«Ma vie en est changée»

Marilyn Droog est une psychologue belge qui est spécialisée dans la pratique des constellations*. Elle raconte ici comment elle a été amenée à défendre les droits du Sahara occidental et la dignité de son peuple opprimé – en allant jusqu’à menacer d’entamer une grève de la faim.
$$(« .desc »).each( function(link) { new Tooltip(link, { mouseFollow: false }); });
Propos recueillis par David Broman

Décembre 2009. Marilyn Droog s’envole pour le Sahara occidental. Elle y a été invitée par le Front Polisario.

«Tout a commencé, sans doute, quand j’étais enfant. J’avais été confrontée, avec des émotions très intimes, aux histoires des Sahraouis à la télévision. Beaucoup plus tard, j’ai créé Aqualika, un site internet qui permet de récolter des informations des gens du désert pour trouver de l’eau et conserver la vie dans les déserts. Je pensais que récolter des informations auprès de ces gens permettrait d’exploiter ces connaissances dans les régions semi-désertiques où le désert avance. Dans ce cadre, j’ai rencontré, lors d’une soirée avec des touaregs à Bruxelles, Mohamed Sidati, le représentant de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) auprès de l’Union européenne qui m’a donné sa carte de visite.»

Complexité
«Le 13 novembre 2009, dans le cadre d’une formation aux constellations que je pratique, je voulais montrer ce qu’est une « intelligence collective », et j’ai invité différentes personnalités dont Mohamed Sidati qui était venu avec son collègue représentant en Belgique, Salec Abderrahman. Ils sont venus avec la question de la paix – question d’extrême urgence pour eux.

Dans la constellation, on a trouvé effectivement des nouvelles pistes d’espoir, des choses à mettre en place pour que la paix soit possible pour ce peuple de 170.000 personnes réfugiées dans des camps en Algérie gérés par l’ONU. On a pu voir aussi toute la complexité de la situation – une partie de territoire « libre », l’essentiel occupé par le Maroc et une partie de la population réfugiée depuis trente-quatre ans dans les camps. Et toute la précarité des trois situations… si un bouge, les autres sont en danger, etc. Durant cette constellation, on a aussi vu apparaître l’importance des médias pour faire sortir ce peuple de l’oubli et de l’impasse, en mettant l’accent sur les « bons points », notamment pour que l’ONU puisse prendre mieux en charge ses responsabilités. Puisque tout ça semblait tellement favorable, Mohamed Sidati m’a invitée sur place.»

C’est à ce moment que Marilyn Droog se rend compte de l’urgence d’agir. «Oui, j’ai très bien compris l’urgence de la situation à travers cet exercice d’intelligence collective. Les jeunes veulent la guerre, parce qu’il ne veulent plus vivre comme ça, ils ne veulent plus d’un avenir bloqué – ça fait tout de même trente-quatre ans que ça dure.»

Nous sommes donc début décembre 2009. Elle est l’invitée officielle du Front Polisario. «J’étais accompagnée par Salec Abderrahman avec une sorte de plan diplomatique me permettant de voir tout ce qui m’intéresserait. J’y ai notamment rencontré les ministre de l’Environnement et de la Communication, des femmes, j’ai pu visiter un centre d’accueil pour les handicapés, etc. J’ai été reçue dans des familles, logée comme eux dans des tentes – ce sont d’énormes tentes de l’ONU regroupées en vastes bourgades qu’ils appellent « wilayas ». Ce sont les femmes qui construisent les tentes à partir du tissu qui leur est donné par l’ONU – c’est un travail colossal. Autour, il y a quelques bâtiments en terre battue crue, les sanitaires, les cuisines et encore l’une ou l’autre chambre en fonction de la taille des familles – ces camps connaissent une importante croissance démographique. Et tout est très très propre.»
C’est donc ce qu’on appelle «être logée chez l’habitant»…

«J’ai partagé la vie des familles. J’ai partagé leur nourriture, même si elles préparaient des plats plus fournis qu’à l’ordinaire – j’ai eu droit à un peu de légumes, un peu de fruits et très peu de viande. J’ai lu dans un rapport espagnol que, nourris par l’aide alimentaire internationale, la plupart des enfants son anémiques, de même que les femmes enceintes, et beaucoup souffrent de diabète. Donc moi, j’ai vraiment eu un régime alimentaire particulier.»
Pourquoi alors menacer de faire une grève de la faim? «J’ai été très bien accueillie, très heureuse. Et même s’il s’agit d’un pays africain qui correspond à la pire image de pauvreté qu’on peut imaginer, il est vrai ce cela ne justifiait pas une grève de la faim.

Au moment où la séance d’intelligence collective du 13 novembre se terminait, il y avait un très grand vent à Bruxelles et la fenêtre du local a sauté hors de ses gonds, – littéralement – sans se casser, mais cela a aussi fait partie de la constellation. C’était du vent du Sahara qui était chargé de sable, et je me suis tout de suite trouvée en connexion avec quelque chose de là-bas… c’était surprenant. J’ai su plus tard qu’Aminatou Haidar, qui est la « Gandhi » sahraouie, revenue des États-Unis où elle avait reçu son prix Robert Kennedy, avait été empêchée par les autorités marocaines de rentrer chez elle au Sahara occidental et était bloquée à Lanzarote (Canaries) sans passeport. Pour protester contre ce traitement injuste et illégal, elle se mit en grève de la faim dans des locaux de l’aéroport de Lanzarote.

