Devant les recettes obtenues par Rabat grâce aux centaines de zodiaques parquées dans la région de Nador au vu et au su de toute la communauté internationale, le Mali essaie de profiter de ce trafic pour faire développer des contrées largement oubiées : l’Azaouad. Voici un excellent reportage de Sonia Rilley sur comment AQMI est devenu un Etat dans l’Etat malien, avec la complicité des responsables maliens.
si la vision politique et médiatique d’al-Qaida au Maghreb islamique cachait sa véritable nature, celle d’une entreprise, qui s’est diversifiée, a investi dans de nombreux secteurs de l’économie, légale comme illégale? En filant la métaphore de l’entreprise, voilà à quoi ressemble Aqmi.
La naissance: le changement de raison sociale du GSPC
Al-Qaida au Maghreb Islamique n’existe que depuis le 11 septembre 2006. Comme beaucoup de sociétés le font pour se relancer, le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) algérien choisit de changer de nom à cette date emblématique et de revendiquer
son allégeance à un groupe plus large, plus «bankable» que lui: l’organisation terroriste qui à l’époque fait trembler le monde entier. Et le GSPC avait bien besoin de ce coup de pub. Si dans les années 1990, il comptait encore plusieurs milliers de membres, le nombre de ses employés n’a, depuis, de cesse de diminuer. Il fait face à un problème marketing: son discours né convainc plus en Algérie. Résultat, les martyrs sont de moins en moins nombreux
et ses réseaux logistiques se réduisent peu à peu sous la pression des attaques et de la politique de réconciliation du gouvernement algérien. Devant la diminution progressive de ses ressources, le GSPC se devait de réagir. «Le Sahel appartenait à la 9e région du GSPC. Dans un premier temps, cette branche de l’organisation devait comme le reste du GSPC combattre les forces algériennes. Mais par la force des choses, l’appui logistique ayant été coupé, le GSPC a été dans l’obligation d’étendre son territoire au-delà de ses bases algériennes et de
chercher de l’argent ailleurs», explique Louis Caprioli, consultant pour le groupe GEOS et ancien sous-directeur de la lutte contre le terrorisme à la DST.
intervient au Sahel.
Un champ d’action territorial
Le Sahel, une zone en rébellion de plus de 40 ans, abandonnée par les pouvoirs centraux au Niger ou au Mali, était un territoire à prendre, un territoire où les populations vivent dans l’extrême pauvreté. Mais le Sahel est aussi le carrefour de tous les trafics (cigarettes, voitures volées, alcool, drogue, immigration clandestine).
Pour ceux qui disposent d’armes, il y a toujours une manière de se faire de l’argent. (Carte: zone d’influence d’Aqmi / Orthuberra via Wikimedia Commons CC license by)
Le trafic
C’est la première source de financement développée historiquement par Aqmi et la spécialité de Mokhtar Benmokhtar, alias Khaled Abou El Abbès, l’un des chefs d’Aqmi. Il touché un peu à tout, aux trafics de cigarettes, de voitures volées et même d’alcool. Mais en haut lieu, les dents commencent à grincer, on lui reproche son attitude peu «islamiste», ce qui lui avait déjà voulu de perdre la direction de la région 9 du GSPC.
Les taxes
Une fois par an, le conseil des chefs d’Aqmi se réunit. Comme tout conseil d’administration, il fait le point sur les activités de l’entreprise Aqmi, ses opérations, ses sources de financement. Et en 2008 s’opère un premier changement. «Les membres d’al-Qaida au Maghreb islamique né devaient plus prendre eux-mêmes part aux trafics, mais instaurer des taxes sur des trafics déjà existants. Une sorte de droit de passage», explique Mathieu Guidère, auteur d’Al Qaida à la conquête du Maghreb. Cela va concerner surtout le trafic de drogue et l’immigration clandestine. Dans un cas comme dans l’autre, tout transite par le Sahel avant d’aller en Europe. Pour preuve, cet avion venu de Bogota, qui a atterri en novembre 2009 près de Gao dans le nord du Mali et n’a jamais pu repartir. Les trafiquants de drogue sud-américains utilisent de plus en plus l’Afrique de l’ouest et le Sahel pour faire rentrer la drogue sur le territoire européen, via le Maroc ou la Libye. Il suffit donc à l’organisation de taxer les responsables de ses filières qui transitent sur son territoire, leur offrant en échange un sauf-conduit et une protection. Selon Mathieu Guidère, ces taxes vont très vite prendre le pas sur les autres trafics moins lucratifs.
