Le Sahara occidental indépendant : L’Union maghrébine sera une réalité

«Le jour du Jugement dernier, aux portes du Royaume des cieux, Dieu garde les vertueux et met de côté les mauvais. Reste un groupe d’hommes auxquels il demande de se présenter. «Nous sommes les Sahraouis, répondent-ils. – Ah! Alors installez-vous là avec vos tentes, le temps que je décide de ce que je vais faire de vous.»

Cette boutade, écrit Luis de Vega du journal espagnol ABC, qui circule dans le désert, est une façon de railler la passivité de la communauté internationale à propos du règlement du conflit au Sahara occidental.

Alors que le conflit qui oppose Rabat aux indépendantistes du Front Polisario est toujours dans l’impasse, la tension croît sur le terrain. C’est un rituel bien rodé. Périodiquement, des représentants du gouvernement marocain rencontrent dans la banlieue de New York, sous l’égide des Nations unies, une délégation d’indépendantistes sahraouis du Front Polisario pour des «discussions informelles». Et il n’en sort rien. S’agissant des derniers évènements, de jeunes Sahraouis décident d’ériger un camp de toile, à une vingtaine de kilomètres de Laâyoune, et d’y tenir une sorte de sit-in permanent. Leurs revendications portent sur le droit à l’emploi et au logement, la liberté d’expression, la «reconnaissance de leur dignité»… Durement frappée par le chômage (30%, alors que la moyenne nationale est de 9%), la population du Sahara vit très mal l’afflux de Marocains du Nord, à commencer par les fonctionnaires, chouchoutés par le gouvernement. Au fil des jours, le camp grossit, jusqu’à rassembler quelque 15 000 occupants.(1) Les gens présents dans ce camp, installé dans la banlieue de Laâyoune, n’avaient à l’origine aucun esprit belliqueux, comme le reconnaît le journal marocain Emarrakech.info. Un premier incident grave s’est déroulé le 25 octobre, quand un adolescent de 14 ans a été tué lors d’une échauffourée avec les forces de l’ordre. Le 8 novembre, le Maroc envahit le camp.(2)

Selon le Maroc, douze personnes ont été tuées lors du démantèlement du camp. Le Front Polisario qui réclame l’indépendance du Sahara occidental et s’est prononcé pour la tenue d’un référendum d’autodétermination, a fait état pour sa part de «dizaines de morts» et de plus de 4500 blessés au cours des violences qui ont suivi le démantèlement. Ces jeunes se sont révoltés d’une façon spontanée, en tout cas sans avoir été manipulés par le Front Polisario qui a vite fait de «récupérer» le mouvement. Même Aminatou Haïdar, la «Gandhi sahraouie». est restée muette Elle avait fondé le Collectif des défenseurs sahraouis des droits de l’homme (Codesa) qui s’accompagne d’un rejet catégorique de la violence. De nombreuses organisations internationales ont protesté contre ces meurtres, tortures et emprisonnements aussi bien en France qu’en Espagne, Italie. Des marches de protestation sont organisées et qui demandent une enquête internationale qui n’a eu aucune chance d’aboutir, car la résolution du Conseil de sécurité a été bloquée par le veto de la France qui joue vis-à-vis du Maroc le même rôle protecteur que les Etats-Unis vis-à-vis d’Israël. Ainsi, le 17 novembre, le Conseil de sécurité des Nations unies s’est contenté de «déplorer la violence».

