Voici une analyse intéressante qui montre le rôle joué par la France pour donner vie à ce que l’on a appelé le MAK, une institution fantôme qui trouve un grand écho dans les médias sponsorisés par la France et le Maroc. Ce dernier cherche par tous les moyens à héberger toute dissidence algérienne pour contrecarrer le soutien d’Alger au Front Polisario dans le conflit du Sahara Occidental.
Du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie au Gouvernement Provisoire kabyle
Par Ahmed Rouadjia*
Les nostalgiques de l’«Algérie française » doivent, à coup sûr, se féliciter de l’annonce fracassante de la création du «Gouvernement Provisoire kabyle» faite à Paris par son président Ferhat Mehenni, transfuge du RCD et ennemi invétéré du docteur Saïd Saadi.
On devine depuis Paris que ces nostalgiques, dont les effectifs de partisans augmentent au fil des ans, et dont le cœur regorge de haine contre l’Algérie, sont au comble de la joie. La joie de prendre leur revanche contre l’indépendance de l’Algérie et d’approfondir la division de la famille algérienne par la flatterie de l’ego «kabyle» censé être foncièrement supérieur au Moi «arabe». La mythologie coloniale est le lieu de l’enfantement du mythe kabyle, et l’on comprend pourquoi le Mak en est si fortement imprégné qu’il ne peut raisonner en dehors de ce cadre de l’ethnicité dangereuse à laquelle pourtant la France métropolitaine a déclaré une guerre impitoyable, sans répit. Les Bretons se sont vu, sous le mandat du président Jacques Chirac, interdire l’usage de leur langue vernaculaire, et l’autonomie inoffensive qu’ils réclament dans le cadre des lois de la République française est rejetée comme un attentant contre le dogme intangible de l’indivisibilité de la République (article 2 de La Constitution de 1958). Les autres minorités «ethniques» ou régionales de la France sont astreintes à l’obligation de se dissoudre dans le moule de la République et de renoncer à toute velléité d’autonomie ou d’indépendance. La revendication du mouvement autonomiste breton d’obtenir la reconnaissance officielle de l’usage de cette langue est rejetée avec force par le gouvernement français.
Ce qui est bon pour la France ne l’est pas pour l’Algérie, et vice versa
Cette politique d’institution de la Nation française, fortement unie et homogène, avait commencé du temps de Guizot, avec la loi de 1833 qui porte son nom, politique que Jules Ferry, «fondateur de l’empire français», devait parachever avec l’école qu’il concevait comme un facteur d’acculturation essentiel. Pour lui, tout comme pour ses prédécesseurs, l’école institue la Nation, car elle constitue l’agent de socialisation et du patriotisme. Le principal théoricien de l’éducation républicaine du temps de Jules Ferry (1880), Ferdinand Buisson, voyait dans l’école primaire le lieu de la formation du «patriotisme» et de l’unité linguistique d’une France encore dominée par une Tour de Babel où tous les patois avaient droit de cité, hormis ce qui allait devenir le français «savant». Déjà avant 1880, les textes que les inspecteurs du primaire s’efforçaient d’inculquer aux élèves du primaire portaient sur la «nécessité d’enseigner exclusivement en français. Règlements à revoir dans les pays où l’on parle les patois basque, breton, flamand, allemand, etc.» La France et les Français, si spirituels et démocrates qu’ils sont, refoulent l’ethnicité et l’usage des patois chez eux, mais les encouragent chez les autres. Un Kabyle, un Breton, un Flamand, un Arabe ou un Turc est mal vu lorsqu’il parle sa langue maternelle en France, mais il est vivement encouragé à en faire