Virée dans l’école sahraouie L’espagnol et l’arabe dominent le français et l’anglais souhaités

La première question qui nous vient à l’esprit est celle-ci : pourquoi cette société vivant en autarcie dans le Sahara a pu accoucher d’un système éducatif qui a pu développer un enseignement de la langue espagnole au point où le taux de réussite avoisine les 100 % ?
Il y a une touche hispanique dans ce bout de désert du côté de Tindouf qui abrite le camp de réfugiés sahraouis. Quand on construit en dur, ça donne des édifices très bas, presque à ras du sol qui rappellent les forts mexicains. Ça tranche avec la couleur ocre et le style soudanais dont se revêtent les constructions à Timimoun ou à Adrar. Le blanc de la chaux est ici tout simplement surprenant. On eut dit un pan de la blanche Andalousie transposé sur le sable. Les édifices qui veulent en imposer par leur solennité parce qu’incarnant les institutions de souveraineté, écoles, siège de wilayas, gendarmerie, etc., sont aussi sobres qu’élégants. Il y a de petites fenêtres ainsi que de petites portes qui dégagent un air mignon qu’on ne peut mettre sur le seul compte du souci esthétique. Les conditions climatiques incitent à pratiquer avec parcimonie les ouvertures sur les murs. Les vents, quand ils soufflent un peu fort, soulèvent les tornades de sable sur fond de chaleur suffocante. Quand ils ne sont pas assez forts pour provoquer le vent de sable proprement dit, la poussière traîne à hauteur d’homme et oblige les gens à rentrer chez eux. La moindre hausse du souffle du vent fait planer la menace diffuse de tout faire basculer. On se sent fragile un peu comme dans un bateau prêt à chavirer au creux de la vague. On est étonné par la nature des reproches adressés à l’ex-occupant. «L’Espagne n’a rien construit au Sahara occidental alors que la France a beaucoup fait au Maroc, au Sénégal et en Mauritanie où elle a construit des écoles, des rues et des chemins de fer» lance Smaïl Mbarek, 42 ans, célibataire enseignant de français au camp du 27-Février.
Smaïl Mbarek est licencié. Activiste à Laâyoune dans les territoires occupés par le Maroc, il eut maille à partir avec la justice marocaine qui le poursuivait pour sa participation à l’intifadha. Fuyant les exactions des autorités chérifiennes, il a fini par lâcher son poste d’administrateur avant de rejoindre les camps des réfugiés. Il ne s’est pas marié car «contracter le mariage coûte 40 à 50 millions de centimes» c’est hors de ma portée, on dispense des cours presque bénévolement, chaque trois mois je perçois la somme de 1,2 million de centimes, vous croyez qu’avec ça je peux trouver une épouse ? Et d’avouer : «Et puis je n’ai pas touché un sou depuis cinq mois, on nous a fait comprendre que ce sont les organisations humanitaires qui prennent en charge tout ça». Et de lancer «je ne pourrais me tirer d’affaires que si j’épouse une Algérienne de Tindouf, ça ne doit pas dépasser les 10 ou 15 millions». Il lâche avec amertume : «Les naissances on en a besoin, on est un peuple peu nombreux, il faut de la croissance, et on fait la chose contraire». Allouma B., directrice du jardin d’enfants au camp de Dakhla (à une centaine de kilomètres au sud du camp du 27-février), reconnaît que la natalité a baissé, mais tout en l’imputant aux «conditions sociales de la guerre».
Pour autant, le ressentiment anti-espagnol ne semble pas être une donnée générale. Le rapport qu’entretiennent les camps des réfugiés avec l’ancienne puissance coloniale semble s’être quasiment inversé. Peut-être que, du fait que les oppresseurs qui ont pris le relais soient des Musulmans, a pu inciter les Sahraouis à relativiser leur jugement par rapport aux premiers. La première question qui nous vient à l’esprit est celle-ci : pourquoi cette société vivant en autarcie dans le Sahara a pu accoucher d’un système éducatif qui a pu développer un enseignement de la langue espagnole au point où le taux de réussite avoisine les 100 % ? L’espagnol est massivement parlé par les enfants scolarisés. Pour autant le «hassania», le dialecte arabe local, a gardé toute sa vigueur. La maîtrise de la langue espagnole n’induit pas la perte de la langue maternelle. C’est celle-ci que parlent les Sahraouis entre eux, la langue espagnole n’étant utilisée qu’en situation de communication avec les étrangers. C’est dire que la notion d’hispanophonie n’existe pas encore dans cette société. «On n’éprouve pas de difficultés pour enseigner l’espagnol parce que les élèves passent chaque année les deux mois de vacances en Espagne. Les familles espagnoles les accueillent, et celles-ci à leur tour viennent chez nous passer des vacances d’une semaine» explique Bedda Mohamed Salem, 35 ans, enseignant d’espagnol au niveau du primaire, le seul cycle scolaire existant dans les camps de réfugiés avec le collège qui vient d’être lancé il y a à peine 2 années. Né en 1975 dans les camps de réfugiés, Bedda Mohamed Salem, aujourd’hui père d’une petite fille, a obtenu un master à l’université de la Havane, capitale d’un pays considéré comme «ami». Il y a passé 14 ans. Depuis qu’il est revenu au bercail, il enseigne la seconde langue du pays dans le camp du 27-Février ainsi dénommé en référence à la date de la proclamation de la République arabe sahraouie démocratique. «En Espagne nos enfants sont tenus de se débrouiller, ici il n’y a ni plage, ni jeux, il n’y a rien, les enfants veulent fuir la chaleur, ils sont obligés d’apprendre cette langue, ici nous ne faisons que leur donner les rudiments de base» poursuit-il. Le nombre d’élèves qui vont chaque année passer leurs vacances au pays de Cervantès atteint annuellement plus de 5 mille selon Hamdi El Bah, secrétaire général de l’enseignement dans la wilaya de Dakhla. Ce chiffre, précise-t-il, concerne l’ensemble des wilayas. Selon lui, la présence de ces élèves en Espagne contribue à la sensibilisation de l’opinion à la cause sahraouie. Les écoles sahraouies si elles sont rudimentaires en ce qu’elles sont faites souvent de murs en argile avec comme toit une simple plaque de zinc, dégagent un air de douceur qui les fait se confondre avec des intérieurs domestiques. Le mobilier qu’on trouve dans les classes est moins austère, plus varié. Les murs y sont soigneusement décorés. On voit des couleurs égayantes partout comme si on était dans une chambre d’enfants. Des graffitis et même des tags sont tracés sur les murs, on lit le mot « Liberté » en arabe et en français. On voit des petits meubles visiblement fabriqués à la main peinturlurés. Les filles autant que les garçons arborent la blouse blanche. La coiffe féminine espagnole formée par les deux tresses ornées de rubans rouges va très bien aux filles sahraouies.
