Le précédent souverain marocain, père défunt de l’actuel, était Hassan II. C’était un abominable tyran, assassin notoire, fortement soupçonné d’avoir provoqué la mort de son propre père Mohammed V parce qu’il était pressé de lui succéder. Entre autres exactions, il restera dans l’Histoire comme le seul dictateur qui ait envoyé au bagne… un enfant de trois ans et demi, Abdellatif Oufkir, et l’y avoir laissé jusqu’à l’âge de vingt-deux ans. Si vous ne me croyez pas, procurez-vous le livre de Gilles Perrault, Notre ami le roi, et faites-vous votre opinion. Ou téléphonez au cabinet de Me Kiejman (01 45 55 09 00), qui fut l’avocat de la famille Oufkir…
Or Hassan II guignait un territoire, le Sahara Occidental, qui s’étend entre le Maroc et la Mauritanie, et avait saisi la Cour Internationale de La Haye pour y faire valoir ses droits sur ce bout de désert… riche en phosphates, minerai dont le Maroc est le premier producteur mondial. La Cour, hélas, avait rejeté sa requête, la jugeant injustifiée. Mais le Sahara occidental était une colonie un peu délaissée de l’Espagne, et il se trouva que le chef d’État espagnol, le général Franco, entra en agonie en 1975. Hassan II en profita pour lancer sur le Sahara Occidental une armée de 350 000 chômeurs fanatisés quoique désarmés, opération qu’il baptisa « la Marche Verte». Lorsque Jacques Chancel, qui l’interviewa à Marrakech, lui demanda « Pourquoi 350 000 ? », il répondit exactement ceci : « C’est le nombre de naissances que Dieu nous accorde chaque année, et j’ai pensé que c’était le nombre de sujets qu’on pouvait sacrifier ». Sacrifier…
L’opération réussit, parce que le gouvernement espagnol, privé de sa tête et peu intéressé par sa colonie, n’osa pas riposter. Le Maroc annexa donc le Sahara Occidental, annexion qu’aucun pays ne reconnut, et qui, contrairement aux promesses d’Hassan II, n’a été ratifiée par aucun référendum interrogeant les populations locales.
Quelques années plus tard, un livre parut, très illustré, à la gloire de Hassan II et de son coup de poker (il adorait ce jeu). C’était un ouvrage collectif, rédigé par un certain nombre d’écrivains en vue, surtout français, sous la direction de Maurice Druon, alors secrétaire perpétuel de l’Académie Française et ami du roi. Il s’intitulait La Marche Verte, évidemment. Au nombre des thuriféraires du souverain assassin, on pouvait relever le nom de Tahar Benjelloun, qui rédigea trois pages très élogieuses – que j’ai lues. L’écrivain avait revêtu son gilet rayé pour célébrer un dictateur des plus sanglants.
Source : Yves-André Samère, 29/9/2010
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