non seulement usage dans son pays d’origine, mais à l’instituer comme langue nationale ou officielle à côté de celle de l’Etat dont il est le sujet. En l’occurrence, «le kabyle» est vu depuis la France non seulement sous le rapport d’un être intelligent et ethniquement supérieur à l’«Arabe paresseux» et mentalement «sous-développé», mais également sous la figure d’un personnage civilisé et besogneux, qualités qu’il tire de son ascendance «gauloise». Nous verrons sous peu pourquoi les Bretons et les Kabyles sont mal vus lorsqu’ils parlent leur langue maternelle en France dans les espaces francisés
Les Bretons, les Kabyles et le Printemps Berbère
A la différence du rouleau compresseur de la France jacobine qui avait imposé à la hussarde l’unité linguistique et politique à la Nation française, l’Etat algérien, après moult hésitations et tergiversations, a fini par se rendre à l’évidence qu’il ne saurait ignorer purement et simplement le fait berbère en général, et le fait kabyle en particulier, sans risquer son propre éclatement. Ce que les initiateurs du Printemps Berbère cherchaient n’était pas la scission de la Nation ou le séparatisme à caractère politique, mais la reconnaissance de leur spécificité culturelle et, par-delà, l’application des principes d’égalité et de démocratie pour tous les Algériens sans distinction. Ils inscrivaient et inscrivent encore leurs revendications spécifiques non pas en dehors mais au-dedans du cadre national algérien. En acceptant, presque à son corps défendant, de reconnaître la langue amazigh comme langue nationale, l’Etat algérien a opéré un grand pas que la France n’avait pas pu franchir. Ainsi la Constitution algérienne reconnaît-elle explicitement en son article 3.bis ( Loi n°02-03) que le «Tamazight est ( ) langue nationale», et même s’il n’est pas la «langue officielle» comme l’arabe, il n’en reste pas moins que son inscription dans les textes officiels comme fait «national» marque une étape décisive dans l’évolution des mentalités politiques, puisque l’arabe n’a plus, comme naguère, le monopole de l’algérianité, et ne peut plus désormais exercer son magistère sur les âmes et les esprits. Nous devons ce changement notable moins aux largesses de nos hommes politiques aux horizons bornés, qu’au combat mené vaille que vaille par le mouvement berbère depuis le début des années 80 pour arracher ce droit de faire usage de sa langue maternelle, de la parler et de l’enseigner à ceux qui le désireraient. Ce droit, acquis de haute lutte, marque également la fin du diktat de la langue arabe aussi bien à l’école que dans les relations sociales. Désormais, la langue amazigh n’est plus cette langue discriminée, raillée et moquée aussi bien par le lettré arabe pétri de ses prétentions arrogantes à la supériorité et à la profondeur que par le vulgaire homme de la rue imbu de ses préjugés et de son «ignorasse» crasse, mais bel et bien une langue porteuse de structures linguistiques, de signifiant et de signifié, de logiques structurales et syntactiques, qui n’ont rien à envier aux langues «officielles» des Etats constitués. On se souvient que, dans les années soixante, soixante-dix et même longtemps après le déclenchement du Printemps Berbère en 1980, il était tabou de qualifier de « national » la langue amazigh, et quiconque prononçait ce qualificatif pouvait être poursuivi en justice et condamné comme «antinational», suppôt de la France. La «poésie kabyle» elle-même relevait d’un tabou, voire d’un acte de lèse-majesté, un attentant contre la belle et harmonieuse architecture de la langue arabo-islamique, sacrée et immuable !
