Nichane est mort, vive le Makhzen !

Les services secrets du CJDM ont reçu une lettre de la part d’un haut fonctionnaire de la direction nationale du makhzen politico-économique. Bien entendu, cette lettre est aussi authentique que la vision collective du visage de Mohammed V sur la lune.
La presse est le réceptacle de tous les ferments nauséabonds. Elle fomente les révolutions, elle reste le foyer toujours ardent où s’allument les incendies. Elle deviendra seulement utile le jour où l’on aura pu la dompter et employer sa puissance comme un instrument gouvernemental…[ZOLA]
Il aurait mieux valu que vous soyez des illettrés.
[HASSAN II]
Chers compatriotes,
J’ai appris avec beaucoup de satisfaction la fermeture du magazine polisariophone[pdf] Nichane. Mais avant de vous exposer les raisons de ma joie, que je vous oblige à partager, permettez-moi de vous faire un bref aperçu du paysage médiatique marocain.
Dans notre pays, les journalistes sont des militaires comme les autres. Leur mission est de défendre les intérêts du régime. D’ailleurs la mission de tous les sujets de Sa Majesté est de défendre les intérêts du régime. Ainsi, cinq cent employés de l’agence de presse nationale travaillent jour et nuit à produire des dépêches que personne ne lit mais que Le Matin du Sahara et du Reste reproduit quand même en une.
Les chaines nationales, à leur tour, font du marketing idéologique avec beaucoup de zèle. C’est ainsi que j’ai découvert, à ma grande satisfaction, que le journal télévisé d’hier était presque exclusivement consacré à la défense de Moustafa Ouald Sidi Mouloud, érigé en héros national.
Bien entendu, je ne regarde pas les chaines marocaines et j’interdis à mes enfants de le faire. Mais vous, chers compatriotes, continuez à subir les ondes électro-magnétiques makhzenistes. Votre servitude volontaire sera maintenue et mes différentes grimas avec.
Seulement, parmi ces journalistes, certains sont à la solde d’intérêts étrangers et évoquent l’absurde droit à la libre expression pour pointer du doigt les problèmes de notre pays.
Quand je dis notre pays, je parle de nous, pas de vous, misérables tax-payers. Car votre misère nous permet de maintenir nos privilèges et franchement, j’y tiens. Je viens de prendre un crédit sur vingt ans pour ma villa secondaire à Souissi et j’ai donc besoin d’un cashflow conséquent (que mes privilèges m’assurent … ce que vous êtes lents à comprendre.)
Vous comprenez maintenant les raisons de ma joie. Nous avons réussi en dix ans à faire taire à peu près toutes les voix dissidentes de ce pays. Nous avons diversifié nos actions, procès, saisies illégales, intimidations … Nous avons monté les journalistes les uns contres les autres. Vous vous rendez compte, dans une profession souvent accusée de corporatisme primaire, rares sont les journalistes qui soutiennent leurs collègues quand ils subissent une injustice. N’est ce pas le plus beau pays du monde ? Vous m’en voyez heureux.
Vous vous posez sûrement cette question : pourquoi cette lettre ? n’est-il pas dangereux pour la survie du régime que d’en exposer publiquement les méthodes ? Les marocains ne risqueraient-ils pas de se révolter en lisant la présente ?
Vos craintes sont infondées, chers compatriotes. D’abord parce que la moitié d’entre vous ne sait ni lire ni écrire. Votre accès à l’information est donc limité, voire nul. C’est, vous en conviendriez, une belle réussite dont je suis modestement fier.
Par ailleurs, l’autre moitié de la population a appris à lire et à écrire, certes, mais au sein de nos établissement scolaires. Vous avez appris pendant toute votre enfance à tricher, à corrompre, à vous soumettre. Il vous arrive parfois de manifester quelque désaccord avec nous. Mais vous n’avez à votre disposition aucun moyen de faire connaitre vos idées. Je vous le rappelle, nous vous avons éduqué. Vous ne maitrisez aucune langue. Vous ne connaissez aucun moyen démocratique de protester. Vous maitrisez par contre l’art de l’insulte et de la diffamation, ce qui vous décrédibilise.
J’ai parlé l’autre fois à un fonctionnaire de mon administration. Un petit type moustachu qui est au SMIC depuis 1426 je crois. Vous voyez, le genre de gars qui orne les murs de sa maison avec les photos de Sa Majesté. Il m’avait confié ceci : Benchemsi encourage les pédés et la prostitution. Le fassad n3am a’ss. Il veut pervertir nos filles. Mon petit fonctionnaire n’a jamais lu un journal, encore moins Nichane. Je me réjouis de constater l’efficacité de nos méthodes.
Vous pouvez reprendre une activité normale.
PS. : Vous pouvez faire comme moi et vous branler devant les manifestations spontanées de convictions en lisant les commentaires de cet article.
Signé : Ch’lgaham Moustash, chargé de propagande auprès du Makhzen (qui n’existe pas)
Source : CJDM, 2/10/2010

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