Nouveau changement de cap, nouvelle réunion des chefs d’Aqmi, fin décembre 2008, l’un des bras droits de Yahia Djouadi, l’émir du Sahara, propose une nouvelle stratégie plus compatible, de son point de vue, avec le Jihad. Abdelamid Abou Zeïd a lui aussi fait ses classes dans le maquis algérien. Mais il est plus radical que l’autre chef de «Katiba», de section, Mokhtar Benmokhtar. Il propose de développer la branche d’activités liées aux «prisonniers de guerre», les prises d’otages d’expatriés, si possibles originaires de pays «mécréants» impliqués dans le conflit en Afghanistan contre la maison mère. Aqmi n’en est pas à son coût d’essai. Le GSPC non plus d’ailleurs même si les prises d’otage n’étaient qu’une activité marginale. Les Français Pierre Camatte et Michel Germaneau, le Britannique Edwyn Dyer, le Canadien Robert Fowler, les Espagnols Albert Vilalta, Alicia Gámez et Roque Pascual, la liste s’allonge encore avec en septembre l’enlèvement de 7 personnes à Arlit au nord du Niger, 5 Français, un Togolais et un Malgache. Au total depuis sa création, Aqmi aurait touché quelque 70 millions d’euros, à raison en moyenne de 2 millions par otage.
«Les prises d’otage ne vont pas supplanter les taxes sur les trafics, explique toutefois Mathieu Guidère. Car ces taxes sont des sources de revenus beaucoup plus régulières. Le kidnapping n’est une source de revenus occasionnelle et ponctuelle. Ce n’est donc pas possible de les substituer.» C’est également l’avis de Louis Caprioli qui estime que ces taxes rapportent à Aqmi beaucoup plus encore que les rançons si médiatisées.
Marketing
Les prises d’otages servent aussi de campagne de communication à l’entreprise. En se multipliant, en devenant de plus en plus médiatiques, ils font finalement la renommée d’al-Qaida au Maghreb islamique, bien au-delà des opérations sans envergure de la branche algérienne d’Aqmi. Car si les chefs officiels du mouvement –le numéro 1 Abdelmalek Droukdel et Yahia Djouadi– sont toujours en territoire algérien, l’attention de la communauté internationale se focalise sur le Sahel et sur ses chefs de Katiba. Honneur suprême, cette évolution leur vaudra en octobre 2010 un mot du chef suprême Oussama Ben Laden, qui, dans un message, évoque pour la première fois les activités de la branche sahélienne d’al-Qaida (Droukdel, lui, fait entrer Ben Laden dans les négociations sur les otages français le 18 novembre 2010). Une labellisation qui, aux yeux d’un Abou Zeïd, vaut plus que toutes les récompenses, armes ou formateurs. Car il n’y a strictement aucun lien opérationnel entre l’organisation au Sahel et al-Qaida, assurent les spécialistes du dossier. Tout ce que les deux organisations partagent, c’est un nom et peut-être une idéologie.
LES PRINCIPAUX POSTES DE DÉPENSES
Que fait Aqmi de ses millions? L’organisation compte au mieux dans le Sahel quelque 300 membres actifs. Dispersés en petits groupes, ils sont toujours en mouvement pour éviter d’être repérés. Et même s’ils sont mieux armés, équipés de moyens modernes de communication, rien dans leurs équipements n’indique un investissement exceptionnel, ni armes lourdes, ni chars de combats et encore moins une aviation. Car si Aqmi est officiellement en guerre, c’est au nord, contre l’armée algérienne. Sa branche sahélienne né s’attaque quasiment jamais aux militaires de la région. Il n’y a pas là non plus d’attaques de grande ampleur,
ni d’opération massive de recrutement. En Algérie, non plus, l’activité terroriste n’a pas pris d’ampleur, au contraire. «Si vous regardez bien depuis le mois d’août 2008, vous n’avez plus eu de grandes opérations militaires réalisées par cette organisation sur le territoire algérien,
explique Louis Caprioli. Ça veut dire qu’elle est en position de faiblesse. Elle n’est plus capable de faire de grands attentats suicides.»
Aujourd’hui, la branche algérienne d’Aqmi né compterait plus que quelques centaines de membres, 600 selon les plus hautes estimations.
La sous-traitance
Avec 300 personnes à peine, aussi mobiles, la branche sahélienne d’Aqmi n’accomplirait rien directement. En fait, l’organisation soustraite à peu près tout: l’achat d’armes, de nourriture, d’essence ou d’eau. Elle a ses approvisionneurs attitrés. Cela vaut aussi pour les otages. Selon Mathieu Guidère, seule la dernière vague d’enlèvement, celle d’Arlit, a été dirigée par Abou Zeïd. Les autres ont été capturés par des groupes armées locaux qui par la suite les ont revendu à Aqmi. «Ces groupes locaux ont besoin d’argent, mais n’ont pas les capacités de
maintenir des personnes en otage plusieurs mois, explique Mathieu Guidère. Ce n’est pas comme en Somalie ou au Nigéria. Ils n’ont ni l’expérience, ni la logistique nécessaire, ni même l’idée de mener à bien une telle opération.» C’est aussi l’opinion de Louis Caprioli: «Lorsqu’un
diplomate canadien (NDLR: Robert Fowler) est enlevé à proximité de Niamey, la capitale nigérienne, cela né fait aucun doute, il y a des complices locaux qui enlèvent des expatriés pour les vendre ensuite à Aqmi.» Ces groupes locaux sont payés, mais sans aucune mesure avec le montant annoncé des rançons.
