Trafic de drogue au Maghreb: Danger et itinéraires des grands cartels transsahariens

Comme l’immigration clandestine et le terrorisme, le trafic de drogue est devenu un fléau qui embrase et mine tous les pays du Maghreb. Difficiles à anéantir, les grands barrons, chaque jour qui passe, explorent de nouveaux créneaux et recrutent des associés mais aussi et davantage de consommateurs.
De la Libye à la Mauritanie, en passant par la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, sans oublier leur itinéraire transsaharien, un vaste réseau a pu se former et se tisser pendant des années, créant par-ci, par-là des petites filiales qui se gonflent au gré des complicités locales ou se rétrécissent selon que l’étau se resserre autour des gourous des différents réseaux. Une chose est certaine aujourd’hui, le trafic de la drogue est une réalité irréfutable au Maghreb. Et personne ne peut nier que ce fléau ne bénéficie pas de larges soutiens, malgré d’énormes moyens mobilisés pour atténuer ses conséquences et étouffer les grands réseaux dans tous les pays maghrébins. Qui soutient donc les trafiquants de drogue et qui sont les tenants et les véritables figures de proue de ce sale commerce ? D’où viennent-ils, quel est leur itinéraire et où écoulent-ils leurs produits ? Enquête de Nouakchott Info.
Moins peuplée que les autres capitales du Maghreb, Nouakchott est une ville qui grouille de monde à longueur de journée et de l’année. Commerçants, fonctionnaires, marchands ajoutés à toute la nomenclature des gens de métier s’y côtoient dans ses quartiers huppés comme dans ses « kebbas ». Depuis un certain temps, une nouvelle race d’affairistes y est née. Bon nombre de ces personnes qu’on qualifie d’hommes d’affaires sont généralement sans lieu fixe, ni non plus une seule activité. Des trafiquants de toutes les formes de drogue profitent de cette « informalité » du métier pour s’infiltrer dans cette mosaïque de jeunes entrepreneurs en se cachant sous l’étiquette de d«’homme d’affaires ». Mais en réalité, certains s’adonnent à un trafic implicite de la drogue, en recevant ou en faisant transiter des colis suspects. Ils entrent en connivence parfois avec des personnes gradées et de petits dealers. Ils n’hésitent pas à arroser ceux d’entre eux supposés leurs créer d’embûches où les dénoncer.
En analysant avec une certaine minutie le comportement de ces « affairistes flous », on sent que quelque chose cloche. Le moins qu’on puisse constater est que personne ne sait ce qu’ils font réellement et comment ils s’enrichissent. Ils opèrent beaucoup plus la nuit que le jour. En un laps de temps, ils deviennent des millionnaires, alors qu’il y a sous peu, ils étaient sans ressources. Qu’est ce qu’il faut en déduire : un trafic illicite, d’autant que la police, dans ses enquêtes, ne trouve pas de diffcultés à dénicher parmi eux des dealers parfois même mains dans le sac. Comme dans toutes les capitales du monde, ce trafic obnubile aujourd’hui certains jeunes affairistes sans vertu et fascinés par le gain facile de l’argent.
Pas plus tard qu’il y a quelques jours, la gendarmerie et la police semblent déclencher une offensive pour neutraliser les petits dealers à travers tout le pays. A Nouadhibou, comme à Nouakchott, l’étau semble se serrer autour d’eux et d’importantes quantités de drogue ont été saisies. Les personnes arrêtées seront jugées au Tribunal de Nouakchott où plusieurs affaires de trafic du genre pullulent sur la table du procureur de la république. De par le passé, certains narcotrafiquants ont été jugés et jetés en prison pour longtemps. En revanche, de nombreux autres dossiers ont été tout simplement classés, parce que les accusés, dit-on, avaient des soutiens de taille et bénéficient de la couverture de ceux qu’on appelle dans le langage familier des « bras longs. » Rien qu’en 2008 qui bouclera la boucle dans quelques jours, plus d’une vingtaine d’arrestations et de nombreuses condamnations ont été rendues public par le Tribunal de Nouakchott. Des dizaines de kilogrammes, toutes drogues confondues, ont été aussi saisies.
En effet, ces dernières années, le trafic de cocaïne sud-américaine vers l’Afrique de l’Ouest s’est considérablement amplifié. Un mois ne passe, sans pour autant qu’une nouvelle affaire d’arrestation de trafiquants de drogue ne fasse la-une des médais et des rumeurs des salons de thé. Citons, entre autres, celles du fils de l’ancien président mauritanien Mohamed Khouna Ould Haidalla interpellé au Maroc et ciblé par la justice belge pour son implication présumée dans un trafic à grande échelle impliquant aussi des marocains, des sénégalais et des méxicains. Cette affaire vient se joindre à celles de Mini Ould Soudani, Sid’Ahmed Ould Taya, le représentant d’Interpol qui ne sont pas encore définitivement classées. Les statistiques montrent par ailleurs que le fléau persiste. Environ, 12 tonnes de cocaïne destinées au marché européen ont été saisies depuis début 2007 en Mauritanie.Trois importantes saisies totalisant près d’une tonne et demi de cocaïne et 5,4 tonnes de cannabis ont été enregistrées pendant une huitaine de mois seulement. Une quarantaine de personnes ont été arrêtées dans la foulée. Ces chiffres ne montrent que la partie visible de l’iceberg de ce trafic dans nos murs.
