Au Maroc, les personnes soupçonnées d’activités liées au terrorisme continuent d’être victimes d’atteintes aux droits humains

Par AMNESTY INTERNATIONAL, 16/6/2010
Synthèse, traduction du document en anglais
Amnesty International est préoccupée par les informations persistantes faisant état de violations des droits humains toujours commises au nom de la lutte antiterroriste au Maroc. Celles-ci comprendraient notamment des cas de détention secrète et au secret, des plaintes pour torture ou autres mauvais traitements non examinées et des procédures judiciaires entachées d’irrégularités.
La grève de la faim actuellement observée par un certain nombre de détenus accusés d’activités liées au terrorisme à la prison de Salé, près de Rabat, pour protester contre leur traitement montre qu’il est urgent que les autorités marocaines répondent aux préoccupations relatives aux droits humains évoquées ci-après.
Elles doivent enquêter sur toutes les allégations de torture ou d’autres mauvais traitements aux mains des forces de sécurité et veiller à ce qu’aucune déclaration extorquée sous la torture ou la contrainte ne soit retenue à titre de preuve dans une procédure judiciaire. Elles sont en outre tenues de s’assurer que les détenus sont traités conformément aux normes internationales et au droit international, notamment aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants – deux traités auxquels le Maroc est partie –, ainsi qu’à celles de l’Ensemble de principes des Nations unies pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement. Les détenus doivent en particulier bénéficier des soins médicaux dont ils ont besoin et être autorisés à consulter le médecin de leur choix.
MESURES ANTITERRORISTES PRISES PAR LE MAROC
La législation marocaine ne fournit pas de garanties suffisantes pour les suspects dans les affaires de terrorisme. La Loi n° 03-03 relative à la lutte contre le terrorisme ne contient pas de définition assez précise du terme « terrorisme », en violation du principe de légalité des délits et des peines. Elle modifie en outre le Code de procédure pénale du Maroc, en permettant la prolongation de la garde à vue jusqu’à 12 jours dans les affaires de terrorisme, et elle étend la période pendant laquelle les détenus sont privés de contact avec leur avocat jusqu’à six jours. Par conséquent, elle rend ces derniers plus exposés au risque de subir des actes de torture ou d’autres mauvais traitements et elle porte atteinte à leur droit à une défense adéquate.
Amnesty International déplore que les autorités marocaines n’appliquent pas les recommandations qu’elle a formulées en 2004 dans son rapport intitulé Maroc et Sahara occidental. « Lutte contre le terrorisme » et recours à la torture : le cas du centre de détention de Témara, qui rendait compte de la forte augmentation des cas de torture ou d’autres mauvais traitements et d’autres violations des droits humains dans le cadre de la lutte antiterroriste depuis 2002. Bien que les autorités aient répondu aux préoccupations de l’organisation en février 2004 en énumérant les garanties inscrites dans la législation marocaine pour la protection des détenus, elles n’ont pas commenté les cas précis évoqués dans le rapport, ni pris de mesures pour remédier à la pratique de la détention secrète et de la torture dans le centre de détention de Témara. L’impunité pour ces atteintes aux droits humains a non seulement laissé sans recours des victimes de torture, d’autres mauvais traitements et d’autres violations, mais elle a également facilité la répétition de ces actes – comme l’expose le présent document.
Bien que l’ampleur des arrestations aujourd’hui ne soit pas la même que pendant la période précédant les attentats à l’explosif de mai 2003 à Casablanca et après ces événements – quelque 2 000 suspects avaient alors été arrêtés dans le cadre d’un coup de filet visant les personnes soupçonnées de participation à des activités liées au terrorisme – les autorités marocaines continuent d’annoncer périodiquement le démantèlement de réseaux terroristes proches d’Al Qaïda. Selon l’agence de presse officielle du Maroc, ces réseaux planifient des attaques à l’intérieur du pays et recrutent des Marocains pour rejoindre des groupes armés en Irak ou en Afghanistan. Les annonces de ce type, qui ont par exemple été faites le 23 septembre 2009 et le 26 avril 2010, ont généralement lieu à la suite d’informations faisant état de nombreuses arrestations et détentions au secret. Les irrégularités et violations observées dans le cadre de l’« affaire Belliraj », dans laquelle figuraient un certain nombre de personnalités politiques, ont amené une nouvelle fois sur le devant de la scène les atteintes aux droits humains commises par les autorités marocaines au nom de la lutte antiterroriste.