«Réduire au silence les Sahraouis, hommes, femmes et enfants, veut dire les tuer. Les paroles de M Kouchner le rendent complice des assassinats de femmes et d’enfants sahraouis de ces derniers jours. La démocratie marocaine assassine à huis clos, les journalistes et les observateurs sont interdits d’entrer au Sahara occidental occupé. La cruauté, la violence déchaînée et bestiale des autorités marocaines sur les Sahraouis c’était hier et avant-hier, et ça continue. Des Sahraouis sont morts, morts violentes, coups et balles: 11 morts annoncés par le ministère de l’Information sahraouie, puis 8 corps découverts près de la rivière Saguia el Hamra et dans la ville. 18 corps de femmes. 25 corps découverts dans un trou près des campements détruits… Et 723 sont blessés, 163 arrêtés et 159 portés disparus. (…) La France hypocrite valide les transferts des fonds par millions d’euros de l’Europe au Maroc, pour son bon voisinage, son accord de pêche, son statut avancé. (…) La France fière doit agir en urgence pour assurer la protection du peuple sahraoui et son indépendance sur sa terre .» (3) On peut discuter, lit-on dans le journal El Periodico de Catalunya, du nombre de victimes, mais nul ne met en doute la brutalité avec laquelle ont agi les autorités marocaines quand elles ont fait évacuer à l’aube le campement de khaïmas [tentes de nomades] d’Agdaym Izik, à dix kilomètres de Laâyoune. Depuis que l’Espagne, en 1975, aux dernières heures du franquisme, a abandonné à son sort son ancienne colonie, on n’avait jamais vu une mobilisation sahraouie aussi massive et prolongée dans le temps. (…) A cet égard, rappelons le procès de militants sahraouis qui avaient visité le camp et les agressions contre deux journalistes espagnols qui couvraient l’événement, l’interdiction de voyager faite à plusieurs journalistes espagnols, l’expulsion du Maroc de la chaîne Al Jazeera en raison de ses informations sur le Sahara et l’expulsion de Laâyoune du député européen, Willy Meyer [un député français a lui aussi affirmé avoir été expulsé du Maroc le 8 novembre]. Après 35 ans de conflit, le Maroc ne peut pas continuer à vouloir régler le problème par la répression et la censure.(4) Pour rappel, le Sahara occidental est un territoire de 266 000 kilomètres carrés. Dès 1965, l’ONU pousse l’Espagne à décoloniser ce territoire, Hassan II, rappelons-le, avait au début une position proche de celle de l’Algérie tant que le territoire était sous le joug espagnol. Volte-face avec la complicité de l’Espagne.

La décolonisation bâclée a amené le roi Hassan II à faire une marche verte sous les yeux des garnisons espagnoles qui quitteront le pays en février 1975. Le Front Polisario créé suite à l’invasion du Maroc mène une «guerre des sables» gelée depuis le cessez-le-feu de 1991 et le déploiement d’une force onusienne. Mais elle reste sans solution. Le Maroc a souvent joué le rôle de gendarme des intérêts de la France en Afrique, ainsi que celui de temporisateur dans le Proche-Orient. Naturellement, ce pays fait l’objet de convoitises. En 1975, un avis consultatif de la Cour internationale de justice confirme l’existence de liens historiques entre les populations du Sahara occidental et le Maroc, ainsi que l’ensemble mauritanien, mais conclut qu’ils ne sont pas de nature à empêcher un référendum d’autodétermination, en y rendant inapplicable la notion de terra nullius. Dans les années 1980, avec l’aide d’Israël et des Etats-Unis, le Maroc érige un mur qui sépare le territoire en deux. Le Sahara occidental figure sur la liste des territoires non autonomes, selon l’ONU depuis 1963. Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu de 1991, le statut final du Sahara occidental reste à déterminer. En 2000, avec le soutien de la France, il renie sa signature et déclare le référendum infaisable. Ce pays se comporte comme Israël. D’ailleurs, c’est ce que pense James Baker, l’ancien envoyé spécial de l’ONU au Sahara occidental. En 2002, un avis de droit de Hans Corell, vice-secrétaire général aux questions de droit, conclut que le Maroc n’est pas la puissance administrante du territoire. En 2006 Kofi Annan avait indiqué qu’aucun État membre de l’ONU ne reconnaît la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. En avril 2007, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte une nouvelle résolution (n°1754) qui engage les parties à négocier «en vue de parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui permette l’autodétermination du peuple du Sahara occidental».

Qu’en est-il de la situation des Marocains?