Les tenants de «la carte kabyle»
L’annonce de la création de ce Gouvernement Provisoire n’est pas fortuite. Elle est faite au lendemain de la rencontre Sarkozy Bouteflika à Nice. Elle intervient au moment où la tension entre les deux pays est à son acmé, où les discussions sur les litiges du passé achoppent sur la question de la mémoire, des crimes de la colonisation et des essais nucléaires français en Algérie. Le moment choisi pour annoncer à son de trompe la création du Gouvernement Provisoire kabyle n’est donc pas innocent et vise, sous l’influence de certains lobbys parisiens hostiles à l’Algérie, à faire jouer à fond «la carte kabyle» pour obtenir en retour des concessions politiques du gouvernement algérien qui patauge sur bien des registres dans un flou artistique. Mais ce gouvernement que des milieux parisiens ont hâté la création est voué par avance à l’échec total, car il gêne moins le pouvoir en place que les diverses formations politiques qui militent en faveur d’un changement démocratique et pour un Etat de droit, et non pour un Etat de passe-droit. Avec l’émergence de ce gouvernement fantoche, le pouvoir algérien va essayer certainement de créer une sorte d’«union sacrée» temporaire en s’écriant à qui voudrait l’entendre que «la Nation est en danger» tout en augmentant de quelques degrés l’état d’urgence, qui se trouve déjà à son point extrême. Ce gouvernement provisoire, qui risque de gêner momentanément l’action du mouvement démocratique algérien, pourrait provoquer aussi un effet de boomerang dont il ne sortira pas indemne. De ce point de vue, le gouvernement provisoire de Kabylie a signé déjà l’arrêt de mort du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, telle que se la conçoivent ses instigateurs.
La part des nostalgiques dans la formation du Gouvernement provisoire
Que dire maintenant du MAK qui représente la pointe extrême et extrémiste de la mouvance culturelle berbère? Que l’initiative de son leader de fonder un gouvernement séparatiste dit provisoire relève d’un acte irresponsable qui ne fera pas d’ailleurs long feu, tant ses instigateurs se révèlent être non pas indépendants d’esprit et de décisions réfléchies, mais liés et hétéronomes. Inventé par Kant, ce terme hétéronome signifie celui qui reçoit de l’extérieur les règles de sa conduite, au lieu de les trouver en soi. Or, il semble que la dangereuse initiative de Ferhat Mehenni ne procède pas de sa volonté propre, mais d’une impulsion extérieure qui ne pourrait être en l’occurrence que cette ambiance parisienne dans laquelle, lui et ses amis baignent depuis des années et qui leur procure l’illusion que «le peuple berbère», prétendument opprimé, se reconnaît en eux. L’ambiance parisienne, c’est quoi ? Ce sont des petits réseaux constitués de tissus associatifs, d’anciens combattants de l’armée française en Algérie, d’anciens membres de l’extrême droite, Delta, Minute, Charles Martel; d’anciens harkis et de pieds-noirs aigris, d’«Arabes de service», de beurs «pasteurisés» et de tous les nostalgiques de l’Algérie «perdue» pour l’Empire, etc. Tout ce monde qui a pignon sur rue est courtisé par certains cabinets ministériels qui se trouvent à l’affût de l’évolution politique interne de l’Algérie, mais aussi par ces «philosophes» et ces journalistes médiatiques de la rive gauche de la Seine parisienne, qui ne manquent pas l’occasion de s’ériger en experts de l’ethnicité non seulement de l’Hexagone mais de tous les groupes ethniques de la Planète, dont les Kabyles de Paris et d’Algérie captent le plus leur attention en raison de l’histoire passionnée et de la proximité géographique avec la France. Alors que tout ce beau monde combat l’ethnicité, le voile islamique, le régionalisme, les langues vernaculaires au nom de l’indivisibilité de la République, de la démocratie et de la laïcité au sein de la France «une et indivisible», il tente d’encourager et de soutenir l’ethnicité, voire l’autonomie et l’indépendance des groupes ethniques dans les pays où dominent l’«ethnie» majoritaire. Le GPK de Ferhat Mehenni est le fruit de cette ambiance parisienne faite de tractations secrètes, de conciliabules, de rencontres euphoriques, d’incitations au combat des «opprimés» contre leurs oppresseurs, de l’archaïsme arabo-musulman, ennemi de la liberté et de la démocratie, etc. Mais ce que ces Parisiens drogués de nostalgie et de laïcité oublient, c’est que ce MAK, et le GPK qui en est issu, ne représente en fait qu’une poignée d’individus en perte de raison et de projet cohérent susceptible de provoquer l’adhésion du «peuple kabyle.» Car en effet, l’écrasante majorité des militants née dans le sillage du Printemps Berbère, tout comme les deux grandes formations rivales, le FFS et le RCD, ne sauraient en aucune manière approuver ou suivre la pente glissante empruntée par Ferhat Meheni et ses camarades qui pensent à tort qu’ils pourraient, par les seuls effets d’annonce et de provocation bruyante, susciter des effets d’entraînement et d’adhésion à leur cause, d’avance perdue, la masse de la Kabylie et des Kabyles.