Amnesty
International condamne sans réserve les actes de violence visant des civils et les attaques aveugles, qui démontrent un mépris total du droit à la vie. Les autorités marocaines ont le droit et le devoir de prendre des mesures pour protéger la sécurité des personnes relevant de leur juridiction et d’amener celles soupçonnées d’implication dans de tels actes à rendre des comptes. Cependant, elles doivent ce faisant respecter leurs obligations en matière de droits humains découlant du PIDCP et de la Convention contre la torture.
LA GRÈVE DE LA FAIM À LA PRISON DE SALÉ
Selon les informations recueillies par Amnesty International, une vingtaine de détenus de la prison de Salé accusés ou reconnus coupables d’infractions liées au terrorisme observent actuellement une grève de la faim. La majorité de ceux qui ont déjà été condamnés clament leur innocence et expriment leurs griefs contre ce qu’ils considèrent comme leur détention illégale et l’erreur judiciaire commise dans leur cas. Ceux qui sont en détention provisoire protestent contre les accusations portées contre eux, qu’ils estiment forgées de toutes pièces et fondées sur des procès-verbaux qu’ils ont été forcés à signer sous la torture ou la contrainte pendant leur garde à vue.
Parmi les détenus participant à cette grève de la faim figure Mohamed Hajib, un ressortissant germano-marocain qui a été arrêté au Maroc le 18 février 2010 alors qu’il rentrait du Pakistan après être passé par l’Allemagne. Sa famille n’a pas été immédiatement informée de son arrestation et n’a pu le voir que le 1er mars. Le 27 mars 2010, Amnesty International a écrit au ministre marocain de la Justice, Mohamed Naciri, pour lui demander d’intervenir afin de s’assurer que Mohamed Hajib soit traité avec humanité et qu’il bénéficie d’un procès équitable, notamment en veillant à ce qu’aucune déclaration obtenue sous la torture ou la contrainte ne soit retenue à titre de preuve dans une procédure judiciaire. L’organisation n’a pas encore reçu de réponse à ce courrier. L’état de santé de Mohamed Hajib s’est considérablement dégradé car il observe une grève de la faim depuis le 10 mai 2010. D’après certaines sources, il serait trop faible pour se tenir debout ou même parler. Un autre homme en détention provisoire à la prison de Salé, Anwar Majrar, a entamé une grève de la faim le 31 mai. Amnesty International a appris que ce prisonnier, qui a déjà auparavant été reconnu coupable d’activités liées au terrorisme et libéré à l’issue de sa peine, avait été détenu au secret et torturé dans le centre de détention de Témara après chacune de ses deux arrestations. Il aurait été battu, suspendu au plafond dans des postures contorsionnées, flagellé et arrosé avec de l’eau froide.
DÉTENTION SECRÈTE ET AU SECRET
Amnesty International est préoccupée par les témoignages indiquant que des membres de la Direction de la surveillance du territoire (DST), un service de renseignement impliqué dans des violations passées et actuelles des droits humains, continuent d’arrêter, de détenir et d’interroger des personnes soupçonnées de participation à des activités liées au terrorisme en dehors du cadre juridique marocain. Les agents de la DST ne font pas partie de la police judiciaire et ne devraient donc ni arrêter, ni détenir des suspects. Pourtant, Amnesty International reçoit des informations persistantes selon lesquelles des membres des forces de sécurité en civil qui semblent être des agents de la DST continuent d’arrêter des suspects sans présenter de mandat et de les détenir pendant plusieurs semaines, voire davantage, dans des lieux de détention non reconnus. Les familles des personnes arrêtées par la DST ne sont pas officiellement informées de leur arrestation, en violation de l’article 67 du Code marocain de procédure pénale, qui dispose que les autorités doivent signaler sans délai aux proches d’un suspect arrêté la décision de le placer en détention. Désemparées, ces familles cherchent donc désespérément l’un de leurs membres en se renseignant auprès des postes de police, des prisons et des bureaux du ministère public. Les autorités nient généralement être au courant de l’arrestation et du lieu de détention de leur proche.
