L’information avait été discrètement publiée le vendredi 15 octobre mais elle n’avait été confirmée officiellement que plus tard. Le journal israélien Maariv venait de dévoiler qu’une visite officielle du président Shimon Pérès au Maroc était planifiée dans les deux semaines à venir. Depuis sa nomination, le président ne s’est pas contenté du rôle purement honorifique que lui accordent les lois de l’Etat. Il s’est attribué partiellement les fonctions d’Avigdor Lieberman, le ministre des affaires étrangères, qui n’a pas réussi à percer en Europe et dans les pays arabes et qui reste persona non grata dans beaucoup de Chancelleries.
Invitation officielle
Shimon Pérès avait bien reçu une invitation officielle du roi Mohammed VI pour le rencontrer en son palais de Rabat en vue de participer à des réunions avec les dirigeants politiques et les décideurs économiques chérifiens. Cette rencontre était prévue en marge du Forum économique Mondial sur la région du Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MENA) qui se tiendra du 26 au 28 octobre à Marrakech sous le thème « Sens, Résilience et Prospérité ».
Le président de l’Etat d’Israël avait été invité alors que le Maroc avait rompu ses relations diplomatiques à la suite de l’intifada Al-Aqsa en 2000. Le dernier délégué Gadi Golan, qui avait rang d’ambassadeur, avait été appelé à cesser ses fonctions au moment même où le représentant marocain rentrait dans son pays. Mais cela n’avait pas empêché plusieurs personnalités israéliennes de s’y rendre, en particulier la chef de l’opposition Tsipi Livni.
L’information de ce voyage avait suscité des interrogations sur sa finalité. Le Maroc est certes partie prenante dans le débat avec les palestiniens et le président de l’Etat juif pouvait profiter de demander au roi du Maroc d’intercéder auprès de la Ligue Arabe pour modérer sa position dans la reprise des négociations avec les palestiniens. Des indiscrétions tendaient cependant à accréditer l’idée que ce voyage avait un objectif plus ambitieux : la préparation du rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays. Des témoins locaux ont confirmé que les anciens bureaux de la délégation diplomatique israélienne de Rabat sont en cours de remise en état. Ils font désormais l’objet de surveillance de la part de la sécurité marocaine qui anticipe déjà l’arrivée de diplomates israéliens.
Des pourparlers secrets ont été menés sous la houlette du ministre israélien Sylvain Shalom, ancien ministre des affaires étrangères, tandis que l’ancien ambassadeur en Egypte, Shalom Cohen, s’était joint à la négociation. L’implication de Shimon Pérès n’avait rien d’exceptionnelle puisque, déjà en 2005, alors vice-premier ministre du gouvernement Sharon, il avait dévoilé à la chaine Al-Jazzera « qu’un accord de principe pour le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays avait été conclu entre lui et le roi du Maroc » à l’occasion de leur rencontre à Madrid pour la commémoration de l’attentat du 11 mars 2004. Il semble qu’au terme de cette dernière visite une annonce exceptionnelle de reprise des liens officiels devait être concrétisée.
Discrétion marocaine
Les autorités officielles marocaines avaient refusé de se prononcer sur cette question puisque le ministre marocain Fassi Fihri s’était montré réservé lorsque la rencontre avait été éventée : « Nous avons d’ailleurs apporté un démenti clair et net aux rumeurs qui ont circulé dernièrement sur l’éventualité de l’ouverture de représentations diplomatiques entre ces deux pays ». Il avait cependant confirmé l’invitation faite à Shimon Pérès car « il s’agit d’écouter tout le monde pour agir en connaissance de cause ».