C’est oublier complètement que la quasi-totalité des Kabyles, si hostiles et si opposés aux méthodes de gestion autoritaire du pouvoir en place, ne saurait en aucune manière tomber dans ce guet-apens mortel. C’est oublier aussi que le souci majeur de la quasi-totalité des Kabyles, c’est de lutter pour que le droit et la démocratie prévalent au profit du grand nombre d’Algériens.
Projet suicidaire
Ce prétendu GPK se disqualifie lui-même en annonçant sa création depuis Paris. Cela confirme l’hétéronomie de la volonté dont il est question plus haut. Dans sa déclaration faite le 2 juin à Paris, F. Mehenni se pose d’emblée en défenseur des Kabyles qu’il présente comme des opprimés: «Niés dans notre existence, bafoués dans notre dignité, discriminés sur tous les plans, nous nous sommes vu interdits de notre identité, de notre langue et de notre culture kabyles, spoliés de nos richesses naturelles, nous sommes à ce jour administrés tels des colonisés, voire des étrangers en Algérie. Aujourd’hui, si nous en sommes à mettre sur pied notre gouvernement provisoire, c’est pour ne plus subir ce que nous endurons d’injustice, de mépris, de domination, de frustrations et de discriminations depuis 1962 ».(1) Ce discours «fondateur» est suicidaire et fera le lit des extrémistes de tous bords. Les islamistes durs et purs, qui ont une «dent» contre les Kabyles qu’ils jugent «mécréants», trouvent là de nouveaux arguments pour les vilipender au nom du Coran, de l’Islam et de l’arabe, «langue du Coran», et d’en appeler, pour les contrer, à la mobilisation des sentiments «patriotiques» et religieux. Les «Arabes» ordinaires empêtrés dans leurs conceptions archaïques et dans leurs représentations étriquées de l’identité algérienne, réduite à sa dimension arabo-musulmane, exclusive et intolérante, y trouveront eux aussi de quoi alimenter leurs phantasmes et imaginaires d’une Kabylie «kharijite», et donc imperméable à l’arabité et à l’Islam élevés au rang de l’authenticité et de la vertu. La formation de ce GPK peut être aussi saisie et exploitée par le gouvernement comme une aubaine lui permettant de durcir la répression contre tous ceux qui luttent pour l’ouverture des espaces des libertés publiques, qui se trouvent à présent verrouillés, du fait de l’état d’urgence et de l’argument sécuritaire. Tout en feignant de mépriser l’évènement, qualifié par les uns d’un «non évènement» et par le Premier ministre Ahmed Ouyahia, d’un simple «tintamarre !», il n’en demeure pas moins que c’est la première fois depuis l’indépendance que la question de l’unité nationale se trouve franchement mise en cause par une minorité d’extrémistes dont l’exemple pourrait faire tache d’huile.
Comment conjurer le danger de l’explosion ?
