Par Ahmed Halfaoui
Il n’y a jamais loin de la politique à l’économie, surtout dans le système marchand qui gouverne la planète. Ainsi, Israël n’aurait jamais été créé sans le pétrole du Moyen-Orient ou du moins n’aurait jamais joui du soutien indéfectible que lui vouent les puissances occidentales. La politique organise, préserve et défend la gestion des intérêts stratégiques des puissances de l’argent, elle exprime les grandes orientations et les perspectives locales, régionales et mondiales de la façon la plus claire qui soit. Il n’y a rien à attendre des notions de droit, de justice ou de légalité internationale. Pas plus que de l’amitié entre nations. Les actes, les positions et les résolutions n’ont, dans le contexte actuel, que la valeur des dividendes qui peuvent être obtenus. Mais le voile des discours, des chartes et autres traités internationaux, fait illusion. Une illusion qui tend à agacer ceux-là mêmes qui l’ont conçue et entretenue. Elle les oblige à construire d’autres cadres qui leur permettent de vaquer à leurs affaires sans être dérangés par les gesticulations de ce qui appelé le Tiers Monde. Ces cadres sont eux-mêmes hiérarchisés. Il y a d’abord le Groupe des huit ou G8 avec les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, le Canada et la Russie. Il regroupe plus de 60% de l’économie mondiale. Ensuite, sous la poussée de pays dits émergents et de crises financières cycliques fut constitué le Groupe des vingt ou G20. Le G8, qui reste autonome, s’élargit occasionnellement à un certain nombre de pays, Chine, Brésil, Inde, Mexique, Australie, Corée du Sud, Turquie, Indonésie, Arabie saoudite, Argentine, Afrique du Sud, et Union européenne. Cette dernière est représentée par le Président du Conseil Européen et par celui de la Banque Centrale de l’UE. Y siègent aussi le FMI et la Banque mondiale. Le G20 représente plus de 90% de la production mondiale brute. Certains autres pays, comme l’Algérie, peuvent être invités à certaines sessions selon le poids qu’ils peuvent représenter localement dans la stratégie à concevoir. Ces Groupes, par leur existence, contreviennent gravement à la Charte des Nations unies, parce que les affaires du monde devraient dans les principes impliquer l’ensemble de la communauté internationale. Mais cela ne semble déranger personne, sauf les mouvements altermondialistes et une petite minorité de pays que des concertations qui engagent le destin de milliards d’êtres humains se tiennent entre quelques pays seulement et qui de surcroît détiennent l’essentiel des moyens économiques, financiers, technologiques et militaires.
Il y a toutefois une note d’espoir. La nature du système fait que la concurrence entre les membres de ces groupes peut jouer un rôle déterminant et empêcher une trop forte solidarité en leur sein.
L’Algérie, comme tout les pays économiquement dominés, peut dans ce cas trouver des marges de manœuvres suffisamment larges pour asseoir des politiques nationales tournées vers les dynamiques internes. L’actuelle situation économique de la France (premier partenaire du pays), par exemple, est une opportunité qui est déjà exploitée par le gouvernement Ouyahia, nouveau cours, et qui pourrait permettre d’aller plus loin dans la redéfinition des termes de l’échange entre les deux pays. La France, orgueilleuse, conquérante, a désormais une petite mine face à la puissance allemande, alors qu’en Afrique elle a perdu l’essentiel de ses parts de marché au profit de la Chine, de l’Inde et du Brésil. A ce titre, la place de la seule Afrique subsaharienne, dans les volumes d’échanges français, est tombée de 40% à seulement 2%. Le sommet France-Afrique de Nice est une tentative de se remettre en selle.
Avec l’Algérie, la France officielle et marchande, malgré des déclarations de bonnes intentions, semble ne pas mesurer le fossé creusé avec son partenaire. La Droite au pouvoir se repose sur des certitudes que les faits sont en train de démentir. Pour peu que la volonté du pouvoir algérien se confirme et prenne des allures d’une stratégie qui ne soit pas à court terme ou conjoncturelle. Une partie du patronat français semble avoir fait son deuil de la position léonine perdue. A en croire Jean-François Roubaud, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), «il y a beaucoup de parallèles à faire entre les entreprises algériennes et françaises…il y a de très fortes potentialités en Algérie mais, jusque-là, on ne travaille pas du tout assez ensemble. On vient vendre des produits, puis on s’en va. Ça, c’est pas intéressant». Toute l’exigence du gouvernement algérien est reprise, quoi que puissent en penser nos «experts en économie», par un acteur du libéralisme qui était censé, selon nos «experts», refuser les nouvelles règles d’échanges. Le déversoir des produits français et étrangers devient, comme par miracle, un système «pas intéressant».
Il reste beaucoup à creuser, en politique aussi. La non reconnaissance des crimes du colonialisme, la légitimation déguisée de ce même colonialisme et l’entretien de la confusion mémorielle sur ce sujet doivent cesser, pour donner la preuve d’un réel changement d’attitude et de rupture avec un passé reconnu comme odieux. Il suffit pour Sarkozy et ses partenaires politiques de répondre à l’appel lancé par des centaines d’historiens, d’intellectuels et d’associations. Il suffit de reconnaître comme le dit cet appel que «quelles qu’aient été les responsabilités de la société, c’est bien la puissance publique française qui, de 1830 à 1962, sous la Ve République, a conduit les politiques coloniales à l’origine de ces drames. Sans omettre la complexité des phénomènes historiques considérés, c’est bien la France qui a envahi l’Algérie en 1830, puis l’a occupée et dominée, et non l’inverse : c’est bien le principe des conquêtes et des dominations coloniales qui est en cause.» En admettant cela, la France officielle mettra fin à ce sinistre amalgame qui met au même niveau la violence de la répression coloniale et la violence de la résistance algérienne, qui donne le même poids, en 1945 à une centaine de morts européens qu’à celles des dizaines de milliers d’Algériens et qui exhibe le drame des rapatriés pour minimiser le drame des «indigènes».
