Est-ce le fait du hasard ou d’une malédiction que toute la zone comprise entre le Soudan et la Mauritanie soit instable ? Cet espace qui s’étend sur 6 000 km de la mer Rouge à l’Atlantique recèle des richesses naturelles inestimables et convoitées par au moins trois puissances : les Etats-Unis, la France et la Chine. Depuis au moins le début des années quatre-vingt-dix, le Sahel qui était le lieu de prédilection de petits trafiquants de cigarettes, de carburant, de voitures et de haschisch, est devenu, à la faveur des guerres ethniques en Côte d’Ivoire, au Burundi, au Rwanda, en RDC, au Soudan, au Tchad, en Somalie et la guerre en Erythrée, ainsi que des rébellions touareg au Mali et au Niger, une plaque tournante du trafic d’armes et de drogues fortes.
Les terroristes traqués au Maghreb, notamment en Algérie, trouveront naturellement refuge dans cet espace de non-droit où les populations sont les laissées-pour-compte des politiques d’exclusion des Etats. Pour Mehdi Tajer, un analyste maghrébin, les dangers de cette situation explosive se manifestent comme suit :-Explosion conflictuelle engendrant une réaction en chaîne déstabilisant l’ensemble de l’arc sahélien, notre «heartland» (ceinture de sécurité du Sud). -Constituer un terreau et un sanctuaire pour le terrorisme international : une pépinière où un groupe terroriste pourrait trouver refuge ou des facilités d’entraînement et de recrutement (attentats, enlèvements, piraterie, camps d’entraînement, etc). -Constituer une zone grise propice à la multiplication des trafics illégaux : armes, stupéfiants, véhicules, matières premières, enfouissement de déchets nucléaires, etc. -Constitution d’un réseau de diffusion et d’infiltration d’un islamisme radical.
-La source d’une émigration de masse utilisant l’Afrique du Nord comme tremplin (lieu de transit) vers les rivages européens : l’écart économique grandissant et la poussée démographique risquent de provoquer un courant de migration difficilement maîtrisable.
-Le blanchiment d’argent. -Détournement des ressources stratégiques (pétrole, gaz, uranium, etc.), objets d’une vive concurrence internationale. Etats-Unis, France, Chine, etc. convoitent les ressources pétrolières de la zone : la récente tentative de déstabilisation du régime tchadien, via le Soudan, transcende de toute évidence les capacités soudanaises et rejoint la stratégie plus imposante à dominante asiatique et vraisemblablement chinoise (jeu de bascule autour de l’enjeu pétrolier).
Des thèses défendables, que confirment les intentions et les rôles sur le terrain, présentent la situation dans le Sahel comme résultat logique d’une rude compétition des puissances étrangères dans la région. D’une part, la France en perte de vitesse et d’influence dans les territoires qui étaient jadis son prolongement géopolitique et géostratégique et d’autre part, les Etats-Unis décidés à avoir la mainmise sur l’espace sahélo-saharien.
La stabilité politique et sécuritaire de cette région ne semble pas arranger les desseins de ces deux puissances auxquelles le géant de l’Extrême-Orient, la Chine, arrache des parts importantes d’un marché d’avenir. En définitive, l’implantation de l’AQMI dans la région sert les intérêts géostratégiques en jeu et les enlèvements d’Européens ne sont que des dégâts collatéraux à gérer au cas par cas. La France est déjà présente militairement dans la région, et ce, depuis bien longtemps. Le Tchad constitue à ce titre, pour la France, une base avancée en plus des accords militaires que la France a conclus avec le Niger, le Mali et la Mauritanie. Les Américains ont implanté une base militaire au Mali pas loin de Tombouctou et espèrent toujours pouvoir convaincre les pays de la région pour que l’Africom élise domicile dans le Sahel. A ce propos, l’opposition farouche de l’Algérie s’exprime également par son offensive pour la mise en place d’une force sahélo-saharienne d’intervention et de lutte contre le terrorisme, le banditisme et le crime organisé.
La Tribune Online, 25/9/2010
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