L’unique rempart contre la désunion et l’effritement de la Nation, c’est la levée de toutes les contraintes qui pèsent lourdement sur la société, contraintes qui s’appellent injustice ou hogra, limitation des libertés publiques telles qu’elles sont annoncées dans la Constitution, mais non appliquées, la lutte contre les inégalités, le chômage, la marginalisation des compétences, le gaspillage des ressources, la gabegie et l’incurie et, enfin, l’impunité quasi totale des gestionnaires. Tant que tous ces problèmes n’ont pas trouvé des réponses politiques intelligentes et appropriées, les ingrédients de l’explosion ne pourraient que s’accumuler et ne manqueraient pas de s’exploser à la face de tous La sagesse populaire recommande qu’il vaut mieux prévenir que guérir, et l’anticipation politique fait partie de l’art de gérer les affaires du présent sans négliger celles de l’avenir
*Professeur d’université
1-Cité par El Watan 3 juin 2010
On devine depuis Paris que ces nostalgiques, dont les effectifs de partisans augmentent au fil des ans, et dont le cœur regorge de haine contre l’Algérie, sont au comble de la joie. La joie de prendre leur revanche contre l’indépendance de l’Algérie et d’approfondir la division de la famille algérienne par la flatterie de l’ego «kabyle» censé être foncièrement supérieur au Moi «arabe». La mythologie coloniale est le lieu de l’enfantement du mythe kabyle, et l’on comprend pourquoi le Mak en est si fortement imprégné qu’il ne peut raisonner en dehors de ce cadre de l’ethnicité dangereuse à laquelle pourtant la France métropolitaine a déclaré une guerre impitoyable, sans répit. Les Bretons se sont vu, sous le mandat du président Jacques Chirac, interdire l’usage de leur langue vernaculaire, et l’autonomie inoffensive qu’ils réclament dans le cadre des lois de la République française est rejetée comme un attentant contre le dogme intangible de l’indivisibilité de la République (article 2 de La Constitution de 1958). Les autres minorités «ethniques» ou régionales de la France sont astreintes à l’obligation de se dissoudre dans le moule de la République et de renoncer à toute velléité d’autonomie ou d’indépendance. La revendication du mouvement autonomiste breton d’obtenir la reconnaissance officielle de l’usage de cette langue est rejetée avec force par le gouvernement français.
Ce qui est bon pour la France ne l’est pas pour l’Algérie, et vice versa
Cette politique d’institution de la Nation française, fortement unie et homogène, avait commencé du temps de Guizot, avec la loi de 1833 qui porte son nom, politique que Jules Ferry, «fondateur de l’empire français», devait parachever avec l’école qu’il concevait comme un facteur d’acculturation essentiel. Pour lui, tout comme pour ses prédécesseurs, l’école institue la Nation, car elle constitue l’agent de socialisation et du patriotisme. Le principal théoricien de l’éducation républicaine du temps de Jules Ferry (1880), Ferdinand Buisson, voyait dans l’école primaire le lieu de la formation du «patriotisme» et de l’unité linguistique d’une France encore dominée par une Tour de Babel où tous les patois avaient droit de cité, hormis ce qui allait devenir le français «savant». Déjà avant 1880, les textes que les inspecteurs du primaire s’efforçaient d’inculquer aux élèves du primaire portaient sur la «nécessité d’enseigner exclusivement en français. Règlements à revoir dans les pays où l’on parle les patois basque, breton, flamand, allemand, etc.» La France et les Français, si spirituels et démocrates qu’ils sont, refoulent l’ethnicité et l’usage des patois chez eux, mais les encouragent chez les autres. Un Kabyle, un Breton, un Flamand, un Arabe ou un Turc est mal vu lorsqu’il parle sa langue maternelle en France, mais il est vivement encouragé à en faire non seulement usage dans son pays d’origine, mais à l’instituer comme langue nationale ou officielle à côté de celle de l’Etat dont il est le sujet. En l’occurrence, «le kabyle» est vu depuis la France non seulement sous le rapport d’un être intelligent et ethniquement supérieur à l’«Arabe paresseux» et mentalement «sous-développé», mais également sous la figure d’un personnage civilisé et besogneux, qualités qu’il tire de son ascendance «gauloise». Nous verrons sous peu pourquoi les Bretons et les Kabyles sont mal vus lorsqu’ils parlent leur langue maternelle en France dans les espaces francisés
Les Bretons, les Kabyles et le Printemps Berbère