Le Maroc et l’Algérie sont aussi minés 

Selon des sources dignes de foi le Maroc est le plus important producteur et exportateur de cannabis à l’échelle mondiale. Les profits tirés par les trafiquants atteignent actuellement les 13 milliards de dollars par an, et ce, grâce à un secteur informel se situant entre 17 et 40% du produit intérieur brut (PIB). C’est, en tout cas, la révélation faite dernièrement le quotidien marocain Al-Itihad Al-Ichtiraki. Le journal, qui cite le dernier rapport annuel d’un organisme du département d’État américain, le Bureau for International Narcotics and Law Enforcement Affairs considère que le blanchiment d’argent au Maroc inquiète le département d’État américain et cite des extraits du même document intitulé “Rapport 2008 sur la stratégie internationale de lutte contre les stupéfiants”, lequel souligne que l’argent noir est essentiellement blanchi en Europe et profite peu au Maroc.
Quant à l’Algérie, de l’avis de nombreux spécialistes, elle demeure un espace de transit de la drogue. Une étude menée par les différents services de sécurité révèle que 90 % des marchandises saisies, ces dernières années, étaient destinées au marché européen et au Moyen-Orient. L’analyse des statistiques démontre clairement que l’Algérie connaît une évolution constante du business de la drogue. A cela, il faut ajouter la recrudescence du trafic international d’opiacés et de cocaïne auquel s’adonnent les ressortissants et trafiquants de la région subsaharienne. Ces derniers acheminent leurs marchandises à partir du Niger et du Mali en franchissant les frontières du pays clandestinement. Ainsi, la vaste région qui s’étend de Tamanrasset à Aïn Guezzam constitue du pain beni pour les narcotrafiquants. En effet, les drogues en provenance de l’Afrique subsaharienne sont en majorité des drogues dures. Les frontières des pays d’Europe étant maintenant imperméables et constamment gardées, c’est vers le Grand Sahara que les réseaux internationaux se sont tournés avec comme principal point de transit la région de Nâama, où des barons de l’acabit des frères Araba et de Pascal servent d’intermédiaires. De meme, la voie maritime menant vers le Vieux Continent leur étant devenu inaccessible par la mer, les trafiquants ont jeté leur dévolu sur l’Algérie, plus précisément sur la région frontalière de Nâama, d’où le produit prohibé est introduit avant d’être convoyé vers la Tunisie et Libye, via la wilaya d’El-Bayadh ou Tiaret.
C’est en mettant sous bonne garde cet itinéraire que les forces combinées de la gendarmerie, de la police, de l’armée nationale, des garde-côtes et de la douane algériennes ont déjoué les plans diaboliques des frères Chenafa qui, par six fois, ont vainement essayé de faire passer d’importantes quantités de kif. De la sorte aussi, les résultats des forces de l’ordre et avec eux les saisies sont allés crescendo.
Selon des statistiques les plus récentes, 1.800 kilogrammes de kif ont été saisis en divers endroits d’Algérie. Ceci prouve, à qui en douterait, l’efficacité du système de lutte mis en place et l’acharnement des trafiquants à protéger leurs sources d’approvisionnement au Maroc, pays caracolant en tête des producteurs du produit prohibé. Cependant et malgré la perspicacité des différents corps, la lutte contre le trafic de stupéfiants enregistre de nouveaux progrès avec d’autres prises aussi importantes puisque oscillant entre 26 et 19 quintaux.
Réussies en un temps record, ces prises constituent autant de succès à inscrire à l’actif des services en charge de la lutte contre le fléau. Les relations s’étant tendues entre le Maroc et l’Espagne à propos de l’émigration clandestine et les frontières de la péninsule ibérique hermétiquement fermée, c’est sur l’Algérie que les barons ont finalement jeté leur dévolu pour poursuivre leurs basses besognes. Lors de la présentation du plan maghrébin de lutte contre le trafic et le commerce de drogue, un responsable maghrébin a émis ses vifs souhaits de voir les autres Etats intensifier la lutte contre le tristement célèbre trafic. « Il appartient aux autres Etats, à l’exemple de la Libye et du Maroc, de s’associer à l’effort dans la lutte contre le trafic de stupéfiants comme le dictent les conventions internationales et l’intérêt commun », a déclaré ce haut responsable. Toujours à ce propos, les statistiques onusiennes font apparaître que le Maroc consacre 134.000 hectares à la culture du kif et récolte 4.000 tonnes du produit prohibé. Commercialisé, ce poison rapporte annuellement aux producteurs et trafiquants marocains de 12 à 14 milliards de dollars US. Des sources fiables font remarquer que l’Algérie ne sert que de transit et occupe une place de choix parmi les pays luttant contre le trafic de drogue.
