Novembre dernier nous a rappelé le 30ème anniversaire de la crise du Sahara, éclatée en automne 1975, quand le Maroc a réussi à bouter Madrid hors de sa colonie désertique. Malgré les démentis des Etats-Unis, des documents déclassifiés démontrent que le succès du roi Hassan II a été possible grâce à l’intervention des USA.
En octobre 1975, la Cour Internationale de Justice déclare – dans un avis consultatif requis par le Maroc – que « les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental d’une part, le Royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien d’autre part. » Quelques heures plus tard le roi Hassan II prétend le contraire. La Haye, déclare-t-il à ses sujets, a soutenu son intransigeance: 350.000 civils marocains vont pénétrer au Sahara espagnol en moujahidines pour le « récupérer » pour la mère patrie.
S’en suit une intense agitation diplomatique. En Espagne, le cabinet est désorienté, Franco à l’agonie. Une lutte de pouvoir a lieu entre ceux favorables à l’indépendance (les administrateurs coloniaux et des éléments du ministère des Affaires étrangères) et les ultraconservateurs du mouvement national, soucieux des relations avec le Maroc. Alors que les uns sont en faveur de pressions des Nations unies pour stopper la marche verte de Hassan II, les autres engagent un dialogue bilatéral contradictoire pour obtenir un arrangement avec Rabat, qui permette aux deux partenaires de sauver la face. Mais le cabinet espagnol, privé de guide, craint par-dessus tout l’éclatement d’une sale guerre coloniale avec le Maroc.
Suite à l’annonce de la marche par Hassan II, le Conseil de sécurité demande au secrétaire général Kurt Waldheim de consulter les parties. La principale pierre d’achoppement réside dans le droit à l’autodétermination des habitants du Sahara occidental. Depuis le milieu des années 60, les Nations unies avaient appelé à la décolonisation du Sahara occidental par l’organisation d’un vote populaire, et avaient plus tard souligné le droit à l’indépendance du territoire. En 1974 l’Espagne avait promis qu’elle organiserait bientôt un plébiscite, ce qui avait amené Hassan II à saisir La Haye. Au moment de la crise, la majorité des membres du gouvernement espagnol ne sont pas disposés à abandonner le Sahara avant la tenue d’un référendum, ni à charger l’ONU de l’organiser. Le Maroc, d’autre part, sait que les chances de gagner un tel référendum sont faibles, voire nulles. La plupart des observateurs, y compris l’ONU et la CIA, ont déjà conclu que le territoire est manifestement en faveur de l’indépendance. La stratégie de Hassan II est d’intervenir avant qu’une telle consultation puisse avoir lieu.
Le 6 novembre, la marche démarre sans accroc, bien que le jour même une résolution du Conseil de sécurité « l’ait déplorée ». Comme le remarquait récemment le magazine marocain Tel Quel, seul un petit nombre des moujahidines de Hassan II ont pénétré dans le territoire – et sont rapidement retournés en arrière, menaçant tout juste la « ligne espagnole de dissuasion » à 10 kilomètres derrière la frontière. Pourtant, pratiquement à l’insu du monde entier, les forces armées marocaines sont déjà passées à l’attaque dans la région nord-est du territoire, le 31 octobre, dans le but d’empêcher toute contre-offensive algérienne. Là, les forces de Hassan II ont rencontré la résistance sporadique du Polisario, un mouvement de libération créé deux ans auparavant.
Hassan II l’a emporté dans sa surenchère avec Madrid. Il rappelle ses marcheurs le 9 novembre, proclamant que la situation avait évolué mieux que prévu. En effet, le 14 novembre, des représentants du Maroc, de la Mauritanie et de l’Espagne annoncent qu’ils ont conclu un accord, qui met en place une administration tripartite jusqu’au départ formel de l’Espagne début 1976. L’autodétermination, déclarent-ils, se réalisera simplement par la consultation de la Jama’a, un organisme colonial constitué des notables sahraouis. Mais avant que cela n’ait lieu, la Jama’a se dissout, proclamant que le Polisario est le véritable représentant du peuple du Sahara occidental. Près de la moitié de la population indigène se rallie au drapeau du Polisario en exil en Algérie, où elle vit encore aujourd’hui dans quatre camps de réfugiés près de Tindouf. L’autodétermination, refusée en 1975, est toujours sur le tapis, même si l’ONU annonce en 1991 qu’elle organiserait le vote dans quelques mois.
