Rabat menace de revoir ses relations avec Madrid
Les craintes que nourrissait le gouvernement espagnol de voir le Maroc user de l’arme du chantage après les multiples condamnations dont il est l’objet en Espagne, et en Europe, depuis la brutale prise d’assaut du camp de toile de Gdeim Izik, sont en train de se confirmer.
Les craintes que nourrissait le gouvernement espagnol de voir le Maroc user de l’arme du chantage après les multiples condamnations dont il est l’objet en Espagne, et en Europe, depuis la brutale prise d’assaut du camp de toile de Gdeim Izik, sont en train de se confirmer.
La motion de trop
Jeudi, le porte-parole du gouvernement marocain, Khalid Naciri, a clairement fait savoir, au cours d’une conférence de presse, que le Maroc allait «reconsidérer ses relations avec l’Espagne, dans tous les domaines, en fonction des circonstances actuelles».
Cette déclaration est intervenue seulement quelques heures après l’adoption par le Congrès des Députés espagnol d’une motion présentée par le groupe mixte communiste-verts demandant au gouvernement Zapatero de «condamner» les incidents survenus au cours du démantèlement du camp de toile par les forces de police marocaine. C’est la motion de trop !
Pourtant, depuis le début des incidents du 8 novembre, le gouvernement socialiste espagnol s’était employé activement, y compris au niveau des institutions européennes, à bloquer tout projet de résolution attribuant la responsabilité de ce qui s’est passé à Al Ayoune à la seule partie marocaine.
Madrid avait activé le groupe de pression pro-marocain du parlement européen pour éviter une condamnation de Rabat dans la résolution des eurodéputés du 25 novembre dernier.
Rachida Dati la Marocaine
La France en avait fait de même par le biais de ses parlementaires, parmi lesquels l’ex-ministre de la Justice, Rachida Dati, de père marocain, qui avait montré une bien trop curieuse complaisance dans ses questions au ministre marocain des Affaires étrangères lors de son passage, lundi dernier,devant le parlement de Strasbourg. «Les pro-Marocains ont fait aussi bien que le lobby parlementaire européen qui veille sur les intérêts d’Israël», ironisera un eurodéputé.
Pourquoi donc s’en prendre au gouvernement espagnol qui a été isolé dans sa position de prudence à l’égard de ce qui s’est passé à Al Ayoune, résistant à toutes les pressions des partis de gauche, de droite, des nationalistes, des parlementaires locaux et nationaux, de la société civile et de la presse ? Pourtant, la motion du Congrès des Députés est tout juste un peu plus audacieuse que celle que le Sénat avait votée mardi dernier condamnant les violences lors de la prise d’assaut du camp de toile d’Al Ayoune, sans toutefois citer l’une des deux parties, marocaine ou sahraouie.
Les autorités marocaines ont été, en fait, irritées par la participation du groupe parlementaire socialiste à l’adoption de la première motion attribuant, bien qu’implicitement, la responsabilité de cette violence au Maroc. La motion souligne bien que les députés ont demandé au gouvernement Zapatero d’«exprimer ses inquiétudes au Maroc pour les violations des droits de l’homme au Sahara» (Sahara Occidental, ex-Sahara Espagnol, ndds).
C’est ce passage de la motion, bien que retouché à la demande des socialistes, qui laisse penser aux yeux de Rabat, Zapatero n’a pas honoré le contrat d’amitié le liant au royaume du Maroc.
Les armes dissuasives de Rabat
C’est ce passage de la motion, bien que retouché à la demande des socialistes, qui laisse penser aux yeux de Rabat, Zapatero n’a pas honoré le contrat d’amitié le liant au royaume du Maroc.
Qu’entend donc le porte-parole par «révision des relations avec l’Espagne», une décision sur laquelle devait se prononcer vendredi le parlement marocain ? La menace marocaine laisse entrevoir que le contentieux sur Ceuta et Melilla, mis entre parenthèses par le roi Mohammed VI, pourrait désormais figurer comme point essentiel de l’ordre du jour dans les réunions de haut niveau entre Rabat et Madrid. C’est la hantise du gouvernement Zapatero qui n’ignore pourtant pas qu’en dernier ressort un référendum consacrerait l’hispanité de ces deux présides que Rabat qualifie de «villes occupées». La visite historique du couple royal espagnol à Ceuta et Melilla, en octobre 2008, avait apporté la preuve irréfutable que les citoyens de ces deux enclaves, à forte majorité marocaine, sont à plus de 95% opposés au rattachement des deux villes au Maroc. Les autorités espagnoles craignent aussi dans l’immédiat un refus de collaboration des autorités marocaines dans le contrôle des flux migratoires subsahariens en direction de l’Espagne.
Depuis la crise diplomatique survenue entre les deux pays cet été au poste frontalier de Melilla, les gardes-côtes marocains avaient systématiquement fermé les yeux sur le trafic des personnes qui avait repris de plus belle, bizarrement, à ce moment précis. Le narcotrafic avait également pris durant cette même période une ampleur sans précédent.
Ce sont là quelques armes dissuasives que le gouvernement marocain n’hésitera pas à employer pour amener le président Zapatero à mieux contenir le mouvement de sympathie dont jouit la cause sahraouie auprès de la base socialiste. C’est cette base militante, en effet, qui a fait pression sur le PSOE pour qu’il aligne sa position sur celle des autres partis au sujet des événements violents d’Al Ayoune.
La réaction marocaine semble également dirigée contre la principale force d’opposition, le Parti populaire, objet des manifestations massives en cours au Maroc depuis que les dirigeants du PP avaient appelé à une condamnation ferme du Maroc. Rabat sait que tous les sondages donnent le PP vainqueur aux élections générales de mars 2012 et que la «lune de miel» avec le gouvernement socialiste espagnol tire à sa fin.
Un message au Parti populaire
La réaction marocaine semble également dirigée contre la principale force d’opposition, le Parti populaire, objet des manifestations massives en cours au Maroc depuis que les dirigeants du PP avaient appelé à une condamnation ferme du Maroc. Rabat sait que tous les sondages donnent le PP vainqueur aux élections générales de mars 2012 et que la «lune de miel» avec le gouvernement socialiste espagnol tire à sa fin.
En 2012, la période de complaisance de l’Espagne envers son voisin du sud, ménagé en toutes circonstances depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir en avril 2004, aura vécu. Le message de M. Naciri ne s’adresserait-il donc pas en fait en priorité au futur gouvernement que présidera le leader du PP, Mariano Rajoy ?
H. A.
Le Temps d’Algérie, 3/12/2010
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