En admettant cela, la France officielle fera taire les nostalgiques de l’Algérie française et donnera le gage de l’abandon définitif de sa volonte de domination.
Il y a encore d’autres attitudes françaises qui méritent d’être changées.
Au plan régional, libre au régime français de contracter les alliances qui lui plaisent. Mais la recherche de privilèges économiques ne peut se conjuguer avec des velléités d’hostilités. Et il se trouve que les intérêts stratégiques exprimés pour l’Afrique du Nord sont sans ambigüité et que l’Algérie est placée dans le camp des adversaires. Dans cet esprit, les entraves à la résolution onusienne de l’affaire du Sahara Occidental et les manœuvres pour imposer le fait accompli ne sont pas, comme une approche simpliste le laisserait croire, dues à «l’amitié» avec le Makhzen, mais relèvent surtout d’une volonté de puissance qui ne peut être impunément ignorée. Décidément, beaucoup de chemin reste à faire.
Les Débats, 9-15 mai 2010
Il y a toutefois une note d’espoir. La nature du système fait que la concurrence entre les membres de ces groupes peut jouer un rôle déterminant et empêcher une trop forte solidarité en leur sein.
L’Algérie, comme tout les pays économiquement dominés, peut dans ce cas trouver des marges de manœuvres suffisamment larges pour asseoir des politiques nationales tournées vers les dynamiques internes. L’actuelle situation économique de la France (premier partenaire du pays), par exemple, est une opportunité qui est déjà exploitée par le gouvernement Ouyahia, nouveau cours, et qui pourrait permettre d’aller plus loin dans la redéfinition des termes de l’échange entre les deux pays. La France, orgueilleuse, conquérante, a désormais une petite mine face à la puissance allemande, alors qu’en Afrique elle a perdu l’essentiel de ses parts de marché au profit de la Chine, de l’Inde et du Brésil. A ce titre, la place de la seule Afrique subsaharienne, dans les volumes d’échanges français, est tombée de 40% à seulement 2%. Le sommet France-Afrique de Nice est une tentative de se remettre en selle.
Avec l’Algérie, la France officielle et marchande, malgré des déclarations de bonnes intentions, semble ne pas mesurer le fossé creusé avec son partenaire. La Droite au pouvoir se repose sur des certitudes que les faits sont en train de démentir. Pour peu que la volonté du pouvoir algérien se confirme et prenne des allures d’une stratégie qui ne soit pas à court terme ou conjoncturelle. Une partie du patronat français semble avoir fait son deuil de la position léonine perdue. A en croire Jean-François Roubaud, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), «il y a beaucoup de parallèles à faire entre les entreprises algériennes et françaises…il y a de très fortes potentialités en Algérie mais, jusque-là, on ne travaille pas du tout assez ensemble. On vient vendre des produits, puis on s’en va. Ça, c’est pas intéressant». Toute l’exigence du gouvernement algérien est reprise, quoi que puissent en penser nos «experts en économie», par un acteur du libéralisme qui était censé, selon nos «experts», refuser les nouvelles règles d’échanges. Le déversoir des produits français et étrangers devient, comme par miracle, un système «pas intéressant».
Il reste beaucoup à creuser, en politique aussi. La non reconnaissance des crimes du colonialisme, la légitimation déguisée de ce même colonialisme et l’entretien de la confusion mémorielle sur ce sujet doivent cesser, pour donner la preuve d’un réel changement d’attitude et de rupture avec un passé reconnu comme odieux. Il suffit pour Sarkozy et ses partenaires politiques de répondre à l’appel lancé par des centaines d’historiens, d’intellectuels et d’associations. Il suffit de reconnaître comme le dit cet appel que «quelles qu’aient été les responsabilités de la société, c’est bien la puissance publique française qui, de 1830 à 1962, sous la Ve République, a conduit les politiques coloniales à l’origine de ces drames. Sans omettre la complexité des phénomènes historiques considérés, c’est bien la France qui a envahi l’Algérie en 1830, puis l’a occupée et dominée, et non l’inverse : c’est bien le principe des conquêtes et des dominations coloniales qui est en cause.» En admettant cela, la France officielle mettra fin à ce sinistre amalgame qui met au même niveau la violence de la répression coloniale et la violence de la résistance algérienne, qui donne le même poids, en 1945 à une centaine de morts européens qu’à celles des dizaines de milliers d’Algériens et qui exhibe le drame des rapatriés pour minimiser le drame des «indigènes».
En admettant cela, la France officielle fera taire les nostalgiques de l’Algérie française et donnera le gage de l’abandon définitif de sa volonte de domination.
Il y a encore d’autres attitudes françaises qui méritent d’être changées.
Au plan régional, libre au régime français de contracter les alliances qui lui plaisent. Mais la recherche de privilèges économiques ne peut se conjuguer avec des velléités d’hostilités. Et il se trouve que les intérêts stratégiques exprimés pour l’Afrique du Nord sont sans ambigüité et que l’Algérie est placée dans le camp des adversaires. Dans cet esprit, les entraves à la résolution onusienne de l’affaire du Sahara Occidental et les manœuvres pour imposer le fait accompli ne sont pas, comme une approche simpliste le laisserait croire, dues à «l’amitié» avec le Makhzen, mais relèvent surtout d’une volonté de puissance qui ne peut être impunément ignorée. Décidément, beaucoup de chemin reste à faire.
Les Débats, 9-15 mai 2010
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