Après une période initiale de détention par la DST, les suspects sont transférés aux mains de la police judiciaire – le plus souvent à Casablanca. Les dates d’arrestation seraient systématiquement falsifiées pour coïncider avec celle du transfert des suspects à la police judiciaire, au lieu de celle à laquelle ils ont été placés en détention aux mains de membres des forces de sécurité marocaines. À maintes reprises, Amnesty International a fait part de ses inquiétudes concernant l’affaiblissement des garanties pour la protection des détenus depuis la promulgation de la Loi n° 03-03 du 28 mai 2003 relative à la lutte contre le terrorisme, qui a étendu la durée maximale de la garde à vue à 12 jours et pr
olongé la période pendant laquelle les détenus sont privés de tout contact avec leur avocat jusqu’à six jours. Dans la pratique, même ces garanties limitées continuent d’être bafouées par la DST.
Ainsi, Abdel Aziz Danjier, un prisonnier qui observe une grève de la faim depuis le 3 juin, aurait été détenu par les services de sécurité dans un lieu de détention non reconnu pendant 37 jours après son arrestation, le 28 mai 2008, puis maintenu en détention pendant 12 jours supplémentaires aux mains de la police judiciaire à Casablanca. Il a été condamné le 28 janvier 2010 à 10 ans d’emprisonnement pour des activités liées au terrorisme, à l’issue d’une procédure entachée d’allégations de torture. Un autre détenu de la prison de Salé,Khaled Kaddar, a également été condamné pour terrorisme à huit ans d’emprisonnement en janvier 2010. Selon des témoins oculaires, il a été arrêté par quatre hommes en civil dans une rue proche de son domicile, à Oujda, le 26 juillet 2008. Environ un mois et demi après son arrestation, il a pu appeler sa famille pour la première fois afin de l’informer qu’il avait été arrêté et qu’il se trouvait à la prison de Salé. Au cours de la première visite qu’il a reçue de ses proches, il leur a indiqué qu’il avait été détenu par la DST dans le centre de détention de Témara pendant 45 jours et qu’il y avait été torturé. Amnesty International a écrit au ministre marocain de la Justice le 29 avril 2010 pour lui demander de veiller à ce que les allégations de torture formulées par Khaled Kaddar fassent sans délai l’objet d’une enquête et que cet homme bénéficie d’un procès équitable en appel. Malheureusement, l’organisation n’a pas encore reçu de réponse à cette demande.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
La longue période que passent les détenus coupés du monde extérieur les expose au risque d’être torturés ou soumis à d’autres formes de mauvais traitements. Amnesty International continue de recevoir des informations inquiétantes selon lesquelles des agents des forces de sécurité marocaines infligeraient des actes de torture et d’autres mauvais traitements à des personnes soupçonnées d’activités liées au terrorisme dans un centre de détention non reconnu, probablement celui de Témara, qui est situé dans une zone boisée à une quinzaine de kilomètres de Rabat. Parmi les méthodes de torture les plus fréquemment signalées figurent les coups, la suspension dans des postures contorsionnées et les menaces de viol ou d’autres violences sexuelles à l’encontre de parentes du détenu. Les autres actes de torture commis comprennent le viol par l’introduction d’objets dans l’anus, la privation de sommeil, les brûlures de cigarette et l’application d’électrodes sous tension sur le corps. L’objectif de ces sévices semble être d’obtenir des informations sur des réseaux terroristes, notamment ceux qui cherchent à recruter des Marocains pour rejoindre des groupes armés en Irak ou en Afghanistan, ou bien d’extorquer des « aveux ». D’après les données dont dispose Amnesty International, la plupart des suspects sont contraints à signer des procès-verbaux après avoir été transférés de la détention par les forces de sécurité à celle aux mains de la police judiciaire, lors de laquelle ils sont menacés d’être renvoyés au centre de Témara s’ils n’obtempèrent pas. Généralement, on ne leur permet pas de lire les déclarations qu’ils signent.