La relative surcharge des classes (il y a en moyenne entre 30 et 35 élèves par salle de cours) n’est pas vécue par ici comme un handicap. Dans le camp du 27- février, les jeunes semblent moins nombreux, on croise plus de femmes et d’enfants que d’adolescents. On croirait que dans un tel campement où il n’y a ni usines ni grands chantiers, les parents seraient plus disponibles pour être au plus près de leurs petits enfants. Mais ces derniers sont plutôt envoyés dans la maternelle locale qui compte 2 classes. B. Fatima, 48 ans, mariée à un militaire, y exerce le métier d’éducatrice depuis 1981. Elle a fait sa formation dans des stages organisés au niveau de l’établissement. Elle a pu se perfectionner en 1987 en suivant un stage dispensé par l’association humanitaire «Carritas». Elle encadre
les enfants âgés entre 1 et 3 ans. Elle leur apprend comment se laver les mains et le visage, nouer les chaussures et utiliser la craie, distinguer entre les couleurs, etc. Les enfants sont retenus à la maternelle entre 9h et 13h 30 en hiver et entre 8h et 12h 30 en été. Le système éducatif sahraoui repose donc sur le préscolaire et le primaire en attendant que le cycle moyen fasse son bonhomme de chemin. «Les collèges et le secondaire vont être mis en place dans un avenir proche» assure Hamdi El Bah. Et celui-ci de préciser : «Nous avons lancé les collèges depuis 2 ans et je peux vous dire que c’est une réussite à 100 %». Selon lui, les noyaux de lycées vont être mis en place dès l’année prochaine.
Les Sahraouis ont fait le constat que le parler algérien est truffé d’un nombre impressionnant de mots français. Ils ont la conviction que cela est dû à la colonisation française. Depuis quelques années, on commence à s’intéresser au français, cette langue a été introduite en 5e année primaire surtout pour permettre aux élèves sahraouis qui vont étudier au sein des établissements algériens d’être au diapason avec leurs voisins qui n’ont pas l’espagnol comme langue étrangère. Hamdi El Bah fait valoir les réalisations du système éducatif sahraoui. Il parle de la sahraouisation de l’effectif enseignant puisqu’au départ l’enseignement était assuré par des étrangers venus de Cuba ou d’Algérie. La plupart de ceux qui encadrent l’enseignement sahraoui sont formés dans les instituts de formation pédagogique algériens. Hamdi El Bah reconnaît que les résultats relatifs à l’enseignement de la langue espagnole «sont de loin meilleurs que ceux qui concernent la langue arabe». «Je peux vous dire que presque 95 % des élèves réussissent en espagnol contre 40 % en arabe» poursuit le SG de l’enseignement de la wilaya de Dakhla, une wilaya qui compte – tous cycles confondus – 2.600 élèves, 200 enseignants environ et 8 éducatrices. «Depuis la fin des années 90, l’école sahraouie a opté pour la méthodologie algérienne et a annulé les directives datant de 1976 en raison du fait que la majorité des élèves pour ne pas dire l’ensemble qui vont poursuivre leur cursus scolaire à l’étranger sont accueillis par l’Algérie». Et d’ajouter que «l’autre raison qui nous incite à faire ce choix c’est qu’on ne dispose pas encore chez nous de lycées et l’expérience des collèges n’a pas encore été menée à son terme». «Le peu d’espagnol que j’avais appris est parti en fumée» avoue Lahbib Mohamed, 36 ans, enseignant d’arabe au tout premier collège de Dakhla baptisé «10 Mai» nom immortalisant la date de la création du Front Polisario. Formé à l’institut pédagogique de Béchar, il regrette de ne pouvoir «parler ni l’espagnol ni le français, eu égard au milieu social dans lequel j’avais évolué». Un autre atout que fait valoir le SG de l’enseignement de Dakhla : la baisse du taux d’analphabétisme. Selon lui, «il n’ y pas quelqu’un qui ne sait pas lire et écrire» et d’ajouter : «Seuls 2 ou 3 % sont analphabètes» de quoi justement faire pâlir d’envie les pays les plus développés. A ce propos justement, les démographes disent que la baisse de la natalité est étroitement liée à la généralisation de l’instruction.
Par : Larbi Graïne
Le Midi Libre, 16/6/2010

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