Maroc: raid sur le Rif, les pesticides brûlent le kif, mais aussi les tomates, les vignes, les oliviers

Trois hélicos ont déversé des herbicides sur des plantations de cannabis le 29 juin dernier. Mais si le kif a été carbonisé, cest désormais toute une population qui est privée de moyens de subsistance.
Par Eric Le Braz, 31/7/2010
Boulizem, dans la commune de Beni Ahmed Charquia, cest un peu le bout du monde. En partant de Chefchaouen, le douar est accessible par une nouvelle route, déjà dans un état de délabrement avancé, et de mauvaises pistes. Les sept derniers kilomètres sont terribles, même en 4×4 : une sorte de sentier pierreux amélioré, plus adapté aux sabots des mules quaux pneus dune Land Rover. Avant daccéder au douar, il faut faire une pause pour abreuver le véhicule en essence de contrebande dans un village misérable et poussiéreux, véritable bidonville rural : ici on plante le cannabis depuis peu et les paysans nont pas encore engrangé assez de dirhams pour construire en dur à côté de leurs bicoques en tôle. Enfin, au détour dun virage, la cuvette de Boulizem apparaît telle une oasis vert tendre au creux dune vallée aride. Sauf que le tapis vert des plants de kif est parsemé dimpressionnantes taches brunes comme si la moitié du douar avait brûlé& Nous sommes arrivés à destination après deux heures et demie de « route ». A dautres, il aura suffi de quelques minutes en hélicoptère.
Apocalypse now sur le douar
Ce mardi 29 juin, trois engins décollent dun terrain de foot transformé en héliport près de Bab Taza. Vers 13 heures, ils survolent le douar perdu et piquent du nez vers les cultures pour asperger le sol dune substance blanche. Dans le village, cest la panique. Les femmes crient, les enfants qui nont jamais vu dhélicoptère de leur vie se mettent à pleurer. Une vidéo réalisée par un habitant ce jour-là et que vous pouvez retrouver sur www.actuel.ma résume bien lambiance presque Apocalypse now, sans le napalm : le survol en rase-mottes des hélicos, le bruit des hélices, le lâcher de pesticides sur les champs et les hommes qui invoquent le prophète en fond sonore&
Le mardi noir de Beni Ahmed Charquia
Ce jour-là, comme chaque mardi, la plupart des paysans se sont rendus au souk. Zakaria (1), lui, est resté. Alors quil sest assoupi dans une cabane, il est réveillé par le vacarme assourdissant des rotors. Le cultivateur se précipite alors à lextérieur& avant de sécrouler. Un hélicoptère vient de larroser dherbicide. Choqué, il restera prostré trois jours, incapable de se relever. Deux semaines plus tard, Zakaria ne parvient toujours pas à raconter son calvaire. « Le mal est dans le cSur », se contente-t-il de nous dire dun air désolé.
A Boulizem, les paysans sont tous sous le choc et ne sont guère plus prolixes. Une catastrophe (sur)naturelle sest abattue sur le village et il ny a pas de cellule psychologique pour soutenir des habitants complètement anéantis. Après nous avoir montré ses champs calcinés et son potager brûlé, Ahmed éclate en sanglots. Lattaque ne la pas seulement privé de sa source de revenus mais aussi de tous ses moyens de subsistance : sans ses tomates, ses vignes, ses olives, Ahmed ne sait pas comment il va nourrir sa famille cet hiver.
« On appelle ce mardi, la journée noire », raconte Abdallah Madani, président de lassociation de développement de Beni Ahmed Charquia. « Presque toutes les cultures ont été touchées dans le village et ce qui est encore débout est en train de crever », dit-il en nous montrant des plants de cannabis dont les feuilles touchées par le pesticide sont devenues jaunes.
 photo Brahim Taougar
(1) Les prénoms des personnes interrogées ont été changés.
Source: Actuel.ma
SOLIDMAR, 31/7/2010

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