Les avocats marocains cognent les Sahraouis


Le procés des sept Sahraouis arrêtés il y a plus d’un an à leur retour de leur visite aux campements de réfugiés et pour certains en liberté conditionnelle a eu lieu, mais pas vraiment, le 15 octobre comme annoncé à Casablanca.
Les 4 prevenus en liberté conditionnelle n’ont pas reçu de convocation, mais ils étaient là, et les 3 autres toujours incarcérés à Salé, n’ont pas été sortis de prison… Des avocats marocains ont attaqué les Sahraouis et observateurs internationaux, sous l’approbation de la cour…. Ci dessous le rapport des observatrices francaises présentes sur place.
Rapport de la mission d’observation à Casablanca les 15 et 16 octobre 2010
Mandatées par l’AIJD (Association Internationale des Juristes Démocrates), le BIRDHSO ( Bureau International pour les Droits de l’Homme au Sahara Occidental, l’Association Droit-Solidarité, l’AFASPA (Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique), le CORELSO (Comité pour le respect des libertés et des droits humains au Sahara Occidental), l’AARASD ( Association des Amis de la République Arabe Sahraouie Démocratique)
Pour assister en qualité d’observatrices au procès de première instance au Tribunal de Casablanca
à Aïn Sbaa de:
– Brahim Dahane, Président de l’Association Sahraouie des Victimes des violations graves des Droits de l’Homme, (3 ans et 7 mois de disparition forcée sous Hassan II et 1 an et 8 mois de prison sous Mohamed VI)
– Ahmed Naciri, Secrétaire général du Comité Sahraoui des Droits de l’Homme, membre du conseil de coordination de l’ASVDH, Président de la section de l’AMDH à Smara (18 mois de disparition forcée sous Hassan II et 2 ans et 4 mois de prison sous Mohamed VI)
– Ali Salem Tamek, Vice Président du Collectif des Défenseurs Sahraouis des Droits de l’Homme, (1 an et 5 mois de prison sous Hassan II et 2 ans et 11 mois sous Mohamed VI)
– Rachid Sghaiyar, membre de l’ASVDH 4 enlèvements, 1 arrestation et tortures depuis 1988, 8 mois de prison)
– Ettarrouzi Yahdih, membre de l’ASVDH, 1 an et 5 mois de prison
– Dagja Lashagar, membre du bureau exécutif de l’ASVDH (11 ans et 2 mois de disparition forcée sous Hassan II, 7 mois de prison sous Mohamed VI)
– Saleh El Baihi membre d’une association de protection de l’enfance (7 mois de prison)
Brahim Dahan, Ahmed Naciri et Ali Salem Tamek sont détenus depuis leur arrestation à la prison de Salé à Rabat. Les quatre autres prévenus comparaissent libres, ayant été progressivement remis en liberté provisoire.
Le matin nous partons retrouver les avocats de la défense que nous rencontrons dans un café à coté du Palais de Justice de Aïn Sebaa où doit se dérouler le procès.
Ils nous expliquent que les détenus n’ont pas été extraits de la prison et qu’ils vont rencontrer le procureur pour essayer d’en savoir un peu plus.
Ils nous expliqueront plus tard que le Vice Procureur du Roi leur a dit avoir transmis un ordre d’extraction à la prison de Casablanca (alors qu’ils sont à Rabat). Il apparaît alors clairement que le procès ne pourra avoir lieu, mais qu’il reste la possibilité d’un débat sur la liberté provisoire, débat qui peut avoir lieu même en l’absence des détenus, par les avocats.
Nous restons à les attendre au café, où arrivent progressivement les militants sahraouis, représentants et membres de l’ASVDH, du CODESA et du CODAPSO.
Vers 12h, les 20 observateurs internationaux (12 Espagnols, 3 Italiens, 2 Suédois, 2 Françaises, 1 Mexicain) décident de se rendre au Palais pour rencontrer le Procureur avant l’audience qui nous est annoncée pour se tenir à 14h30.
Nous aurons les plus grandes difficultés pour entrer dans le Tribunal, et il nous faudra parlementer et invoquer notre qualité pour être finalement admis à entrer. Nous sommes dirigés et accompagnés dans la salle d’audience où le procès doit avoir lieu.
Mais malgré nos demandes, et finalement l’assurance qui nous est donnée que nous pourrons le voir après sa réunion et avant l’audience, nous ne serons pas reçus par le Procureur.
Á postériori, les conditions dans lesquelles l’audience s’est déroulée expliquent sans doute qu’il n’ait pas eu envie de nous voir.
Á 13h30 un cortège composé des observateurs, des nombreux sahraouis venus assister à l’audience et manifester leur soutien et leur solidarité avec leurs compagnons poursuivis, et des journalistes (espagnols, mexicain et américain) se rend au Tribunal.