Guerre et paix
Le roi Hassan II aussi bien que le président mauritanien, Ould Daddah, avaient considérablement sous-estimé les capacités du Polisario à mener une guerre de guérilla, mais aussi la fureur du président algérien Houari Boumedienne. Deux aspects surtout de l’abandon du Sahara par l’Espagne avaient dérangé Boumedienne: la carte de l’Afrique du Nord avait été redessinée sans le consentement de l’Algérie et les puissances occidentales avaient œuvré durant la crise contre les intérêts algériens. Champion des mouvements de libération nationale, Boumedienne ne pouvait pas laisser passer cet affront. Le régime d’Ould Daddah succombe bientôt aux guérilleros sahraouis et le Maroc se retrouve presque totalement refoulé du Sahara, quatre ans après l’avoir reçu de l’Espagne.
C’est l’aide des Saoudiens, des Français et des Américains qui a permis de renverser la tendance en faveur du roi Hassan, permettant au monarque de regagner une grande partie du territoire. À l’exception de l’Egypte, le Maroc a reçu plus d’aide économique et militaire des USA que n’importe quel autre pays africain. En 1988, quand l’ONU a été à nouveau impliquée dans le conflit, le Maroc était en bien meilleure position pour accepter ou refuser de négocier. Bien qu’un cessez-le-feu ait été décidé en 1991, le contrôle du territoire par l’armée marocaine est à peu près le même aujourd’hui, sinon plus important.
Non seulement le Maroc gagne illégalement des milliards de dollars tous les ans en pêchant dans les eaux riches en poissons de la côte, mais des généraux de haut rang des forces armées marocaines contrôlent ces industries essentielles. La combinaison d’intérêts économiques et militaires au Sahara est l’une des principales raisons du Maroc de refuser un référendum. Bien que l’ONU soit redevable d’un vote aux Sahraouis, aucun membre du Conseil de sécurité n’a actuellement la volonté d’obliger le Maroc de permettre un tel plébiscite. La France et les USA sont plutôt en faveur d’un référendum qui ratifierait un accord d’autonomie favorable au Maroc.
Sujet à spéculations
Le rôle du gouvernement des USA lors de la crise d’octobre-novembre 1975 a été le sujet de beaucoup de spéculations, alors que peu de faits sont connus. Avec peu d’arguments, souvent circonstanciels, divers observateurs ont accusé les USA de toute une gamme d’attitudes, allant de la passivité à la complicité.
Ces accusations de complicité n’étaient pas totalement infondées. Trois ans après la crise, le parlement espagnol a enquêté sur l’affaire. Plusieurs fonctionnaires ont déclaré que la France et les USA avaient fait pression sur Madrid pour accéder aux demandes de Hassan. Et le directeur-adjoint de la CIA à l’époque, le lieutenant-général Vernon Walters, a laissé entendre qu’il était intervenu au nom des USA pendant la crise, déclaration reprise plus tard par d’autres sources dans le New York Times en 1981. Etant donné les étroites relation de Walters avec Hassan II, datant du débarquement allié à Casablanca, le journaliste Bob Woodward l’a décrit une fois comme l’agent personnel du monarque au sein de la CIA.
Il y a ensuite les mémoires de Daniel Patrick Moynihan, représentant des USA à l’ONU pendant la crise de 1975. Dans un passage souvent cité, Moynihan a comparé les histoires parallèles de Timor Leste et du Sahara occidental : « La Chine a soutenu le Fretilin au Timor, et a perdu. Au Sahara espagnol, la Russie a tout aussi clairement appuyé l’Algérie et son mouvement, connu sous le nom de Polisario, et a perdu. Dans les deux cas, les Etats-Unis désiraient une évolution telle qu’elle a eu lieu et ont travaillé dans ce sens. Le Département d’Etat a souhaité que les Nations unies prouvent leur inefficacité quoi qu’elles entreprennent. C’était mon travail et je l’ai effectué, non sans succès. »
Richard Parker, ambassadeur des USA en Algérie pendant la crise, a écrit plus tard qu’il est possible que Hassan ait cru recevoir « le feu vert » des USA pour s’emparer du Sahara espagnol, au cours d’une réunion avec Henry Kissinger en été 1975, bien que telle n’ait peut-être pas été l’intention du secrétaire d’Etat. Mentionnant « le manque de soutien des USA aux résolutions de l’ONU contre la marche verte » comme « preuve indirecte », qui « donne du crédit à l’allégation » que Washington a soutenu Hassan, Parker estime que les « documents officiels ne révèleront jamais toute la vérité. » Il a néanmoins conclu que « tout était possible à cette époque.