Lorsque j’étais là-bas donc, elle en était arrivée au 20e jour de sa grève de la faim. Au moment où il était prévu pour moi de rentrer à Bruxelles toute la population était évidemment dans de grandes vibrations émotionnelles et en lien affectif avec cette situation dramatique. C’est dans cette situation que j’ai fait trois constellations avec les femmes, qui m’ont demandé avec insistance d’entrer en contact avec Aminatou Haidar, pour lui donner de la force, pour comprendre la situation de son point de vue. Par ce biais, nous avons travaillé ensemble pour aussi comprendre les positions du Maroc et de la communauté internationale, les enjeux cachés, et les espoirs éventuels que le peuple pouvait avoir pour rentrer au pays. On a creusé tout ça de plus en plus en profondeur, notamment aussi avec des journalistes. Et tout cela m’a amenée à focaliser sur ce je considère comme un des nœuds de la situation, à savoir ce que j’appelle le blocage – sinon le blocus – médiatique.»

Blocages

Il s’agit ni plus ni moins du lieu de convergence de tous les enjeux politiques, culturels, historiques et territoriaux, formant une sorte de toile d’araignée dans laquelle est piégé le peuple sahraoui.

«À part le village principal, aucune wilaya ne dispose d’électricité. Leur nouvelle station de télévision, très peu expérimentée, ne touche donc presque personne sur place. Ils sont par ailleurs en compétition avec Al Jazeera, qui est marocaine et qui ne s’intéressait pas au sort d’Aminatou Haidar.»
Un second blocage est d’ordre plutôt culturel mais qui, en débordant du territoire, se donne des airs politiques…

«C’est un blocage nord-sud et capitaliste-communiste. Une des raisons pour lesquelles on ne les écoute pas c’est parce qu’ils ont une culture qui copine avec le Cuba de Fidel Castro. Beaucoup parlent « rebelle » comme à Cuba. En ajoutant à ce message communisant l’appellation guerrière de leur organe représentatif, « Front Polisario », cela suffit pour rebuter l’Occident. De plus, comme ils sont techniquement toujours en guerre, les hommes sont habillés en militaires, même s’ils vivent une vie pacifique depuis plus de vingt ans. Afin de remédier à ce bocage, les Sahraouis se sont engagés dans une importante révolution culturelle.»

Valeurs

«Mais en attendant, voici un peuple pacifique, modèle à maints niveaux (organisation, éducation, valeurs), non reconnu, médiatiquement hermétique, qui ne dérange personne, complètement démuni et évoluant depuis plus de trente ans en état de captivité sous la « surveillance » de l’ONU, et dont la jeunesse sacrifiée nourrit de plus en plus de colère et de haine. Et voilà que la santé d’Aminatou Haidar se met à se dégrader dans l’indifférence générale…»
La goutte d’eau…

«Quand j’ai pris mon billet d’avion en main parce que le lendemain j’allais rentrer… j’ai passé une très mauvaise nuit. Je ne me sentais pas du tout le droit de les quitter comme ça. J’en savais tant et tant sur la réalité et la sincérité de leurs aspirations profondes à la paix, j’étais trop consciente de tous les blocages et de la complexité de la situation. Je ne pouvais pas ne pas être solidaire et ne pas m’engager en faveur d’Aminatou Haidar. D’autant que j’étais là-bas et que je voyais clairement qu’en Occident personne ne savait même qui elle était… Et donc, ce jour-là, j’ai décidé de rester par solidarité en menaçant d’entamer moi aussi une grève de la faim.»

Marilyn Droog se met surtout à ameuter les instances internationales, la presse européenne et toutes ses connaissances. «Ça a permis toutes sortes de concordances de temps, comme une alchimie. La situation s’est rapidement mise à évoluer, le bouchon a sauté. Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, s’en est mêlé dès le lendemain. « Le Monde » a publié un article, et suite au dossier de presse que j’avais envoyé tous azimuts, d’autres organes d’information ont suivi. En quelques jours, le verrou médiatique avait sauté.»

Rentrée à Bruxelles, Marilyn Droog poursuit sa route aux côtés des Sahraouis.

«Les constellations montrent une évolution vers des dialogues confidentiels de très haut niveau entre Marocains et Sahraouis. Ce n’est pas étonnant car, après tout, ces deux peuples partagent les mêmes valeurs fondamentales. Il y aura aussi, de part et d’autre, des deuils à faire, et une reconnaissance du mal que chacun a fait à l’autre.»

Pour cette psychologue bruxelloise, la vie ne sera plus la même.

«Oui, cette expérience change ma vie. J’ai surtout envie de saluer avec le plus grand respect la détermination du peuple sahraoui pour accéder à l’autodétermination. J’ai pu voir que c’est sur ce chemin-là qu’ils se construisent, c’est un moteur pour eux. J’aimerais que le monde entier, qui est responsable de leur sort, puisse aussi s’imprégner du respect de leur aspiration à l’autodétermination. C’est au point que leurs valeurs, qui sont solidarité, respect, démocratie et autodétermination – les valeurs qu’ils partagent avec tous les peuples du désert – sont vraiment porteuses pour eux… jusque dans l’éducation même des handicapés graves. Qu’y a-t-il de plus admirable chez un peuple que d’arriver à être cohérent avec ses valeurs? Pour moi c’est réellement magistral – dans le sens que ce sont des maîtres pour moi.»

Et d’ajouter, presque symboliquement: «Depuis, j’ai encore été amenée à travailler en constellations sur les relations Nord-Sud, notamment concernant le Congo. Me voilà donc embarquée pour l’Afrique… via les intelligences collectives.»

*http://www.abunde.com/FR/newsletter/news100118.html

Source : Le Jeudi.lu, 17/12/2010

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*