Un détenu de la prison de Salé, Youssef al Tabai, a été arrêté le 28 mars 2010 dans une rue de Casablanca par quatre hommes en civil qui n’auraient pas présenté de mandat d’arrêt. Selon les informations obtenues par Amnesty International, on l’a forcé à monter dans un véhicule et on lui a bandé les yeux. Les interrogatoires ont commencé dès son arrivée dans un centre de détention non reconnu, qui semble être celui de Témara. Des agents des forces de sécurité l’auraient arrosé avec de l’eau glacée avant d’allumer la climatisation, frappé avec des fils électriques et privé de nourriture, de sommeil et de prière pendant 48 heures. Il a été remis à la police judiciaire à Casablanca le 26 avril avec une trentaine d’autres personnes. Le jour-même, l’agence de presse officielle du Maroc, Maghreb Arabe Presse (MAP), a annoncé le démantèlement d’un réseau terroriste et l’arrestation de 24 personnes soupçonnées d’activités liées au terrorisme. Amnesty International croit savoir que Youssef al Tabai a passé 11 jours supplémentaires en détention aux mains de la police judiciaire et qu’il a alors signé un procès-verbal sous la menace d’être renvoyé au centre de Témara s’il refusait. L’enquête le concernant est en cours, mais il est accusé d’« appartenance à une association de malfaiteurs » dont le but était de porter atteinte à la sécurité nationale et d’abriter des personnes recherchées par les autorités. Il semblerait que d’autres personnes mises en cause dans cette affaire aient également été torturées ou soumises à d’autres mauvais traitements pendant leur détention au secret dans un lieu inconnu.
Mohamed Gatit aurait lui aussi été torturé dans le centre de détention de Témara, où il est resté environ 18 jours en novembre 2009. Il aurait été livré à des membres des forces de sécurité marocaines par leurs homologues algériens début novembre. D’après les informations recueillies par Amnesty International, une fois arrivé au centre de détention, il a été immédiatement conduit
dans une salle d’interrogatoire et frappé sur tout le corps, principalement à coups de poing et de pied, alors qu’il était menotté et avait les yeux bandés. Il aurait perdu connaissance et saigné du nez à cause de ces coups. On pense que cet homme, qui reconnaît avoir participé à des combats armés en Irak, a été interrogé au sujet d’autres Marocains présents en Irak. Il aurait été arrêté en Algérie en mars 2009, incarcéré dans un centre de détention non reconnu qui était probablement celui de Ben Aknoun, à Alger, pendant environ huit mois sans inculpation ni procès, et soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements par des agents des forces de sécurité algériennes.
Bien que la torture soit érigée en infraction dans la législation marocaine, les allégations de torture font rarement l’objet d’une enquête. À la connaissance d’Amnesty International, aucun fonctionnaire de la DST n’a jamais été poursuivi pour torture ou autres mauvais traitements envers des détenus. Dans le quatrième rapport périodique présenté au Comité contre la torture en avril 2009, les autorités marocaines ont indiqué que des poursuites judiciaires avaient été engagées contre 13 fonctionnaires soupçonnés d’avoir soumis des détenus à des actes de torture ou d’autres mauvais traitements en 2007 et 2008. Cependant, le rapport ne précise pas leurs fonctions, ni si ces poursuites ont abouti à des condamnations.
PROCÉDURE PÉNALE ENTACHÉE D’IRRÉGULARITÉS
Amnesty International est vivement préoccupée par le maintien de l’utilisation d’éléments de preuve entachés d’allégations de torture ou d’autres mauvais traitements dans des poursuites judiciaires. D’après les informations dont dispose l’organisation, des déclarations issues de procès-verbaux d’interrogatoire établis par des agents de la DST alors que les suspects sont entre leurs mains continuent d’être retenues comme motifs de poursuites et à titre de preuve lors de procès.
Amnesty International est également inquiète que le droit à une défense adéquate ne soit pas pleinement respecté dans les affaires de terrorisme. Il est par exemple fréquent que des personnes ne comparaissent devant les autorités judiciaires qu’après une longue période de détention au secret, et sans la présence d’un avocat. Dans plusieurs cas portés à la connaissance d’Amnesty International, le juge d’instruction n’avait pas informé les suspects de leur droit d’être assisté par un avocat. De plus, l’organisation a été informée que les avocats ne sont pas toujours autorisés à consulter un exemplaire du dossier de leur client, ce qui les empêche de présenter une défense satisfaisante.