La réponse des USA à la crise
L’annonce du roi Hassan du 16 octobre [de la marche verte] n’a pas été le premier signal reçu par le gouvernement des USA que la situation était en train de s’aggraver au Sahara. Deux semaines plus tôt, le directeur de la CIA, William E. Colby, avait fait parvenir un mémorandum à Kissinger, dans lequel il déclarait carrément : « Le roi Hassan a décidé d’envahir le Sahara espagnol dans les trois prochaines semaines. » Il ajoutait que Hassan craignait que l’avis de La Haye pourrait ne pas être favorable à la revendication du Maroc sur le Sahara occidental, de telle sorte qu’une invasion militaire devait être préparée. Le monarque était également certain que les militaires espagnols ne combattraient pas. De plus, comme le mémorandum le suggérait, « il est possible que Hassan en soit arrivé à la conclusion qu’une intervention armée provoquerait une médiation internationale favorable. » Que Hassan en soit arrivé à cette conclusion dangereuse s’explique. Une analyse ultérieure de la CIA ajoutait : « Le roi Hassan est apparemment poussé par ses commandants militaires. »
Kissinger a rapidement envoyé une lettre à Hassan II, lui demandant de patienter, mais n’a pas reçu de réponse avant le 14 octobre. Dans celle-ci, Hassan assurait le gouvernement des USA qu’il n’attaquerait pas l’Espagne, bien qu’il ne ferait pas la même promesse à quiconque s’opposerait à ses ambitions.
Le lendemain de la publication de l’avis de la CIJ et de l’annonce de la marche verte, Kissinger a informé dans le bureau ovale le président Ford et le conseiller à la sécurité nationale, le lieutenant-général Brent Scowcroft :
Kissinger : Le Maroc menace d’entreprendre une marche monstre sur le Sahara espagnol. La CIJ a donné une opinion qui attribue la souveraineté au Maroc et à la Mauritanie. C’est fondamentalement ce que Hassan voulait.
Le président : Que va-t-il se produire ?
Kissinger : L’Espagne penche pour l’indépendance. C’est ce que l’Algérie voudrait aussi. Je parlerai à l’ambassadeur marocain aujourd’hui.
La Cour, comme nous l’avons mentionné, avait donné un avis tout à fait opposé. Hassan II était probablement la seule personne au monde à partager la lecture partisane de Kissinger de l’avis de la CIJ.
Après l’annonce par Hassan de la marche verte, l’Espagne a demandé au Conseil de sécurité de stopper le roi. La réponse, considérée comme insuffisante par le gouvernement espagnol, força Madrid à poursuivre un dialogue bilatéral avec le Maroc. Rencontrant Hassan lors d’un voyage pré-programmé pour discuter du conflit israélo-arabe, le vice-secrétaire d’Etat, Alfred Atherton, a rapporté le 22 octobre que le Maroc et l’Espagne avaient conclu un accord permettant la marche tout en sauvant la face. Ils utiliseraient par la suite l’ONU pour légitimer l’occupation marocaine au moyen d’un plébiscite contrôlé, permettant ainsi à l’Espagne de se retirer avec élégance.
À la recherche d’une formule
Même Kurt Waldheim était au courant. Parlant avec Moynihan le 29 octobre, Waldheim a indiqué qu’il avait proposé une solution basée sur « le précédent de l’Irian occidental. » (En 1961 l’Indonésie avait envahi la Nouvelle Guinée occidentale, actuellement West Irian Jaya, avant que la colonie hollandaise ne puisse accéder à l’indépendance. Le territoire fut placé brièvement sous administration de l’ONU en 1962, et remis à l’Indonésie en 1963. Un référendum controversé d’autodétermination avait formalisé en 1969 la souveraineté indonésienne).