Dans la salle d’audience quelques personnes sont déjà installées, qui ne sont manifestement pas concernées par ce procès. Elle est vite comble avec le groupe des Sahraouis et des observateurs qui arrivent, et les places assises deviennent insuffisantes.
De très nombreux avocats sont présents, et nous comprendrons ensuite pourquoi.
Le Tribunal arrive et s’installe (le président, 2 assesseurs, à leur droite le Vice-Procureur, à leur gauche le greffier).
Compte tenu du nombre de personnes dans la salle, et surtout de la masse d’avocats entre la barre et le Tribunal, il règne une certaine confusion, mais nous entendons les noms des prévenus qui sont appelés.
Les quatre prévenus libres qui sont dans la salle au milieu du public commencent à s’avancer par la travée de droite, et l’un d’entre eux lève ses deux bras en faisant le V, et en entonnant les slogans sahraouis de l’Intifada pacifique, portant sur leur droit à l’autodétermination. Il est immédiatement suivi par les trois autres puis par toute la salle (à l’exclusion des quelques membres du public qui semblent avoir été mis là par les autorités marocaines).
La réaction est d’une violence inouïe, et totalement stupéfiante : les avocats massés entre la barre et le Tribunal, en robe, se retournent d’un bloc vers la salle, poings levés, dressés contre la salle, criant des slogans pro-marocains, nationalistes, en arabe et en français, insultant tant les sahraouis que les observateurs présents.
Les magistrats, le procureur et le greffier se lèvent et quittent la salle, où la manifestation des avocats va se poursuivre.
Cela va durer environ une vingtaine de minutes, pendant lesquelles une vingtaine d’avocats continuent à manifester avec une réelle haine, et une grande violence tant verbale que physique. L’un d’entre eux frappe Ettarouzi d’un violent coup de coude dans l’estomac. Deux avocats marocains montent sur le banc du public qu’ils haranguent ainsi que les observateurs. L’un d’eux, haineux, hurle à l’attention des observateurs « vous êtes payés par l’Algérie ! ». Et en arabe, aux observatrices françaises « vous n’avez pas donné l’Alsace et la Lorraine qui appartiennent à l’Allemagne».
Au milieu de ce tumulte, quelques avocats marocains se démarquent et manifestent leur désapprobation; quant aux avocats de la défense ils sont d’un calme et d’une dignité remarquables.
Les quelques policiers présents tentent de s’interposer. Des Sahraouis ayant une autorité morale empêchent que la provocation dégénère.
Le calme revient à peine quand on annonce le report du procès au 5 novembre ; le Tribunal n’est pas réapparu.
La salle se vide et dans le hall « s’organise » une manifestation des mêmes avocats, rejoints par une dizaine de personnes en civil, qui hurlent des slogans et des invectives, levant le poing et brandissant un portrait du Roi et le drapeau marocain.
Observateurs, avocats de la défense, et sahraouis quittent le palais. Les militants sahraouis improvisent une protection des observateurs et des femmes de prisonniers poursuivis par les avocats marocains, criant « à la traitrise », jusque dans l’allée bordant le tribunal.
Défenseurs, observateurs et Sahraouis se retrouvent au même café pour faire le point.
Réunion avec les avocats
Il faut d’abord rappeler que les sept ont été arrêtés le 8 octobre 2009 à l’aéroport de Casablanca, alors qu’ils rentraient d’un voyage dans les campements de réfugiés sahraouis au sud de l’Algérie.
Ils ont tous été arrêtés, retenus dans les divers locaux des divers services de police, et interrogés dans des conditions contraires aux règles du droit marocain.
Ils ont ensuite, au début de la procédure, été poursuivis pour atteinte à la sécurité extérieure de l’Etat, crime prévu par les articles 181 et suivants du Code Pénal, passible de la peine de mort, et relevant du Tribunal Militaire. C’est la raison pour laquelle ils ont tous été incarcérés à Salé.
Les quatre qui ont progressivement été libérés, l’ont été, sans notification des raisons de leur libération, selon l’un d’entre eux qui a fait récit de la procédure à son encontre5.
Le juge d’instruction a rendu le 21 septembre 2010 un non lieu de ce chef et renvoyé sur le fondement d’une atteinte à la sécurité intérieure, délit relevant des articles 206 et 207 du Code Pénal et de la juridiction pénale de droit commun. C’est la raison pour laquelle ils doivent être jugés à Casablanca, tribunal du lieu où ils ont été arrêtés.
Rien ne justifiait que l’audience n’ait pas lieu comme prévu.
Le dossier était en état, les avocats étaient prêts, les prévenus libres étaient présents.
Rien ne peut sérieusement expliquer que les prévenus détenus n’aient pas été extraits de la prison de Salé pour être conduits devant le Tribunal.
Si le renvoi a été ordonné, en apparence du fait des incidents qui ont émaillé le début de l’audience, celle-ci n’aurait pu se tenir même sans incident, du simple fait de l’absence des prévenus détenus.
