L’ambassadeur de France à Alger au Jeune Indépendant : «Le traité d’amitié est tombé à l’eau»

C’est dans un contexte de crise redondante entre nos deux pays que M. Xavier Driencourt, ambassadeur de France à Alger, a accepté de répondre à nos questions sans restriction ni réserve. Preuve d’une volonté de dissiper les malentendus en éclairant l’opinion publique sur les contentieux, mais aussi moult aspects positifs dans ces relations franco-algériennes tumultueuses…
Le Jeune Indépendant : Pour commencer, quelques mots sur la mission de l’ambassadeur de France en Algérie…

M. Driencourt : Le rôle d’un ambassadeur de France en Algérie n’est pas banal. Je dois dire que je suis fier d’être à ce poste et que j’aime l’Algérie. La première mission d’un ambassadeur de France en Algérie est de croire en ce pays et en son potentiel. C’est aussi de croire en un avenir positif entre la France et l’Algérie. En raison des liens particuliers entre les deux peuples, ma mission est évidemment incomparable avec la charge d’un diplomate de même rang en Lituanie ou au Bostwana. L’Algérie est un pays important en Afrique et dans le bassin méditerranéen. Sa diplomatie est efficiente au niveau international. Nous devons donc croire en une relation intense avec l’Algérie même si cela n’est pas toujours facile.

Sur le volet des échanges, dans le cadre de la coopération, quels sont les dossiers clés ?
C’est justement une autre caractéristique que ce vaste champ de relations qui nous lie. Avec d’autres pays, nos relations peuvent se limiter au commercial ou à quelques questions politiques mais, avec l’Algérie, la coopération est multiforme. Beaucoup de secteurs sont couverts par-delà le rôle politique. Nous développons des échanges dans les domaines économique, culturel, universitaire… Nous nous penchons aussi sur des dossiers relatifs aux relations humaines migratoires ou portant sur les problèmes que peuvent rencontrer les familles mixtes, les anciens combattants. Les axes clés consistent ainsi à garantir des relations harmonieuses entre les institutions mais aussi entre les peuples. Il ne faut pas négliger ce dernier aspect : les relations entre l’Algérie et la France dépassent allègrement le cadre officiel et sont très denses entre les citoyens des deux pays.
Toujours pas de projet de la part des constructeurs français pour la production d’automobiles en Algérie…
C’est un sujet très important pour l’Algérie et pour les constructeurs automobiles. C’est aussi un sujet compliqué aux discussions souvent confidentielles. Aux parties en négociation de communiquer quand elles le jugent utile. A l’instar de l’industrie pharmaceutiques ou de l’énergie, par exemple. D’une façon générale, tant que les négociations commerciales n’ont pas abouti, il vaut peut-être mieux ne pas en parler.
N’est-ce pas justement des prérogatives d’un ambassadeur d’encourager les entreprises de son pays à prendre telle ou telle initiative ?
Certes… Je me déplace beaucoup en Algérie avec mes collaborateurs pour favoriser les contacts entre les chambres de commerce. C’est une partie significative de mon rôle. Néanmoins, nous ne sommes plus, en France, dans une situation où un politique appelle un patron et lui demande d’investir dans tel ou tel pays. Je suis donc dans une démarche plutôt d’accompagnement des éventuels investisseurs et non pas dans un interventionnisme directif. Je m’applique à expliquer la réalité et faire en sorte que les opérateurs économiques se rencontrent. Nous participons à des Salons, des foires… pour convaincre. Beaucoup sont intimidés par le marché algérien ; certains croient que parce que l’Algérie est proche géographiquement de la France, cela fonctionne comme en France alors que c’est, bien entendu, différent. Je suis donc ici pour expliquer et aider à l’identification des besoins.
Dans le même ordre d’idées, mais sur le plan politique, que pourra apporter comme éclairage nouveau à son pays M. Driencourt, en rupture avec la position promarocaine de la France, au sujet de la question sahraouie ?
