU et dans l’ensemble du système onusien, des « mesures efficaces » pour l’application intégrale de la résolution 1514. Enfin, elle invite les ex-pays colonisés à privilégier le partenariat Sud-Sud, dans le but d’asseoir leur autonomie de décision et peser dans le nouvel ordre mondial.
«Un message fort aux peuples encore colonisés»
Pour de nombreux participants, la conférence internationale a atteint ses objectifs, dans la mesure où celle-ci a réaffirmé avec force « la pertinence et la validité » de la Déclaration 1514, une résolution toujours d’actualité pour les territoires non autonomes et les peuples qui aspirent à leur indépendance. D’après eux, la rencontre d’Alger a également réussi le pari d’aborder l’état des lieux de la période ayant suivi les indépendances, d’évoquer la nécessaire consolidation des souverainetés nationales, en convenant que le moment est venu de passer à une étape supérieure, la bataille pour les droits politiques, économiques, sociaux et culturels. Les déclarations faites à la presse, par l’ancien président sud-africain, résument bien l’état d’esprit des participants : « La conférence internationale d’Alger constitue un message fort aux peuples encore colonisés, tels que la Palestine et le Sahara occidental. Par ailleurs, il est important de préserver l’unité africaine, à travers une coopération forte et diversifiée entre les pays du continent. Il faut une coopération à même de préserver leurs intérêts économiques. »
Mais au-delà de la réflexion ouverte à l’occasion de la rencontre sur l’Afrique combattante, le débat sur l’indépendance confisquée, qui est le lot de nombreux pays, devra être mené, sans complaisance. En urgence. Malgré le recouvrement de l’indépendance politique et en dépit de l’importance de ses richesses naturelles et humaines, le continent africain offre, un demi-siècle après, une image dévalorisante. Si ce n’est pas une guerre civile, comme c’est le cas en Somalie, ce sont des coups d’Etat ou des élections enfantant des situations impensables jusque-là, comme le démontre la situation au Niger et en Côte d’Ivoire. Par ailleurs, dix ans après la signature des accords de paix d’Alger, le processus de paix entre l’Ethiopie et l’Erythrée est toujours dans l’impasse. Pour ce qui est de la situation au Soudan, l’accord de paix global (CPA), loin d’être mis en œuvre de façon globale, semble se réduire au référendum de janvier 2011, visant le partage du Soudan en deux. Sans oublier l’impasse persistante en Madagascar, la situation en Guinée, sur la voie du « retour de l’ordre constitutionnel », ainsi que les violences sexuelles perpétrées à l’Est de la République démocratique du Congo. Sur le plan économique, le scénario du désastre est de mise, puisque la majeure partie des anciennes colonies, souvent adossée sur une matière première pour vivre, dépendent dangereusement des cours des marchés internationaux. Pire encore, des dirigeants africains, ainsi que leurs proches et leur cour, affichent un train de vie ostentatoire, en total désaccord avec le dénuement de leur peuple.
C’est dire donc que malgré « le lourd héritage colonial » qui, certes, a produit des contraintes de toutes natures aux pays indépendants et un système de relations économiques internationales, négligeant superbement leurs intérêts, la bonne gouvernance et l’ouverture démocratique doivent aussi figurer dans la liste des priorités.
Par Z’hor Chérief
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