Le Maroc ferme le bureau d’Al-Jazeera sur son territoire : Quand la couverture du conflit sahraoui irrite le roi

Le traitement par la chaîne d’information qatarie du dossier du Sahara occidental, où elle donnait la parole à la partie sahraouie, n’a pas été du goût du souverain marocain, qui a décidé de suspendre l’activité de ce média en mettant en avant ses “multiples manquements aux règles du journalisme sérieux et responsable”, sans toutefois en préciser lesquels.Les autorités marocaines ont suspendu vendredi les activités du bureau d’Al-Jazeera à Rabat et retiré les accréditations à ses journalistes. Ainsi, la chaîne qatarie se voit interdite d’exercer dans le seul pays du Maghreb où elle était autorisée à le faire. 

Cependant, cette interdiction intervient parce que Al-Jazeera n’aurait pas répondu aux attentes de la partie marocaine, notamment concernant le conflit du Sahara occidental. En effet, il ne fait aucun doute que le traitement par la chaîne d’information qatarie du dossier sahraoui, où elle donnait la parole à la partie sahraouie, n’a pas été du goût du souverain marocain. 

Si le ministre marocain de la Communication a déclaré dans un communiqué que cette suspension “fait suite à de multiples manquements aux règles du journalisme sérieux et responsable”, un responsable du gouvernement marocain a indiqué, sous le couvert de l’anonymat, que Rabat reproche à Al-Jazeera la manière dont elle “traite les dossiers relatifs aux islamistes et à l’affaire du Sahara (occidental)”. Il est particulièrement reproché à cette chaîne d’accorder de l’importance au Front Polisario et surtout de parler de la question des droits de l’homme violés systématiquement par les forces marocaines au Sahara occidental.
Khalid Naciri, le ministre marocain de la Communication, a argumenté cette suspension en affirmant que “l’image du Maroc est systématiquement écornée par le refus de l’objectivité et de l’impartialité”, pour ajouter ensuite : “Nous reprochons à cette chaîne son refus de traiter les grands dossiers structurants et de véhiculer une image caricaturale de la réalité marocaine.” De son côté, le directeur du bureau d’Al-Jazeera à Rabat, Abdelkader Kharroubi, a déclaré que la chaîne “a toujours respecté les règles du professionnalisme et de la neutralité, notamment au Maroc”. Il émet toutefois des doutes sur l’origine de cette décision de suspension en déclarant que “le dossier d’Al-Jazeera n’est malheureusement pas entre les mains du seul ministère de la Communication. D’autres parties décident à ce niveau”, sans pour autant apporter davantage de précisions. Il estime que “cette suspension est une erreur de la part des autorités marocaines, une erreur à laquelle nous sommes étrangers”. 

Pour Amina Bouayach, présidente de l’Organisation marocaine des droits de l’homme (Omdh), la suspension du bureau d’Al-Jazeera “traduit l’hésitation du Maroc à continuer le processus d’ouverture, notamment au niveau de la liberté de la presse”. L’antenne d’Al-Jazeera à Rabat comptait quatre journalistes marocains. Deux d’entre eux n’avaient pu obtenir leur accréditation, et leurs deux confrères viennent donc de se voir retirer la leur.
Il y a lieu de signaler qu’en mars dernier, Reporters sans frontières (RSF) avait adressé une lettre à plusieurs dirigeants européens pour “attirer (leur) attention sur la dégradation très inquiétante de la situation de la liberté de la presse au Maroc au cours des derniers mois”, juste avant le sommet UE/Maroc des 6-7 mars à Grenade (Espagne). RSF a estimé qu’“après de réelles avancées au début du règne” de Mohammed VI, commencé en juillet 1999, “les reculs et crispations se sont multipliés, notamment depuis juillet 2009, dans le domaine de la liberté de la presse”. 

En janvier 2010, les locaux du Journal hebdomadaire, une publication indépendante qui a brisé plusieurs tabous politiques, ont été mis sous scellés suite à des problèmes financiers. L’hebdomadaire arabophone Nichane a également cessé de paraître en octobre, “résultat d’un boycott publicitaire systématique”, selon son directeur de publication Ahmed Reda Benchemsi.
Par : Merzak Tigrine
Liberté, 31/10/2010

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