Le chef de l’Etat israélien avait aussi prévu de rencontrer les dirigeants de la communauté juive marocaine qui sont paradoxalement très frileux en ce qui concerne le rétablissement des relations entre Israël et le Maroc parce qu’ils le jugent précipité. Serge Berdugo, responsable de la communauté juive du Maroc, n’appréciait pas l’objectif de ce voyage : « Nous sommes persuadés que toute initiative dans le sens d’une reprise des relations diplomatiques entre ces deux pays devrait probablement, pour être efficace, préalablement attendre un progrès substantiel, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, de la paix au Proche-Orient et notamment dans le conflit entre Israël et la Palestine. »
Les Etats-Unis ont certainement favorisé la reprise de ces contacts car le Maroc entre dans leur stratégie gagnante impliquant que juifs et arabes doivent être de « véritables partenaires politiques et économiques » pour que la paix intervienne. Lors de son discours à l’Assemblée générale de l’Onu, le président américain Barack Obama avait appelé les pays arabes à entamer le dialogue et à normaliser leurs relations avec Israël : « Le monde doit contribuer à la création d’un État palestinien dans un an ». Il persistait dans sa volonté de créer un axe des pays modérés pouvant contrebalancer l’influence de l’Iran en l’aidant dans le combat contre Al-Qaeda. Il est fortement probable que des pressions ont été exercée
s contre le jeune roi mais la réaction des organisations marocaines avait été sous-estimée. L’annulation de la visite représente donc une victoire des opposants à la normalisation avec Israël.
s contre le jeune roi mais la réaction des organisations marocaines avait été sous-estimée. L’annulation de la visite représente donc une victoire des opposants à la normalisation avec Israël.
Cette approche visant à rétablir des relations avec Israël est en effet vivement combattue par la Syrie, le Liban, le Soudan et le Yémen bien que certains pays arabes aient assimilé l’idée que la guerre ne favorisera pas l’émergence d’un Etat palestinien. Le roi Mohammed VI a donc pris cette nouvelle initiative parce qu’il souhaitait que les négociations entre israéliens et palestiniens se poursuivent, loin de « l’immobilisme et de l’obstruction ». Il voulait bien montrer sa solidarité avec le peuple palestinien mais avec modération et réalisme face au « fait israélien ».
Les autorités israéliennes ne ménagent pas leurs efforts pour régulariser la situation avec le Maroc. Déjà en 2009, Avigdor Lieberman avait rencontré en secret à New-York son homologue marocain Fassi Fihri. Un mois plus tard, Tsipi Livni, chef de l’opposition avait participé à une conférence économique internationale à Tanger. Elle avait reçu un accueil digne d’un chef d’Etat puisque le gouvernement marocain avait mis à sa disposition une vingtaine de gardes du corps et bloqué la circulation de la ville pour sa sécurité.
Le président syrien Bachar El-Assad s’est inquiété de ce développement politique nouveau au point de se rendre le 17 octobre auprès du roi Abdallah d’Arabie Saoudite, le parrain politique du roi du Maroc, pour s’enquérir de sa position dans ce débat. Contrairement à ce qui avait été écrit, le voyage d’Ahmadinejad au Liban n’était certainement pas au menu de ses discussions mais plutôt l’initiative marocaine.
L’Etat d’Israël estime que le royaume chérifien tient une place fondamentale dans sa stratégie car il peut jouer un rôle de médiateur entre lui et ses voisins du Proche-Orient. Avec l’Arabie Saoudite et la Jordanie, il peut créer une force d’opposition aux chiites en général et aux pays de « l’axe du mal » en particulier. Le Maroc pouvait donc être parmi les rares pays arabes à avoir des relations formelles et cordiales avec Jérusalem. Il pouvait entraîner d’autres pays à le suivre favorisant ainsi l’émergence d’une solution pacifique au Proche-Orient. Il semble à présent qu’on veuille empêcher le roi du Maroc de s’engager dans cette voie. En refusant de recevoir Shimon Pérès, alors qu’il sait que les règles israéliennes ne permettent pas au président israélien de visiter un pays sans voir son chef d’Etat, il a reporté sur Israël la responsabilité de l’échec de ce qui aurait pu être une bonne occasion pour le Proche-Orient.
Par Jacques BENILLOUCHE
Source : Temps et Contretemps, 20/10/2010
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