Le 11 avril 2010, Younes Zarli était chez lui à Casablanca lorsqu’un homme non identifié lui a demandé de descendre au rez-de-chaussée. Il a alors été forcé à monter dans un véhicule par un groupe d’hommes en civil Voir l’Action urgente du 29 avril 2010 intitulée Maroc. Craintes de torture. Younes Zarli (index AI : MDE 29/011/2010).. On a appris par la suite qu’il avait passé environ 16 jours dans un lieu de détention non reconnu, probablement le centre de détention de Témara. Il a ensuite été transféré aux mains de la police judiciaire à Casablanca. Sa date d’arrestation a été falsifiée : elle est fixée au 26 avril, date à laquelle l’agence de presse officielle a annoncé l’arrestation de personnes soupçonnées de terrorisme. D’après certaines sources, au cours de sa détention par la DST, il a été battu une fois, menacé du viol de son épouse et privé de sommeil au moyen d’une lumière constamment allumée dans sa cellule. Amnesty International craint que sa mise en cause dans cette affaire, dans laquelle une trentaine de suspects sont impliqués, ne repose sur des informations qui ont été extorquées en torturant un autre détenu. Il semble que l’avocat de Younes Zarli n’a pas été autorisé à photocopier son dossier afin de pouvoir préparer correctement sa défense. Younes Zarli a entamé une grève de la faim le 31 mai pour protester contre les accusations portées contre lui et les informations contenues dans le procès-verbal, qu’il aurait signé sous la contrainte sans l’avoir lu. Ses proches sont préoccupés par son état de santé car il a maintenant perdu environ 10 kilos et s’affaiblit de jour en jour.
IMPUNITÉ
Amnesty International demeure préoccupée par l’impunité persistante dont bénéficient les membres des forces de sécurité marocaines pour les violations des droits humains commises dans le cadre de la lutte antiterroriste. Dans la majorité des cas où une plainte a été déposée au sujet d’actes de torture, l’enquête n’a pas été ouverte, a été close, n’a pas été menée comme il se devait ou n’a pas donné lieu à des poursuites contre les auteurs présumés de ces violences.
Jusqu’à présent, des centaines de détenus islamistes condamnés après les attentats à l’explosif de 2003 à Casablanca continuent de protester contre leurs condamnations, prononcées à l’issue de procès entachés d’allégations d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements infligés par les forces de sécurité au cours d’interrogatoires qui n’ont pas été examinées. Beaucoup ont été condamnés à de longues peines d’emprisonnement et plus d’une dizaine ont été condamnés à mort sur la base d’« aveux » qui, selon eux, auraient été extorqués sous la torture ou au moyen d’autres mauvais traitements.
Hammou Hassani a été condamné à mort en 2005 pour activités liées au terrorisme et meurtre. Arrêté en juillet 2004, il a passé deux jours à un poste de police de Nador où il aurait été torturé, avant d’être transféré dans un centre de détention non reconnu, probablement celui de Témara, le 17 juillet 2004. Il y aurait été déshabillé, roué de coups sur le visage et le corps, et un stylo aurait été introduit dans son anus. Il aurait toujours des cicatrices au genou gauche et au talon droit des suites de ces sévices. Il est resté détenu par des agents des forces de sécurité pendant six jours avant d’être transféré aux mains de la police judiciaire à Casablanca. Illettré, il a alors dû apposer son empreinte digitale sur une déclaration sans en connaître le contenu. Il clame son innocence. À la connaissance d’Amnesty International, aucune enquête n’a été ouverte sur les allégations de torture d’Hammou Hassani.
Noureddine Gharbaoui, victime d’atteintes aux droits humains dont Amnesty International a rendu compte dans son rapport Maroc et Sahara occidental. « Lutte contre le terrorisme » et recours à la torture : le cas du centre de détention de Témara, est actuellement incarcéré à la prison de Salé, où il purge une peine de 10 ans d’emprisonnement pour « formation d’association de malfaiteurs » et « recel de choses obtenues à l’aide d’un crime ». Les autorités n’ont jamais enquêté sur ses allégations de torture et ne lui ont pas non plus accordé un nouveau procès, malgré les informations indiquant que des éléments de preuve extorqués sous la torture ont été utilisés pour le condamner.
OBLIGATIONS DU MAROC AU REGARD DU DROIT INTERNATIONAL
En tant que partie au PIDCP, le Maroc est tenu de ne pas arrêter ni détenir quiconque arbitrairement, de respecter le droit des personnes arrêtées à être rapidement informées des charges pesant contre elles, de les présenter devant les autorités judiciaires dans un délai raisonnable et de leur permettre de contester la légalité de leur détention (article 9), ainsi que de veiller à ce que leur procès soit conforme aux normes internationales énoncées à l’article 14 de ce texte.