Le Maroc abandonnerait la marche si l’Espagne acceptait de se retirer début 1976 ; par la suite une administration intérimaire de l’ONU organiserait un référendum. Waldheim avait admis qu’il serait difficile de trouver une « formule pour consulter la population », acceptable par Hassan, mais comme le signalait à ce moment-là un rapport de la CIA, « le secrétaire général avait pensé auparavant que le Maroc approuverait sa proposition, à condition que l’administration onusienne soit ‘manipulée’, de sorte que le territoire retourne bientôt à Rabat et à Nouakchott. »
Le matin du 3 novembre Ford, Scowcroft et Kissinger se réunissaient dans le bureau ovale où on discuta, entre autres, de l’imminente marche verte. Lors de cette réunion, il s’avéra que Ford avait mis au point les lignes générales de la politique des USA face à la crise menaçante, basées sur une proposition de Kissinger.
Kissinger : … A propos du Sahara espagnol, la pression algérienne a fait renoncer les Espagnols. L’Algérie veut un port et il y a de riches gisements de phosphate. Les Algériens nous ont menacés avec leur position au Moyen Orient. Nous avons envoyé des messages aux Marocains hier. Je pense que nous devrions nous désengager. C’est encore un de ces problèmes du genre Grèce – Turquie, où nous allons être perdants. Nous pourrions dire à Hassan que nous nous opposons à lui ; cela pourrait l’arrêter mais c’est nous qui nous serions le bouc émissaire. Ou alors nous pourrions pousser Waldheim en avant.
Président : Je pense que l’ONU devrait s’occuper davantage de ces problèmes. God damn, nous ne devrions pas devoir tout faire et encaisser les coups.
Kissinger : L’ONU pourrait faire comme en Irian occidental, où ils ont magouillé la « consultation de la volonté populaire », et sont partis.
Président : Utilisons la voie de l’ONU.
Le lendemain, après que Ford ait apparemment précisé la politique des USA, Kissinger présentait aux mêmes un exposé très court sur la crise du Sahara :
Au Sahara, c’est un gâchis. L’armée espagnole ne veut pas avoir l’air d’être jetée dehors. Juan Carlos a dit que le Maroc pourrait avoir le Sahara si la marche était stoppée, mais elle ne peut plus l’être.
Le 5 novembre, la veille de la marche, tôt le matin, Kissinger et ses collaborateurs discutent de la crise lors d’une réunion. Atherton commence en récapitulant les dernières activités diplomatiques et fait allusion à une proposition espagnole. Il est interrompu avant de révéler le contenu de la « suggestion raisonnable ». Kissinger l’arrête pour dire, « renvoie-le [le Sahara] à l’ONU avec la garantie qu’il reviendra au Maroc. » Le vice-secrétaire d’Etat pour les affaires européennes, Arthur Hartman, propose alors « d’escorter » certains des marcheurs à travers la frontière, mais Atherton le coupe pour donner ces instructions : « Laissez les marcheurs entrer sur dix kilomètres et laissez un groupe aller jusqu’au bout [Al-`Ayun], et après ça, faire demi-tour et rentrer. C’est ce qui a été transmis à Hassan. »
Rappelant que « le moment devient critique », Atherton poursuit en laissant entendre que cet arrangement pourrait ne pas satisfaire tous les Marocains. « Le problème de Hassan », explique alors Atherton, « c’est que, s’il a l’air de trop se soumettre, il aura des difficultés chez lui, bien sûr. » Kissinger demande alors, « mais il va obtenir le territoire, n’est-ce pas ? » A quoi Atherton réplique:
Bon, il le veut garanti à cent pour cent. Je pense qu’il obtiendra moins que ça – mais il obtiendra probablement le maximum qu’il peut espérer maintenant, vu la position des Espagnols. Il peut…
Secrétaire Kissinger : Il obtient le maximum qu’il peut espérer…
Atherton : Sous forme d’une promesse qu’à la fin il aura ce qu’il veut, après être passé par la procédure de l’ONU. Ce n’est pas une garantie à cent pour cent. Mais je ne vois pas ce qu’il peut espérer de plus ni ce qu’il peut trouver comme appui ailleurs.
Tout était prévu d’avance
Hartman fait alors référence à un télégramme dans lequel le gouvernement espagnol était « très explicite » au sujet « de ce qu’il ferait pour influencer » un référendum (c’est-à-dire, en faveur du Maroc).