Si les Marocains vivotent au quotidien, ce n’est pas le cas du roi. «Au pouvoir depuis dix ans, le souverain marocain serait, selon le magazine financier Forbes, l’un des hommes les plus riches du monde. Et sa fortune aurait doublé au cours des dernières années (…) Il est à la tête d’un joli pactole s’élevant à 2,5 milliards de dollars. Justement à propos d’inégalité, la ville de Casablanca est déchirée par ses contradictions. Dans cette ville, écrit Chafaa Bouaïche, les autorités ont confié presque tous les services à des entreprises étrangères.

«On fait appel à des étrangers pour gérer les affaires de la collectivité, comme si nous étions incapables de le faire nous-mêmes». «A Casablanca, même les autobus sont gérés par une société française», poursuit-il. Casablanca n’arrive pas à cacher la misère de sa population».(5) On l’aura compris, les Marocains ne profitent pas des fruits de la croissance que l’on dit de 5%. On apprend que dans la plus pure tradition esclavagiste, les Espagnols recrutent. Hicham Houdaïfa écrit : « (…) Il s’agit de 12 000 ouvrières marocaines qui doivent être recrutées dans des exploitations agricoles espagnoles en 2008. (..) Les «mmimates» (mères de famille, dans le jargon populaire) ont le cœur lourd. Ces femmes doivent être en bonne santé, ni grosses ni maigres, avec une dentition parfaite. Elles doivent non seulement être mariées mais également avoir des enfants âgés de moins de 14 ans ! En acceptant toutes les conditions posées par les Européens en matière d’immigration, le gouvernement participe à une nouvelle forme d’esclavagisme.» (6)

Cela nous rappelle une contribution parue dans le Monde diplomatique «Mora le négrier». Celui-ci qui arpente le haut Atlas à la recherche de mineurs pour les mines du nord de la France dans les années trente. Lui aussi, il examine la dentition des candidats et met un cachet rouge de refus ou vert synonyme d’acceptation, le candidat sera alors un forçat dans les mines françaises. Rien n’a changé pour les Marocains.

Les intérêts de la France, de l’Espagne et des Etats-Unis

Ce qui fait courir l’Europe et les Etats-Unis, outre la position stratégique du Maroc, ce sont les ressources minières, halieutiques et énergétiques du grand Maroc:

«Côté américain, écrit Denise Sollo, il est important de gagner le marché marocain par l’établissement d’une zone franche entre les deux pays. Cette attitude s’inscrit dans la politique américaine de conquête du marché africain. Pour l’Union européenne, il s’agit surtout de garder les marchés déjà acquis. Le Maghreb, de par sa proximité et ses richesses, représente pour l’Europe un marché à préserver et à développer. Néanmoins, pour les Etats-Unis comme pour les Européens,. (…) les enjeux d’ordre économique relèvent des richesses contenues dans le sous-sol du territoire, ainsi que celles contenues au large des côtes et dans les fonds marins. En effet, des compagnies pétrolières y effectuent actuellement de la prospection, sous l’autorisation de l’Etat marocain. Il s’agit des multinationales française et américaine TotalFinaELf et Keer Mc Geer (…)» (7)

Dans ces conditions, le ras-le-bol des Sahraouis s’est traduit par une attaque de tous les attributs de l’Etat mais aussi des banques étrangères. Francis Weyl de l’Apso écrit (…) : «La décolonisation non aboutie est la cause primordiale de toutes les exactions commises sur les Sahraouis, peuple en trop sur son territoire. Les entreprises qui commercent avec le Maroc soutiennent directement la violence, le maintien dans le territoire des milliers de policiers, militaires, forces auxiliaires et mouchards, et l’importation massive de colons. (…) Dans les émeutes et les combats qui ont suivi, les Sahraouis ont tenté de repousser les forces répressives et attaqué les symboles du gouvernement, de son pillage des ressources naturelles du territoire et ses complices. D’autres banques à sonorités bien françaises sont installées à El Aâyun, pour une ou plusieurs agences. (…) En s’attaquant aux banques présentes dans ce territoire non autonome, les Sahraouis en attente de la mise en place du légitime référendum qui est leur droit, les accusent directement d’être complices de leurs souffrances, et de la souffrance du peuple sahraoui, qu’il soit exilé ou réfugié.(8)