Le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires, qui s’est rendu au Maroc en juin 2009, a relevé dans son rapport de mission publié en février 2010 le nombre élevé d’allégations indiquant que des membres de la DST arrêtent et détiennent des personnes dans le centre de détention non reconnu de Témara, et il a appelé les autorités à fournir davantage d’efforts pour enquêter sur ces allégations.
En 2004, dans le cadre de son examen du cinquième rapport périodique du Maroc, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a noté : « L’État partie devrait veiller à ce que les plaintes de torture et/ou de mauvais traitements soient examinées promptement et d’une manière indépendante. Les conclusions d’une telle enquête devraient faire l’objet d’un examen approfondi par les autorités compétentes afin de permettre de sanctionner disciplinairement, mais aussi pénalement, les personnes responsables. Tous les lieux de détention devraient faire l’objet d’une inspection indépendante (articles 7 et 10 du Pacte). » Néanmoins, les autorités marocaines n’enquêtent pas sur toutes les allégations de torture ou d’autres mauvais traitements, ne traduisent pas en justice les responsables présumés de tels actes dans le cadre de procédures conformes aux normes internationales d’équité, et n’accordent pas de réparation aux victimes comme l’exigent le PIDCP et la Convention contre la torture. En outre, elles ne respectent pas leur obligation de ne pas utiliser des éléments de preuve obtenus sous la torture dans le cadre de poursuites judiciaires, conformément à l’article 15 de la Convention contre la torture.
RECOMMANDATIONS
Afin de mettre fin à l’impunité dont bénéficient les forces de sécurité marocaines, en particulier les membres de la DST, et d’empêcher la répétition de graves atteintes aux droits humains, Amnesty International engage les autorités marocaines à :
–  s’assurer que les membres de la DST ne procèdent pas à des arrestations et ne détiennent pas des personnes soupçonnées d’activités liées au terrorisme dans des lieux de détention non reconnus ;
–  mener des enquêtes exhaustives, impartiales et indépendantes sur toutes les allégations de torture ou d’autres mauvais traitements, même en l’absence de plainte déposée, et veiller à ce que les auteurs présumés de tels actes, y compris lorsqu’il s’agit d’agents de la DST, soient déférés à la justice dans le cadre d’une procédure conforme aux normes internationales d’équité ;
–  garantir qu’aucune information ni élément de preuve obtenu sous la torture ou la contrainte ne soit utilisé dans le cadre d’un procès ;
–  prendre les mesures nécessaires pour que les avocats aient accès sans restriction au dossier de leurs clients afin de pouvoir préparer correctement leur défense ;
–  faire rejuger, dans le cadre de procès conformes aux normes internationales d’équité, toutes les personnes condamnées sur la base d’éléments de preuves qui ont été ou pourraient avoir été obtenus au moyen de la torture ou d’autres formes de mauvais traitements ;
–  modifier le Code de procédure pénale marocain afin de le rendre pleinement conforme au droit international et aux normes internationales relatifs aux droits humains, et notamment l’article 66, en limitant la période de garde à vue au strict minimum et en permettant sans délai aux détenus de contacter leur avocat et leurs proches ;
–  mettre en œuvre les recommandations de l’Instance équité et réconciliation (IER) en réformant le système judiciaire et en veillant à son indépendance conformément au droit international et aux normes internationales, en particulier aux Principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l’indépendance de la magistrature et aux Principes de base des Nations Unies relatifs au rôle du barreau, toute réforme de la justice devant garantir aux victimes d’atteintes aux droits humains le droit à un recours utile ; et
–  veiller à ce que les détenus qui observent actuellement une grève de la faim à la prison de Salé bénéficient des soins médicaux correspondant à leurs souhaits et soient traités avec humanité, conformément à l’Ensemble de principes des Nations unies pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement.


Pour obtenir de plus amples informations, veuillez contacter le Service de presse d’Amnesty International à Londres ; tél. : au +44 20 7413 5566 ; courriel : spress@amnesty.org
Amnesty International, International Secretariat, 1 Easton St., Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni ; site : http://www.amnesty.org

Source : Solidarité Maroc, 25/8/2010

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