En fait tout porte à croire que tout a été organisé du fait de la présence particulièrement importante d’observateurs étrangers, de la presse, de nombreux sahraouis, pour que l’examen de cette affaire à la nature symbolique, n’ait pas lieu, et que le renvoi ne puisse être imputé aux autorités marocaines et à leur défaillance.
C’est ce qui explique la présence de si nombreux avocats sans aucun lien avec cette affaire. C’est ce qui explique la démonstration et les provocations auxquelles ils se sont livrés ; un des avocats de la défense nous a dit avoir entendu le Vice Procureur les en féliciter en ces termes : « vous avez bien fait ».
Outre le fait que l’affaire a été renvoyée, ce qui « oblige » à la remobilisation des observateurs tant étrangers que sahraouis pour la prochaine audience, cette situation n’a pas permis aux avocats d’aborder la question de la liberté provisoire.
Or cette question pose en elle même un problème juridique de taille.
En effet dès lors qu’ils ne sont plus sous le coup de la prévention pour crime (atteinte à la sécurité extérieure de l’Etat), ce sont les règles de la détention prévues en matière de délit qui doivent s’appliquer.
Or en matière de délit, la détention provisoire ne peut excéder 30 jours, renouvelable 1 fois.
Toute la question est de savoir si ce délai court de la date de leur incarcération, soit le 8 octobre 2009, auquel cas ils sont en situation de détention illégale depuis le 8 décembre 2009, ou de la date de l’ordonnance de non lieu, ce qui aboutirait à ce que le délai de 2 fois 30 jours ne commence à courir que de l’ordonnance du 21 septembre 2010 pour se terminer le 21 novembre 2010. Mais dans cette hypothèse sous quel régime juridique et sur quel fondement sont ils détenus depuis le 8 octobre 2009 et jusqu’au 21 septembre 2010 ?
Selon leurs avocats leur détention est, comme l’ensemble des actes de procédure d’origine, totalement irrégulière et illégale.
Comme tous les observateurs présents, les avocats de la défense ont été extrêmement choqués de l’attitude de leurs confrères marocains dont tout le monde a considéré qu’ils avaient souillé leur robe, s’étaient comportés de manière indigne, et avaient par leur comportement porté atteinte aux droits des prévenus, y compris en empêchant tout débat sur les conditions et le maintien de la détention.
Un climat de tension, sous campagne médiatique
Á quelques jours du 35ème anniversaire de ce que le Maroc nomme « la Marche verte » et les Sahraouis qualifient de « Marche noire », nous avons pu constater que les médias exhortent au nationalisme, prônent l’autonomie du Sahara occidental, mettent à l’index nominativement les militants sahraouis et invectivent l’Algérie.
Notre mission d’observatrices ne s’est cependant pas terminée là.
Alors que nous avons été suivies en permanence pendant ces 48h par les « représentants » des autorités marocaines, ces derniers ont pu voir que nous nous rendions avec l’avocate italienne Francesca Doria, dans un appartement loué pour 48 heures par des Sahraouis, où ils nous avaient invitées à partager le dîner avec ceux d’entre eux qui n’avaient pas encore repris la longue route vers Laayoune et Smara.
Nous avons alors été témoins du harcèlement que subissent les sahraouis, et ce quels que soient les situations ou les lieux où ils se trouvent.
Nous étions tranquillement en train de bavarder en attendant le repas, pendant que l’un d’entre eux préparait le thé, et que d’autres regardaient des photos sur leurs ordinateurs, quand on a frappé à la porte. Une femme s’est présentée. Une discussion s’est engagée qui nous a été traduite et dont il résultait que cette femme, propriétaire de l’appartement, avait reçu la visite des services de police lui indiquant qu’elle « louait au Polisario » et lui « demandant » de nous faire quitter les lieux.
Manifestement cette femme était apeurée devant la pression dont elle était l’objet, et désolée de ce qu’elle était contrainte de faire. Très calmement les Sahraouis ont fini de préparer le repas, nous avons diné rapidement, puis ils ont plié bagages, et nous avons quitté les lieux : nous pour rentrer à l’hôtel, eux se répartissant chez d’autres familles sahraouis susceptibles de les accueillir comme ils en ont l’habitude en pareil cas. Dehors une voiture banalisée était stationnée en bas de l’immeuble avec deux policiers en civil à son bord, trois autres de leurs collègues attendaient de l’autre côté du porche de l’immeuble (pour ce que l’on a pu remarquer).
Cette fin de journée, commencée par une démonstration de haine des avocats marocains perdant toute dignité et toute humanité, s’est ainsi terminée avec l’image de la grande solidarité entre les hommes et les femmes sahraouis, déménageant leurs affaires en pleine nuit, dans la plus grande dignité et sérénité.
Paris le 17 octobre 2010, France WEYL pour Droit Solidarité, Michèle DECASTER pour l’AFASPA

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