Il y a une année, une opération effectuée par les services de la Gendarmerie nationale à Alger, a permis la saisie de 12 000 comprimés du médicament « Rivotril » stockés illégalement dans une pharmacie. Selon les chiffres publiés par les services de sécurité et la Gendarmerie nationale, à propos des quantités de produits hallucinogènes saisies dans les réseaux de trafiquants de drogues en Algérie, le phénomène augmente constamment, car la quantité de produits saisis en 2007 a dépassé les 308 000 comprimés. À leur tête on trouve ce qu’on appelle dans les milieux de toxicomanes « la pilule rouge », c’est-à-dire les comprimés de « Rivotril ». Les médecins spécialistes affirment que le sirop « Rivotril » est le plus dangereux des hallucinogènes et qu’il peut conduire directement à la folie. Les dernières études médicales indiquent que plus de 70 % des calmants comme le « Rivotril », le « Diazipam », le « Temesta » et le Valium sont vendus comme des produits hallucinogènes c’est-à-dire comme drogues.

Des centaines de trafiquants dans les prisons libyennes et tunisiennes 
Dans la région ouest et orientale de la Méditerranée, le trafic de la drogue prend un autre itinéraire. La péninsule ibérique leur étant fermée, les barons ont tendance à axer leur activité sur la frontière est algérienne pour faire écouler leur produit. Pour ce faire, Mechraa Nouar et Kesdir, entre autres, se sont transformés en de principaux centres de distribution des drogues aux côtés d’autres points de transit.
Pour introduire le kif en Algérie, les trafiquants utilisent des camions, tracteurs et bêtes de somme. Confié à leurs relais en Algérie, la marchandise est acheminée vers le Nord et l’Est avant de prendre la direction de l’étranger, via la mer ou les voies terrestres. Pour dérouter les chiens renifleurs, ils ont même trouvé la parade : ils répandent du tabac à chiquer sur les plaquettes de kif.
On a appris dernièrement que plusieurs centaines d’Algériens, âgés entre 20 et 40 ans, croupissent depuis de longs mois dans les prisons libyennes et tunisiennes pour leur implication dans ce trafic. Parmi les détenus algériens en Libye, dont personne ne connaît avec exactitude le nombre, plusieurs seraient morts en détention alors que d’autres attendent toujours d’être jugés. Certaines sources assurent que le nombre de ces détenus en Libye s’élève à 700, répartis entre les prisons de Tripoli, Jadou, Sarman, Naalout, Benghazi, Gharyan et autres. En Tunisie, leur nombre approcherait les 300.
Dans l’implacable lutte contre le trafic des différentes formes de drogues, l’échec de trois tentatives successives a permis aux services en charge de cet épineux dossier d’identifier les barons. Ainsi, l’échec essuyé lors de la tentative d’introduction de 7 quintaux de kif à Bouguern, celui au cours duquel 26 autres quintaux ont été interceptés au niveau du carrefour de Bougtoub ainsi que la prise de 1.900 kilos le 4 avril dernier au djebel Malha, ont porté le coup de grâce aux patrons de ces réseaux.
Ces différents succès ont été couronnés par la prise de 3.000 autres kilos de kif en Algérie. Lors de leurs interrogatoires, les personnes arrêtées pour leur implication dans ces trafics ont reconnu que les lieux-dits Kesdir, Aïn Benkhellil, Abdelmoula puis Mecheria en direction de Bougtoub et Kheïter, situés à la frontière est de l’Algérie constituent les points de départ des dangereux trafics. Ils ont de même assuré que, souvent, la drogue est orientée sur la Libye, la Tunisie et l’Egypte, via la route d’El-Bayadh-Tousmouline puis le carrefour de Ourgla-Ménia.
Selon de diverses sources concordantes, la Libye occupe aussi une place stratégique dans le trafic de la drogue en direction du Moyen-Orient, de l’Afrique et de l’Europe. Le dispositif mis en place en Algérie n’étant pas parfait, les barons de la drogue essayent d’élargir leurs funestes activités à la cocaïne et à la marijuana. Les intenses activités des trafiquants de drogue incitent à faire la relation avec ces trafics et le blanchiment d’argent. Dans le commerce de la drogue, un nouveau produit fait son apparition. Il s’agit de « l’Extasy », une drogue que les réseaux internationaux introduisent à partir du royaume chérifien selon l’observatoire international des stupéfiants. Ainsi la Mauritanie ne semble pas à l’abri du trafic que les barrons de ces réseaux mènent non sans difficultés qu’ils contournent avec créativité.
Ousmane WAGUE,
Correspondant de Nouakchott Info en Tunisie

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