Votre question pose un parti pris. La France soutient la solution onusienne, il ne s’agit pas d’une position promarocaine. Nous restons attentifs à la mission de l’émissaire de l’ONU Christopher Ross. Quant à moi, mon rôle consiste à éclairer le gouvernement français sur le point de vue qu’Alger développe. En l’occurrence que l’Algérie considère que c’est une question de décolonisation contrairement à la France. Il faut aussi signaler les nombreux entretiens entre le ministre algérien des Affaires étrangères et son homologue français Bernard Kouchner autour de la question sahraouie.
L’Algérie aussi s’en tient aux résolutions de l’ONU, comment se peut-il qu’avec un même référent les positions divergent tant ? Et puis, la France s’est opposée à l’élargissement des prérogatives de la Minurso en matière de surveillance du respect des droits de l’homme en territoires occupés…
C’est une question d’interprétation des résolutions. La Minurso, comme l’indique son nom, a pour mission d’organiser un référendum, non pas de s’occuper des droits de l’homme.
Vous déclariez, il y a quelques mois, que la question des visas était au centre des relations entre la France et l’Algérie. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Oui, c’est presque une banalité. Vous le savez, il y a un flux conséquent de voyageurs entre nos deux pays. En raison de ces liens étroits dont je vous parle, 700 000 Algériens vivent en France en plus d’environ 1 million de binationaux. C’est quasiment une histoire de consanguinité entre l’Algérie et la France.
La question des visas est donc importante et dans les deux sens. J’en ai fait part à mon collègue ambassadeur d’Algérie en France pour évoquer le délai de quinze jours, en plus d’une invitation obligatoire pour l’attribution d’un visa à un ressortissant français alors qu’au Maroc ou en Tunisie, cela se fait le jour du voyage, à l’aéroport… Je n’ai pas les derniers chiffres en ma possession mais le nombre de demandes reste stable : approximativement 140 000 annuellement. Sans oublier que les visas de circulation valables une année diminuent le nombre des dossiers. Ce qu’il faut remarquer, c’est que les données concernant les visas ne reflètent pas la réalité du flux de voyageurs entre les deux rives, qui est bien supérieur au volume des visas délivrés, vous l’aurez compris.
L’accord de 1968 fait l’objet d’âpres discussion entre les deux pays. La France voudrait renoncer aux quelques spécificités qui caractérisent le statut de l’immigré algérien…
Non, je ne le pense pas. Il n’y a pas d’»âpres discussions». Rappelons d’abord que l’accord de 1968 a été révisé, toiletté ou mis à jour à quatre reprises depuis sa première rédaction.
Cette fois, les discussions se sont enlisées en raison du contexte. Un climat pas très favorable. Je confirme que l’Algérie tient à conserver un statut particulier au regard de nos liens particuliers. Elle le souhaite et le revendique, et la France en est consciente.
Un paradoxe que d’envisager un traité d’amitié et de nier en même temps la dette morale française vis-à-vis des Algériens…
Il faut le dire clairement : le traité d’amitié prévu a fini par tomber à l’eau. Vous savez pourquoi ? A cause de la loi du 23 février 2005, on a mis une croix sur le traité. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans ce schéma d’amitié. Comme l’a déclaré le président Nicolas Sarkozy, l’amitié ne se décrète pas mais se construit. A présent, nous nous efforçons de travailler à un partenariat exceptionnel et multiforme qui se penchera, à défaut d’un traité d’amitié, sur les questions économiques, culturelles…, mais aussi sur la mémoire pour une relation dense et équilibrée. Le tabou de la repentance a été levé en 2007 lorsque Nicolas Sarkozy a prononcé un discours à Constantine exprimant la condamnation du colonialisme en Algérie et en Afrique. C’est la première fois qu’un président français va aussi loin dans la reconnaissance objective des faits et de l’histoire. Signalons aussi les discours de mes prédécesseurs tels les ambassadeurs Hubert Colin de la Verdière et Bernard Bajolet à propos des massacres de Sétif et de Guelma. Des propos que j’ai repris à mon compte dès mon installation à Alger en tant que représentant officiel de l’Etat français. Mais, en France, la génération qui a vécu ces douloureux événements ne nous permet pas de présenter des excuses comme l’Italie l’a fait à l’adresse de la Libye.
