Cridem : De nos rapports avec la France

Depuis quelques temps j’écoute, je lis des prises des positions qui ont trait à nos rapports avec la France. Depuis que nous sommes territoire, puis colonie, puis Etat indépendant, nos rapports avec la France ont toujours connu des hauts et des bas mais ils ont toujours été fondamentalement solides. 
La Mauritanie a été colonisée pour des raisons uniquement stratégiques. « L’ensemble mauritanien » non administré de façon centralisée pouvait constituer une source d’instabilité pour les colonies françaises du Maghreb et celles d’Afrique noire à cause de sa position géographique. Les recettes des impôts perçus uniquement sur le cheptel mauritanien ne couvraient pas les charges et le peu d’infrastructures sur ce vaste territoire. 
Plus tard, la découverte, dans les années cinquante, de la mine de fer et les revenus que tiraient les pécheurs français de la cote mauritanienne ajoutaient un regain d intérêt. Mais, tout cela ne constituait pas un enjeu suffisant pour justifier, à lui seul que la France s’opposât farouchement au phagocytage de la Mauritanie par ses vieilles colonies dont elle tire tant d’avantages pour elle-même que pour ses opérateurs économiques. 
La présence française, ici, a toujours fait débat depuis que la Mauritanie a été érigée en colonie et ce, jusqu’à l’indépendance et quelques fois bien après. La résistance est restée vivace par les arguments et les armes jusqu’en 1932. Après cette date, d’autres tentatives de résistance, ont vu le jour sous la forme de groupes politiques: l’Entente, la JM, la Nahda, la section mauritanienne du RDA.
Ceux qui ont cautionné l’occupation française ont largement justifié leur choix tout comme ceux qui l’ont combattue ont justifié le leur. Ce débat est partout présent en Afrique sous diverses formes : politique, économique et culturelle. Il n’est pas un particularisme mauritanien.
Il n’empêche que dans le cas de la Mauritanie et malgré les formes de résistance et d’acceptations citées plus haut, la France a toujours été aux côtés de notre pays dans les périodes difficiles. Les considérations stratégiques ont toujours pris le pas sur les intérêts économiques. La France a juste administrée la Mauritanie.
J’ai dit que, malgré des hauts et des bas, le soutien de la France ne nous a jamais fait défaut. Les événements ci-dessous relatés en sont une parfaite illustration. 
1956: Au plus fort de la contestation de la présence française par les groupes politiques mauritaniens, NAHDA, JM, le mouvement syndical naissant et pendant que le Jeich Tahrir,(armée de libération) venant du Maroc, était aux portes d’Atar, à l’époque la plus grande ville de Mauritanie, la France monta l’opération « Ecouvillon » à partir de Dakar et mit en déroute les colonnes venues du nord, alors encerclées dans la montagne de Teguel. A l’époque l’armée mauritanienne n’était pas encore constituée. Les quelques officiers; sous-officiers et hommes de troupes mauritaniens servaient encore sous l’uniforme français. 
1961 : une guérilla menée par des mauritaniens et installée au Mali par le Maroc, ayant des cellules dormantes et des dépôts d’armes sur tout le territoire, provoque l’émoi dans le pays nouvellement indépendant (attentats, assassinats, soulèvements à l’Est et migrations de pans entiers de tribus vers le Mali voisin). L’armée mauritanienne venait juste de naitre. La Francemit à sa disposition les meilleurs instructeurs et officiers de renseignements (dont le célèbre commandant Léger, officier français exfiltré d’Algérie où il aurait monté l’opération « bleuité » entraînant une guerre fratricide entre certains des chefs militaires de la révolution algérienne). Avec l’armée mauritanienne naissante, ils ont opéré un quadrillage du pays et démonté toutes les cellules dormantes et les dépôts d’armes.
1966 : la France a prépositionné les troupes de Dakar au cas où la situation deviendrait grave en Mauritanie. Feu Moktar et l’armée mauritanienne purent maitriser la situation grâce aux seuls moyens mauritaniens.