A la différence du rouleau compresseur de la France jacobine qui avait imposé à la hussarde l’unité linguistique et politique à la Nation française, l’Etat algérien, après moult hésitations et tergiversations, a fini par se rendre à l’évidence qu’il ne saurait ignorer purement et simplement le fait berbère en général, et le fait kabyle en particulier, sans risquer son propre éclatement. Ce que les initiateurs du Printemps Berbère cherchaient n’était pas la scission de la Nation ou le séparatisme à caractère politique, mais la reconnaissance de leur spécificité culturelle et, par-delà, l’application des principes d’égalité et de démocratie pour tous les Algériens sans distinction. Ils inscrivaient et inscrivent encore leurs revendications spécifiques non pas en dehors mais au-dedans du cadre national algérien. En acceptant, presque à son corps défendant, de reconnaître la langue amazigh comme langue nationale, l’Etat algérien a opéré un grand pas que la France n’avait pas pu franchir. Ainsi la Constitution algérienne reconnaît-elle explicitement en son article 3.bis ( Loi n°02-03) que le «Tamazight est ( ) langue nationale», et même s’il n’est pas la «langue officielle» comme l’arabe, il n’en reste pas moins que son inscription dans les textes officiels comme fait «national» marque une étape décisive dans l’évolution des mentalités politiques, puisque l’arabe n’a plus, comme naguère, le monopole de l’algérianité, et ne peut plus désormais exercer son magistère sur les âmes et les esprits. Nous devons ce changement notable moins aux largesses de nos hommes politiques aux horizons bornés, qu’au combat mené vaille que vaille par le mouvement berbère depuis le début des années 80 pour arracher ce droit de faire usage de sa langue maternelle, de la parler et de l’enseigner à ceux qui le désireraient. Ce droit, acquis de haute lutte, marque également la fin du diktat de la langue arabe aussi bien à l’école que dans les relations sociales. Désormais, la langue amazigh n’est plus cette langue discriminée, raillée et moquée aussi bien par le lettré arabe pétri de ses prétentions arrogantes à la supériorité et à la profondeur que par le vulgaire homme de la rue imbu de ses préjugés et de son «ignorasse» crasse, mais bel et bien une langue porteuse de structures linguistiques, de signifiant et de signifié, de logiques structurales et syntactiques, qui n’ont rien à envier aux langues «officielles» des Etats constitués. On se souvient que, dans les années soixante, soixante-dix et même longtemps après le déclenchement du Printemps Berbère en 1980, il était tabou de qualifier de « national » la langue amazigh, et quiconque prononçait ce qualificatif pouvait être poursuivi en justice et condamné comme «antinational», suppôt de la France. La «poésie kabyle» elle-même relevait d’un tabou, voire d’un acte de lèse-majesté, un attentant contre la belle et harmonieuse architecture de la langue arabo-islamique, sacrée et immuable !
Les tenants de «la carte kabyle»
L’annonce de la création de ce Gouvernement Provisoire n’est pas fortuite. Elle est faite au lendemain de la rencontre Sarkozy Bouteflika à Nice. Elle intervient au moment où la tension entre les deux pays est à son acmé, où les discussions sur les litiges du passé achoppent sur la question de la mémoire, des crimes de la colonisation et des essais nucléaires français en Algérie. Le moment choisi pour annoncer à son de trompe la création du Gouvernement Provisoire kabyle n’est donc pas innocent et vise, sous l’influence de certains lobbys parisiens hostiles à l’Algérie, à faire jouer à fond «la carte kabyle» pour obtenir en retour des concessions politiques du gouvernement algérien qui patauge sur bien des registres dans un flou artistique. Mais ce gouvernement que des milieux parisiens ont hâté la création est voué par avance à l’échec total, car il gêne moins le pouvoir en place que les diverses formations politiques qui militent en faveur d’un changement démocratique et pour un Etat de droit, et non pour un Etat de passe-droit. Avec l’émergence de ce gouvernement fantoche, le pouvoir algérien va essayer certainement de créer une sorte d’«union sacrée» temporaire en s’écriant à qui voudrait l’entendre que «la Nation est en danger» tout en augmentant de quelques degrés l’état d’urgence, qui se trouve déjà à son point extrême. Ce gouvernement provisoire, qui risque de gêner momentanément l’action du mouvement démocratique algérien, pourrait provoquer aussi un effet de boomerang dont il ne sortira pas indemne. De ce point de vue, le gouvernement provisoire de Kabylie a signé déjà l’arrêt de mort du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, telle que se la conçoivent ses instigateurs.
