“Les colonisateurs se trompent encore sur ceux qu’ils tentent d’assujettir”

Yahia Zoubir, spécialiste de la question sahraouie, à “Liberté” : “Les colonisateurs se trompent encore sur ceux qu’ils tentent d’assujettir”

Le Professeur Yahia Zoubir, spécialiste en relations internationales et du dossier du Sahara occidental, s’exprime sur la dernière agression menée par les forces d’occupation marocaines contre les civils sahraouis au camp de Gdeim Izik.

Liberté : Quel est votre commentaire sur les massacres commis au camp de Gdeim Izik et sur leurs conséquences dans les territoires sahraouis occupés ?

Pr Yahia Zoubir : Franchement, cette attaque est surprenante car elle produit l’effet contraire de ce que voulait faire le pouvoir marocain. Cette agression a mis à nu la férocité des forces de sécurité marocaines, qui ont fait appel à des civils pour attaquer les Sahraouis et détruire leurs biens. Elle a aussi montré au monde les conditions d’occupation des Sahraouis et le refus de ces derniers de vivre sous le joug colonial. Si l’objectif était de dérailler la rencontre de Manhasset, programmée le même jour, cela a été un échec puisque les membres du Polisario, le Front représentant le peuple sahraoui, ne sont pas tombés dans le piège. Cette rencontre, comme il fallait s’y attendre, n’a rien produit de tangible, mais elle a tout de même eu lieu. À mon avis, l’attaque a eu deux conséquences majeures. 1. Elle a montré que la soi-disant offre marocaine d’autonomie n’est qu’une coquille vide que les Sahraouis n’accepteront pas, d’autant plus que la ligne séparant les communautés civiles marocaine et sahraouie est à présent très claire. 2. Elle va radicaliser la population sahraouie dans les territoires occupés, surtout les jeunes : cette population est non seulement marginalisée et exploitée, mais elle est aussi victime d’une répression féroce. L’objectif marocain de “gagner les cœurs et les esprits des Sahraouis” est réduit à néant. La réconciliation entre les deux communautés est non seulement consommée, mais elle va aussi marginaliser les Sahraouis attirés par la notion d’autonomie.

L’Espagne a demandé à Rabat des “éclaircissements” sur ces violences. Cela aura-t-il un impact sur le processus de décolonisation ?
S’il est vrai que l’attaque marocaine a fait réagir de nombreux Espagnols, dont le Parti socialiste et la société civile, le gouvernement espagnol sous Zapatero continuera de favoriser les bonnes relations avec le Maroc. Il n’y a pas grand-chose à espérer de ce côté-là, si ce n’est de mettre le Conseil de sécurité de l’ONU devant ses responsabilités. Mais, comme dans le cas de Gaza, on mettra dos à dos l’agresseur et la victime, en demandant aux deux parties de continuer le processus de négociations sous l’égide de l’ONU. Le réalisme politique reste prépondérant. Le conflit du Sahara occidental, en l’absence d’un conflit armé, ne sera pas une priorité.

Que pensez-vous de la réaction des officiels français et des autres membres du groupe des “Amis du Sahara occidental” ?

Ils se disent concernés, mais ils ne feront pas grand-chose, à part appeler au calme… Le Maroc a confisqué le passeport et expulsé Jean-Paul Lecoq, député de la Seine maritime, mais il est très peu probable que cela mette en péril les relations franco-marocaines. Encore une fois, le conflit sahraoui n’occupe pas le devant de la scène internationale. Mais, les Marocains, de par cette attaque, ont permis de souligner l’urgence de résoudre ce conflit, avant qu’il ne prenne des proportions plus sérieuses. Les “Amis du Sahara occidental”, même ceux alliés du Maroc, ne peuvent rester impassibles face à une attaque contre des civils innocents.

Des observateurs trouvent incompréhensible le silence actuel de l’Algérie. Partagez-vous cet avis ?

La presse algérienne et la société civile ont réagi vigoureusement à cette situation. 
À quoi servirait une condamnation du gouvernement algérien ? Ce dernier s’exprime régulièrement devant les instances internationales sur la question des droits humains au Sahara occidental et sur la nécessité d’organiser un référendum d’autodétermination pour mettre fin à ce conflit. 

Le silence dans ce cas est peut-être une bonne chose en face des attaques répétées des officiels marocains contre l’Algérie, qui veulent faire valoir la thèse selon laquelle ce conflit est entre l’Algérie et le Maroc et non entre ce dernier et les Sahraouis colonisés.

De plus en plus de voix font le rapprochement entre la colonisation israélienne en Palestine et l’occupation marocaine dans l’ex-colonie espagnole… 

Ce rapprochement est pertinent. Colonisation de peuplement. Répression contre des populations désarmées. De plus, le Maroc, comme Israël, bénéficie du soutien des puissances présentes au Conseil de sécurité. Mais, certains ne comprendront jamais qu’on ne peut pas subjuguer un peuple éternellement. Ni les Palestiniens ni les Sahraouis n’abandonneront leurs luttes légitimes. L’erreur des colonisateurs est de croire que plus ils répriment et moins sera la détermination de ceux qu’ils tentent d’assujettir.

La nouvelle donne des territoires occupés sahraouis contraindra-t-elle le Conseil de sécurité de l’ONU à revoir sa copie, notamment sur la question des droits de l’homme ?

Là est la vraie question. Il faut attendre la réaction du Conseil de sécurité avant de s’avancer. Les Marocains ont donné eux-mêmes la preuve qu’il est nécessaire d’inscrire la question des droits humains et leur protection dans le mandat de la Minurso. Mais, ceux qui s’y sont opposés auparavant changeront-ils d’avis cette fois-ci ?
Par : Hafida Ameyar
Liberté, 14/11/2010

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