«Rabat espère transformer l’annexion illégale en un fait accompli»
En Octobre 2006, au cours d’une conférence sur « la question du Sahara Occidental et légalité internationale », organisée par l’Institut d’études sociales de la Haye (Pays-Bas), Le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui a été conforté par des experts européens et américains en droit international. Le secrétaire général de l’ONG « Plate-forme des juristes pour le Timor- Oriental », Pedro Pinto Leite estimait que la question du Sahara Occidental ne souffre « d’aucune équivoque » du point de vue du droit international, mais c’est le Maroc qui en fait une lecture spécieuse. Pinto Leite, un des organisateurs de la conférence expliquera qu’autant au plan du droit international la question des droits nationaux du peuple sahraoui » est très claire », autant le Maroc utilise des « arguments politiques » et des contrevérités pour déformer la réalité. Le juriste en veut pour illustration, l’expurgation par Rabat des aspects qui contredisent ses thèses officielles de l’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ), émis il y a plus de 20 ans. Alors que cet avis, explique Pinto Leite, reconnaît que seulement « quelques » chefs de tribus sahraouies ont eu des relations avec la monarchie Alaouite, et que de toute manière elles ne signifient en aucun cas la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental, le gouvernement marocain, dans sa littérature officielle, a carrément éliminé l’adjectif « quelques », déformant ainsi totalement l’avis de cette cour onusienne; nous comprenons donc toute la propagande politiques faites il y’a peu de temps au sujet de certains « revirements au profit de la monarchie ». En outre, dans ses thèses officielles, Rabat omet la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui contenue dans ce même avis de la Cour de la Haye, a-t-il précisé. Il est clair, selon Pinto Leite, que l’objectif recherché par le gouvernement marocain est de détourner de « manière curieuse », la légalité internationale pour perpétuer sa politique d’occupation du Sahara Occidental. Ce juriste qui voit une similitude totale avec le cas du Timor- Oriental qui a obtenu, il y a quelques années, l’indépendance au terme d’un processus d’autodétermination, dénonce également « la complète illégalité » de l’exploitation des richesses naturelles sahraouies. À ce titre, estime t-il, l’accord de pêche UE-Maroc qui inclut les eaux territoriales sahraouies, est complètement illégal et ‘ »va complètement à l’encontre des normes du droit international ». Pinto Leite (*) répond aujourd’hui aux questions du Courrier d’Algérie
Le Courrier d’Algérie : – Considérez-vous le Sahara Occidental comme territoire occupé par le Maroc ? Petro Pinto Leite : – Le territoire du Sahara Occidental est, sans aucun doute, un territoire occupé par le Maroc, un État voisin. Cette situation est exactement semblable à celle déjà vécu par le Timor- Oriental, occupé par l’Indonésie entre Décembre 1975 et Octobre 1999.
Sur le plan du droit, notamment international, comment jugez-vous la question du Sahara Occidental ? Et pensez-vous que les instances internationales lui accorde un intérêt suffisant ?
Au regard du droit international, la question du Sahara Occidental est très claire. Le Maroc a commis un crime d’agression en envahissant le Sahara Occidental, suivi d’une occupation et d’une annexion illégale du territoire. Il a également pratiqué un acte de désobéissance vis-à-vis du Conseil de sécurité de l’ONU, car il a ignoré l’ordre de retirer ses forces du territoire sahraoui. Il a également violé les engagements pris en tant que signataire du Plan de paix et des Accords de Houston, en s’opposant au référendum. Depuis le début de l’occupation, le Maroc a commis des violations flagrantes des droits de l’Homme, comme le précise les rapports d’Amnesty International, de Human Rights Watch et d’autres organisations. Périodiquement des organisations internationales dénoncent les exécutions extrajudiciaires, les «disparitions», les cas de torture, les arrestations arbitraires… Le Maroc a également pillé les ressources naturelles qui appartiennent au peuple sahraoui. Et a propos de ce qui arrive, aujourd’hui, à El-Ayoun on peut aller jusqu’à caractériser ceci comme un génocide, au sens strict et juridique du terme. Les organismes internationaux ont adopté une position très faible. L’avis consultatif de la Cour internationale de justice a été, en effet et dès le départ, bien fondé, comme cela fut le cas pour le Conseil de sécurité qui a tranché objectivement. Mais le manque de volonté politique de certains de ses membres (et en particulier le soutien honteux de la France aux thèses de Rabat) a fait que le Conseil n’a pas appliqué les dispositions du chapitre VII de la Charte, a toléré l’occupation illégale du territoire, n’a pas réagi aux manoeuvres dilatoires de Rabat pour empêcher le référendum et n’a pas donné pour mission à la Minurso de protéger des droits humains dans le territoire occupé. Enfin, une faible performance par les organismes internationaux, qui pourraient menacer la primauté du droit international et d’encourager davantage les menaces à la paix dans le monde.