La part des nostalgiques dans la formation du Gouvernement provisoire
Que dire maintenant du MAK qui représente la pointe extrême et extrémiste de la mouvance culturelle berbère? Que l’initiative de son leader de fonder un gouvernement séparatiste dit provisoire relève d’un acte irresponsable qui ne fera pas d’ailleurs long feu, tant ses instigateurs se révèlent être non pas indépendants d’esprit et de décisions réfléchies, mais liés et hétéronomes. Inventé par Kant, ce terme hétéronome signifie celui qui reçoit de l’extérieur les règles de sa conduite, au lieu de les trouver en soi. Or, il semble que la dangereuse initiative de Ferhat Mehenni ne procède pas de sa volonté propre, mais d’une impulsion extérieure qui ne pourrait être en l’occurrence que cette ambiance parisienne dans laquelle, lui et ses amis baignent depuis des années et qui leur procure l’illusion que «le peuple berbère», prétendument opprimé, se reconnaît en eux. L’ambiance parisienne, c’est quoi ? Ce sont des petits réseaux constitués de tissus associatifs, d’anciens combattants de l’armée française en Algérie, d’anciens membres de l’extrême droite, Delta, Minute, Charles Martel; d’anciens harkis et de pieds-noirs aigris, d’«Arabes de service», de beurs «pasteurisés» et de tous les nostalgiques de l’Algérie «perdue» pour l’Empire, etc. Tout ce monde qui a pignon sur rue est courtisé par certains cabinets ministériels qui se trouvent à l’affût de l’évolution politique interne de l’Algérie, mais aussi par ces «philosophes» et ces journalistes médiatiques de la rive gauche de la Seine parisienne, qui ne manquent pas l’occasion de s’ériger en experts de l’ethnicité non seulement de l’Hexagone mais de tous les groupes ethniques de la Planète, dont les Kabyles de Paris et d’Algérie captent le plus leur attention en raison de l’histoire passionnée et de la proximité géographique avec la France. Alors que tout ce beau monde combat l’ethnicité, le voile islamique, le régionalisme, les langues vernaculaires au nom de l’indivisibilité de la République, de la démocratie et de la laïcité au sein de la France «une et indivisible», il tente d’encourager et de soutenir l’ethnicité, voire l’autonomie et l’indépendance des groupes ethniques dans les pays où dominent l’«ethnie» majoritaire. Le GPK de Ferhat Mehenni est le fruit de cette ambiance parisienne faite de tractations secrètes, de conciliabules, de rencontres euphoriques, d’incitations au combat des «opprimés» contre leurs oppresseurs, de l’archaïsme arabo-musulman, ennemi de la liberté et de la démocratie, etc. Mais ce que ces Parisiens drogués de nostalgie et de laïcité oublient, c’est que ce MAK, et le GPK qui en est issu, ne représente en fait qu’une poignée d’individus en perte de raison et de projet cohérent susceptible de provoquer l’adhésion du «peuple kabyle.» Car en effet, l’écrasante majorité des militants née dans le sillage du Printemps Berbère, tout comme les deux grandes formations rivales, le FFS et le RCD, ne sauraient en aucune manière approuver ou suivre la pente glissante empruntée par Ferhat Meheni et ses camarades qui pensent à tort qu’ils pourraient, par les seuls effets d’annonce et de provocation bruyante, susciter des effets d’entraînement et d’adhésion à leur cause, d’avance perdue, la masse de la Kabylie et des Kabyles.