1977 : la Mauritanie avait rompu tous les accords qui la liaient à la France depuis 1972 y compris l’accord de défense. La guerre de guérilla menée par le Polisario tenait laMauritanie comme maillon faible de l’axe Rabat-Nouakchott (mouvement de libération du Sahara Occidental qui avait été partagé par la Mauritanie et le Maroc en 1975, note de Diaspora Saharaui). Avec un territoire immense, une armée manquant cruellement de moyens, des installations économiques situées a l’intérieur des zones des combats, tous les mauritaniens étaient inquiets sur le sort de leur pays qui pliait inexorablement sous les coups de boutoir répétés du Polisario et ce, malgré les efforts de nos officiers et hommes de troupes. Les installations économiques étaient toutes asphyxiées ou détruites. La France, sollicitée, mit rapidement en opération les avions Jaguar et les Breguet-Atlantic de surveillance. Elle plaça aussi des officiers d’assistance technique à l’Etat-major de l’Armée. La situation fut maîtrisée rapidement.
2007-2010 : le meurtre de quatre français sur l’axe d’Aleg, l’annulation du célèbre rallyeParis-Dakar, les attaques contre des garnissons de l’armée, le meurtre d’un américain àNouakchott, les prises d’otages répétées, les cellules qui tuent à Nouakchott et les kamikazes qui se font exploser, tout cela mit le pays dans une situation inconfortable, sur tous les plans. La France met alors à la disposition de la Mauritanie des instructeurs spécialistes dans les différents domaines militaires de lutte anti-terroriste.
En 2010, notre armée sera la première de la région, et même du continent peut-être, à prendre l’initiative de mener une opération commando réussie à des milliers de kms de son commandement central. Rien de tout ce que je viens d’évoquer ne met en péril l’honneur du pays, ni sa capacité de décision. Il est légitime que l’Arabie saoudite, plus riche, ou laJordanie, fassent la même chose avec les Anglais si le besoin s’en fait sentir. Que l’Inde, lePakistan en fassent de même avec l’Angleterre, rien de cela n’est déshonorant. 
Les transferts de technologie et les échanges de connaissance sont plus productifs entre gens parlant la même langue et ayant les mêmes référentiels. Ils peuvent être de nature militaire, culturelle ou sociale. Je ne vois là rien qui puisse donner lieu à un tapage médiatique ou politique. Ce sont des relations normales de coopération entre Etats amis et que les conjonctures internationale et régionale imposent.
Ceux qui connaissent ma génération diront voilà ce que pensent les « TIYAB NASSARA » (les repentis des français), les fils des interprètes et des hommes des troupes coloniales.
Les fils d’interprètes et des hommes des troupes coloniales, ont fait le Coran la grammaire, le Figh, la poésie épique et l’histoire arabe avant de venir à l’école française. Ils sont férus de culture arabe et européenne de façon générale et spécialement française. Ils ont fait leurs humanités dans les meilleures universités du monde et sont, en général, au moins parfaitement bilingues sinon polyglottes. Ils ont vu fonctionner correctement des administrations et admirer l’ordre et la discipline des casernes. 
Ils ont appris à respecter le drapeau et les symboles de l’Etat. Ils ont profité d’un enseignement de qualité et d’une organisation administrative léguée par la France et fondée sur les concepts de méritocratie et de méthodologie. Cela les a prédisposés, jusque date récente, à être les piliers de l’Etat ; tout au moins pour ceux d’entre eux qui n’ont pas été dévoyés par la rigueur qu’exige le service public. 
En un mot, cette génération est l’essence même de ce qui nous reste de tradition administrative républicaine. 
Malgré le legs colonial, ils n’ont jamais émargé aux officines coloniales anciennes ou nouvelles, ils n’ont jamais été décorés de médailles pour « services rendus ». Leurs rapports avec les européens et particulièrement les Français sont décomplexés et imprégnés d’un respect mutuel. 
J’ai longtemps entendu la litanie contre les « TIYAB NASSARA » ressassée par une « certaine élite ». Désormais dégagé de la contrainte de réserve du service public, je tiens à briser cette omerta, lever les tabous et les sous-entendus imposés par l’absence de culture et de savoir-faire de ceux-là même qui ne trouvent leur compte que dans le règne de la médiocrité pour justifier leur présence dans notre système administratif.
Nouakchott août 2010
Brahim Salem Ould Bouleiba 
Source : CRIDEM, 15/8/2010

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