Des entreprises, notamment européennes, concluent des accords avec les autorités marocaines dans les territoires occupés. Qu’en pensez-vous, n’est-ce pas donner un signe de légitimité à l’occupation ?
Les entreprises qui concluent des accords avec les autorités marocaines dans le territoire occupé profitent de la situation illégale. En Janvier 2000, lors d’une pause d’un atelier sur le Traité du Timor Gap que l’Atnuto a organisé à Dili, j’ai demandé à un P-DG d’une compagnie pétrolière australienne si l’accord entre l’Indonésie et l’Australie a été plus favorable à l’Australie. Souriant, il a répondu: « Absolument … L’Indonésie n’a pas été en mesure de négocier un accord équilibré. » Et, en effet, c’est comme ça: le voleur qui vend une télévision volé ne peut pas demander le prix du marché légal. Les entreprises et les gouvernements qui traitent avec le Maroc des ressources naturelles du Sahara Occidental voudraient légitimer l’occupation. Mais ce n’est pas possible. Au contraire, ils violent la loi aussi. Comme un expert en droit pénal international, le professeur Roger Clark, a bien dit, ils sont des «récepteurs de biens volés». Ces mots s’appliquent parfaitement et vont comme un gant aux entreprises, notamment européennes, qui concluent des accords avec les autorités marocaines dans les territoires occupés
En Europe de nombreuses associations ont appelé à manifester en faveur des Sahraouis, et ce en réaction de l’intervention des forces marocaines à El- Ayoun, une intervention qui a semé la panique au sein des populations. Plusieurs témoignages font état de nombreux morts. Quel regard portez-vous sur cette escalade ?
Les actes de génocide commis au cours des derniers jours à El-Ayoun et ses environs révèlent l’impuissance et la panique des autorités marocaines face à la fermeté des Sahraouis, qui défendent leur droit inaliénable à l’autodétermination et l’indépendance. On peut comparer ces crimes à El-Ayoun avec le massacre que l’armée indonésienne a commis dans le cimetière de Dili, le 12 Novembre, 1991. Max Stahl, un journaliste britannique de grand courage, a filmé des scènes du massacre. Ils ont voyagé dans le monde et l’opinion publique a commencé à faire pression sur les gouvernements qui ont soutenu l’Indonésie. Ce fut le début de la fin de l’occupation, parce qu’il a provoqué un effet domino: par exemple, la Conférence de Manille de 1994 (un véritable désastre pour la diplomatie indonésienne) et le Prix Nobel de la paix décer
né à José Ramos-Horta et l’évêque Belo en 1996. Et en Janvier 1999, le président Habibie a été contraint d’accepter un référendum au Timor-Oriental. Les autorités marocaines ont empêché la présence des journalistes à El-Ayoun. Ils ne voulaient pas de témoins de leurs crimes. Mais aujourd’hui il y a des téléphones mobiles qui peuvent filmer et il y a aussi Internet. Les terribles images de l’attaque du camp pacifique de protestation sahraoui sont là, montrant la barbarie des forces d’occupation et exposant les mensonges et la propagande du Makhzen.
La réunion de négociations entre le Maroc et le Front Polisario s’est achevée, mardi soir à New York, sans avancée certaine. Le Maroc a continué de rejeter l’idée d’un référendum d’autodétermination. Que pensez-vous de l’incapacité de la communauté internationale à solutionner le problème ?
Le gouvernement du Maroc ne souhaite pas négocier parce qu’il manque d’arguments valables d’ autant que le droit international n’est pas de son côté. Rabat espère transformer l’annexion illégale en un fait accompli. Le Conseil de sécurité, comme je l’ai déjà indiqué, n’a pas assumé ses responsabilités en tant que gardien de la paix et de la légalité internationale. La solution doit passer par une plus grande sensibilisation de l’opinion publique, afin qu’elle puisse exercer la pression sur les gouvernements qui soutiennent le Maroc. Le temps est venu pour mener une intense campagne pour la reconnaissance de la Rasd. L’Assemblée générale, qui avec la Résolution 1514 (XV) a été le moteur de la décolonisation, a une responsabilité dans le maintien de la paix et peut ainsi débloquer la situation et la sortir de l’impasse. Le peuple sahraoui a le droit de décider de son propre avenir.
Propos recueillis par Meriem Abdou
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