«En cas de prise d’otage, la chaîné d’intermédiaires est terriblement longue et chacun prélève
sa part.» Il y a deux ou trois négociateurs qui ont pignon sur rue à Bamako, les chefs locaux voisins d’Aqmi et puis des contacts sur le terrain qui savent plus ou moins où trouver les membres de l’organisation. C’est une protection pour les chefs d’Aqmi qui sont très difficile à joindre et cela explique aussi pourquoi il est parfois difficile de prendre contact avec eux. «Mais je né peux pas croire qu’ils se laissent dépouiller par les négociateurs, car finalement ce sont eux qui détiennent la clef du problème», affirme pour sa part Louis Caprioli. Une opinion partagée par Adam Thiam, l’éditorialiste du quotidien malien Le Républicain: «Je né peux pas croire que les chefs de tribus voisins d’Aqmi sont si bien payés, sinon ils vivraient
beaucoup mieux qu’aujourd’hui, ils sont loin de rouler sur l’or.» Pourtant, il y a de plus en plus de constructions à Tombouctou, à Gao ou Kidal. L’immobilier dans le nord du Mali né connaît pas la crise. Le prix du ciment explose. Or investir dans le bâtiment, c’est la meilleure manière de blanchir de l’argent sale. Pour Adam Thiam, on est bien loin de l’explosion dénoncée par certains élus du nord, mais tout de même, cela montre un certain dynamisme de
la région. Est-ce pour autant Aqmi qui investit? Rien n’est moins sûr. «Pour moi, ce n’est pas directement Aqmi qui investit dans les villes, mais ces gros commerçants qui profitent d’Aqmi et du narcotrafic pour s’enrichir, cela né concerne que quelques personnes.»
Aqmi redistribue largement pour s’assurer de la non-hostilité des populations locales. «La population né subit pas Aqmi, en tout cas pas au point de provoquer un rejet, explique Mathieu Guidère. Aqmi né l’attaque pas, n’enlève pas d’habitants de la région. L’organisation terroriste participe indirectement à la vie économique du nord du Sahel.» C’est pour cela que l’organisation avait choisi à l’origine de s’installer au nord du Mali et du Niger, les habitants
sont rétifs au pouvoir central et extrêmement pauvres. L’Etat y est pratiquement absent.
«Ils se sont imposés par les activités économiques, ils donnent de l’argent aux gens pour créer des petits commerces et ça leur sert ensuite de sources d’approvisionnement», raconte Mohamed Ould Mahmoud, ancien directeur d’Oxfam au Mali et expert en développement, originaire de Tombouctou. Lui a vu comment Aqmi s’est attirée les faveurs d’une partie de la population en payant comptant et sans négocier la moindre marchandise ou en distribuant des médicaments. «Aqmi, c’est l’Etat là où il n’y en a pas», rebondit son compatriote Adam Thiam. Déjà très pauvre, la bande sahélo-saharienne est touchée de plein fouet par la crise
économique et une terrible sécheresse. Les revenus touristiques sont en baisse depuis des années à cause dans un premier temps de la prolifération des groupes armés et dernièrement
bien sûr des prises d’otages.
Les groupes rebelles du nord du Mali et du Niger ont fini dans leur grande majorité par rallier les pouvoirs centraux, mais sans obtenir les contre-parties attendues. «Le tissu socio-économique est dans un tel état que n’importe quelle source de revenus est la bienvenue. La population ne va pas regarder d’où vient l’argent», explique encore Mathieu Guidère.
Aqmi serait-elle une alternative à des Etats défaillants? Mohamed Ould Mahmoud, lui, s’oppose vigoureusement à cette idée. De même qu’à celle d’une population entièrement dévouée à Aqmi, complice de ses actions: «Quel autre choix ont-ils? Ils ont peur d’actions de représailles. Aqmi décide qui travaille ou pas dans le secteur des transports par exemple.» Arrivée sur la pointe des pieds, l’organisation sahélienne s’impose peu en peu comme une entreprise monopolistique. Son ombré plane sur tous les secteurs d’activité. Les commerçants locaux heureux hier d’avoir quelqu’un à approvisionner prennent du galon. «Une nouvelle aristocratie est en train d’émerger.» Pour lui, il né faut pas non plus distinguer les narcotrafiquants des terroristes: «Ceux qui font du trafic de drogue s’installent dans les capitales régionales, à Gao, à Tombouctou. Là-bas, ils bénéficient d’une certaine immunité. Les autres sont dans le désert. Ils apparaissent plus idéologiques. Mais la finalité est la même ». Et cette finalité, c’est de faire de l’argent. Pour continuer à exister.
Source : Blogs Philhadj.fr, 10/12/2010
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