C’est oublier complètement que la quasi-totalité des Kabyles, si hostiles et si opposés aux méthodes de gestion autoritaire du pouvoir en place, ne saurait en aucune manière tomber dans ce guet-apens mortel. C’est oublier aussi que le souci majeur de la quasi-totalité des Kabyles, c’est de lutter pour que le droit et la démocratie prévalent au profit du grand nombre d’Algériens.
Projet suicidaire
Ce prétendu GPK se disqualifie lui-même en annonçant sa création depuis Paris. Cela confirme l’hétéronomie de la volonté dont il est question plus haut. Dans sa déclaration faite le 2 juin à Paris, F. Mehenni se pose d’emblée en défenseur des Kabyles qu’il présente comme des opprimés: «Niés dans notre existence, bafoués dans notre dignité, discriminés sur tous les plans, nous nous sommes vu interdits de notre identité, de notre langue et de notre culture kabyles, spoliés de nos richesses naturelles, nous sommes à ce jour administrés tels des colonisés, voire des étrangers en Algérie. Aujourd’hui, si nous en sommes à mettre sur pied notre gouvernement provisoire, c’est pour ne plus subir ce que nous endurons d’injustice, de mépris, de domination, de frustrations et de discriminations depuis 1962 ».(1) Ce discours «fondateur» est suicidaire et fera le lit des extrémistes de tous bords. Les islamistes durs et purs, qui ont une «dent» contre les Kabyles qu’ils jugent «mécréants», trouvent là de nouveaux arguments pour les vilipender au nom du Coran, de l’Islam et de l’arabe, «langue du Coran», et d’en appeler, pour les contrer, à la mobilisation des sentiments «patriotiques» et religieux. Les «Arabes» ordinaires empêtrés dans leurs conceptions archaïques et dans leurs représentations étriquées de l’identité algérienne, réduite à sa dimension arabo-musulmane, exclusive et intolérante, y trouveront eux aussi de quoi alimenter leurs phantasmes et imaginaires d’une Kabylie «kharijite», et donc imperméable à l’arabité et à l’Islam élevés au rang de l’authenticité et de la vertu. La formation de ce GPK peut être aussi saisie et exploitée par le gouvernement comme une aubaine lui permettant de durcir la répression contre tous ceux qui luttent pour l’ouverture des espaces des libertés publiques, qui se trouvent à présent verrouillés, du fait de l’état d’urgence et de l’argument sécuritaire. Tout en feignant de mépriser l’évènement, qualifié par les uns d’un «non évènement» et par le Premier ministre Ahmed Ouyahia, d’un simple «tintamarre !», il n’en demeure pas moins que c’est la première fois depuis l’indépendance que la question de l’unité nationale se trouve franchement mise en cause par une minorité d’extrémistes dont l’exemple pourrait faire tache d’huile.
Comment conjurer le danger de l’explosion ?
L’unique rempart contre la désunion et l’effritement de la Nation, c’est la levée de toutes les contraintes qui pèsent lourdement sur la société, contraintes qui s’appellent injustice ou hogra, limitation des libertés publiques telles qu’elles sont annoncées dans la Constitution, mais non appliquées, la lutte contre les inégalités, le chômage, la marginalisation des compétences, le gaspillage des ressources, la gabegie et l’incurie et, enfin, l’impunité quasi totale des gestionnaires. Tant que tous ces problèmes n’ont pas trouvé des réponses politiques intelligentes et appropriées, les ingrédients de l’explosion ne pourraient que s’accumuler et ne manqueraient pas de s’exploser à la face de tous La sagesse populaire recommande qu’il vaut mieux prévenir que guérir, et l’anticipation politique fait partie de l’art de gérer les affaires du présent sans négliger celles de l’avenir
*Professeur d’université
1-Cité par El Watan 3 juin 2010
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