C’est donc sur la forme que cela bloque? Sur le fond, l’esprit serait à la repentance?
Nous avons été très loin dans la reconnaissance de l’injustice du système colonial lors du discours de Constantine. Relisez-le et vous apprécierez. Nous sommes dans la reconnaissance, nous ne sommes pas dans le registre de la repentance.
En France, la cooptation du CFCM par le président Nicolas Sarkozy semble s’opposer à la sollicitation permanente de Dali Boubekeur, recteur algérien de la Mosquée de Paris…
Des élections ont décidé de la composante du CFCM, je ne crois pas que nous ayons coopté qui que ce soit. Je veux rester prudent en ce qui concerne l’appréhension du fait religieux, mais il semble, en effet, que c’est l’islam du Maroc qui a obtenu le leadership du CFCM. C’est peut-être une affaire entre les Algériens et les Marocains… Pour ce qui est de Dalil Boubekeur, toujours recteur de la Mosquée de Paris, il demeure un interlocuteur privilégié des autorités françaises et je lui ai moi-même rendu visite avant de venir rejoindre mon poste à Alger. Par ailleurs, notons que Dalil Boubekeur est aussi président d’une association musulmane partie prenante du CFCM et qu’il a été reçu en notre chancellerie par le ministre conseiller parce que j’étais en déplacement lors de sa dernière venue en Algérie.
Justement, on l’a dit bien accompagné, lors de ce dernier voyage à Alger… un haut gradé des renseignements français ?
Dalil Boubekeur a été accompagné par le responsable du culte au ministère de l’Intérieur français qu’on a peut-être confondu avec un responsable des renseignements.
Le président français a reconnu, en marge du sommet de Nice, avoir appelé personnellement le président algérien pour le persuader d’y participer. Y a-t-il eu pour autant une avancée sur les questions qui fâchent ?
Effectivement, il l’a appelé. Le président Bouteflika a accepté et j’ai personnellement demandé une attention particulière pour le président algérien, seul chef de l’Etat maghrébin qui serait présent puisque le roi du Maroc devait être représenté par son frère et le président tunisien par son Premier ministre.
Une attention particulière relative à la tradition de ces sommets France-Afrique davantage tournés vers les pays noirs africains, voire anglophones, tandis que le Maghreb appartient aussi à un autre ensemble méditerranéen où il nous est possible de nous réunir.
On aura remarqué le président algérien à la table du président français. Je suis toutefois incapable de vous dire si cela a fait avancer les discussions sur les dossiers qui fâchent, comme vous dites.
Votre appréciation sur l’évolution des Bleus en cette coupe du monde ? L’ambassadeur de France en Algérie regrette-t-il aussi l’absence de Benzema, Nasri ou Ben Arfa ?
Franchement, je n’en sais rien ! Je n’ai pas vu le match, je ne suis pas compétent et je ne voudrais pas dire des bêtises. Par contre, j’aurais voulu qu’on évoque cet incident en France, un drapeau brûlé sur le fronton d’une mairie…
Vous avez lu la condamnation unanime de la presse algérienne dont notre journal
le Jeune Indépendant…
Oui, je suis très heureux de l’unité de vue sur cet acte honteux comme vous l’avez qualifié dans votre éditorial. Ce qui me chagrinerait, c’est que ce soit le fait d’un enfant français descendant d’immigrés mais issu de la quatrième génération. Un cas de figure inquiétant par rapport à notre credo de l’intégration.
Entretien réalisé par Nefla Boulares et Nordine Mzala

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