Suprême récompense de la part de la France et de l’Espagne: le 7 mars se tenait à Grenade un sommet Union européenne – Maroc, le premier depuis que, en 2008, le Royaume s’est vu attribuer le «statut avancé» de partenaire économique privilégié de l’UE. L’analyse pertinente du journaliste marocain, Ali Lmrabet, décrit à bien des égards la situation du Maghreb à partir de «l’exemple marocain», tant il est vrai que les pays le composant ne sont pas acteurs de leurs destins. Ecoutons-le :

«Peut-on vivre au Maroc d’aujourd’hui en faisant omission de cette réalité qui veut que tout doit tourner autour du roi? (…) Et il est paradoxal de constater que ceux qui font leur cette analyse, en particulier les Français, les voisins espagnols et les lointains Américains (avant et avec Obama), ceux-là mêmes qui tiennent bec et ongles à leurs institutions et à leurs chères libertés, veulent nous garder en cage et nous pressent, indirectement bien entendu, de rester sages et d’accepter d’être gentiment conduits par le prince. (…) Nous ne serions pas prêts pour la démocratie, se lamentent ces hypocrites. Mais enfin, de quoi ont-ils peur? Que nous commencions à penser par nous-mêmes? A nous émanciper? Que nous trouvions des solutions à nos besoins, matériels et autres? Que veulent-ils, enfin, ces lointains Occidentaux? On a du mal à croire qu’ils veulent que notre région continue à être la grande fabrique d’extrémistes – qui se nourrissent, justement, des dictatures, des injustices faites aux gens et du manque de liberté criant qui sont notre pain quotidien ».(9)

Les Sahraouis sont-ils les Palestiniens du Maghreb? Ou y a-t-il une autre façon de faire? L’honorable diplomate Lakhdar Brahimi, ancien Secrétaire général adjoint de l’ONU, avait l’habitude de dire qu’il n’y a pas de conflit sans solution. Imaginons une Union maghrébine réelle, selon Akram Belkaïd, les estimations les plus fréquentes, une Union économique réelle avec libre circulation des personnes et des marchandises générerait au moins un point de croissance supplémentaire. Sans compter le fait que l’agriculture algérienne bénéficierait du savoir-faire des ouvriers agricoles marocains, tandis que l’est du Royaume chérifien, asphyxié économiquement, a un besoin urgent de l’ouverture de la frontière terrestre. (10). Pour qu’un Maghreb de l’intelligence puisse émerger, il est bon que les pays en question soient fascinés par le futur pour aller progressivement, à l’instar de l’Europe, vers une Union maghrébine dans le plein sens du terme. Un territoire de plus de 6 millions de km², un gisement solaire important, des énergies fossiles, une population jeune et bien formée serait la meilleure réponse à cette Europe qui continue à diviser pour régner. Nous devons en être conscients!
Par Chems Eddine Chitour

Source/Références

1. Dominique Lagarde: Vent de colère au Sahara occidental Figaro 16.11.2010

2. http://www.courrierinternational.com/revue-de-presse, 2010.11.16 les-tensions-reprennent

3. APSO: L’oued Saguia el Hamra, Rivière rouge de sang- Site Oulala, le 14 novembre 2010

4. Quel avenir pour les Sahraouis? El Periódico de Catalunya, 09.11.2010

5. Chafaâ Bouaïche: Casablanca, le règne du faste et de la misère -La Tribune 08.09.2008

6. Hicham Houdaïfa: Trente euros pour cueillir des fraises -Courrier international 03.01.2008

7. Denise Sollo: Origines, enjeux et perspectives de paix du conflit du Sahara occidental

http://www.irenees.net/fr/fiches/analyse/fiche-analyse-18.html

8.France Weyl: Des banques françaises au Sahara Occidental APSO, 17 novembre 2010

9.Ali Lmrabet: Sa Majesté et notre pain quotidien El Khabar 28.07.2009.

10.Akram Belkaïd: Un différend qui n’a que trop duré Le Quotidien d’Oran 09.04.2009

 
Les Débats, 15-21/12/2010

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