Que la marche se soit poursuivie sans accroc, et que l’Espagne n’ait jamais soulevé la question de l’invasion militaire du Maroc dans le nord-est du territoire, indique que l’affaire était vraiment décidée d’avance. Pour Washington, cependant, un certain doute persistait quant à l’issue, favorable ou non à Hassan.
Le lendemain, après que Hassan ait annoncé le retrait de ses marcheurs du Sahara, Kissinger, Scowcroft et Ford se retrouvèrent dans le bureau ovale au matin du 10 novembre. Selon les notes de la réunion, Kissinger leur a indiqué,
Hassan s’est retiré du Sahara. Mais s’il ne l’obtient pas, il est fini. Nous devrions maintenant travailler à ce qu’il l’obtienne. Nous allons agir au sein de l’ONU [pour] assurer un vote favorable.
Les notes de la réunion ne relèvent pas la réponse de Ford ou de Scowcroft. Selon les mémoires de Moynihan, nous savons ce qui s’est passé après.
Lors d’une réunion semblable le lendemain, 11 novembre, l’échange suivant eut lieu :
Président : Comment va le Sahara espagnol ?
Kissinger : Ça s’est calmé, mais j’ai peur que Hassan puisse être renversé s’il n’obtient pas un succès. On compte sur un vote truqué à l’ONU, mais s’il ne se produit pas…
Malheureusement pour Kissinger, l’ONU n’a pas été capable d’organiser un vote « truqué » durant l’administration tripartite transitoire, qui a vu la moitié de la population indigène fuir vers le désert avant le retrait de l’Espagne en février 1976. La sanction des urnes étant refusée, le Polisario a essayé de réaliser l’autodétermination par le fusil.
En 1991 la communauté internationale a une nouvelle fois promis l’autodétermination aux Sahraouis. Cette fois Hassan a essayé de fausser le vote en inondant les listes électorales de non-Sahraouis. Plutôt que de forcer son successeur, le Roi Mohamed, d’accepter l’échec de cette tentative, les USA ont soutenu la proposition de Baker en 2003 de permettre aux colons marocains de participer au vote. Peu disposé à faire confiance même à ses propres citoyens, le Maroc a rejeté cette proposition. Privé une nouvelle fois de son droit fondamental, le Sahara occidental occupé a connu les plus importantes démonstrations pro-indépendantistes, suivies d’une violente répression. Les récents rapports du secrétaire général relèvent une augmentation des violations du cessez-le-feu, des deux côtés.
Un mois après la crise, Kissinger a rencontré le ministre algérien des Affaires étrangères – l’actuel président – Abdelaziz Bouteflika. Il a expliqué le paradoxe de la politique étrangère des USA à Bouteflika, qu’il a appelé un enfant terrible. « Empêcher la marche verte », a expliqué Kissinger, « aurait mis à mal nos relations avec le Maroc, de fait un embargo. » Bouteflika a répliqué, « vous auriez pu le faire. Vous pouviez couper l’aide économique et l’aide militaire. » Kissinger a tenté une réplique : « mais cela aurait signifié la ruine complète de nos relations avec le Maroc. » Bouteflika a persisté et insisté sur le fait que le gouvernement des USA a favorisé l’une des parties. « Je ne pense pas que nous ayons favorisé une partie, » a dit Kissinger. « Nous avons essayé de rester en dehors du conflit. » Mais, a-t-il ajouté, « pour nous aligner sur [votre] position, nous aurions dû changer complètement de point de vue. »
En 1976, le spécialiste renommé de droit international, Thomas Franck, a décrit avec justesse la politique des USA pendant la crise comme « un acte d’opportunisme politique fondé sur des alliances est/ouest. » On pourrait en dire autant aujourd’hui de la politique américaine de « neutralité » par rapport au conflit du Sahara occidental, ainsi qu’à d’autres conflits touchant à la négation de l’autodétermination nationale. La seule différence entre 1975 et 2005 réside dans le contexte géopolitique justificateur. On est passé de la guerre froide à la guerre contre le terrorisme, ce qui nous amène à croire que notre neutralité proclamée est un luxe que nous ne pouvons pas encore nous permettre. Mais la persistance du conflit du Sahara occidental démontre les imperfections de la politique américaine de « neutralité » au Sahara. Durant les 30 dernières années, Washington ne s’en est pas rendu compte.
TLAXCALA, 01/8/2010
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