Djelloul Malaika. Chargé des mouvements de libération dans les années 1960 et 1970 : « Mandela, Zuma, Cabral… mes amis, mes frères de combat ! »
Témoin privilégié de ce qu’était « la Mecque des révolutionnaires », Djelloul Malaïka nous replonge dans l’atmosphère d’Alger de l’époque, capitale des exilés politiques et des combattants pour la liberté.
Par Adlène Meddi
Quelque chose dans ses yeux gris-bleu brille toujours. Du haut de ses 83 ans, âge qu’il déclare avec une malice de vieux routier, l’homme dans sa villa à Bologhine sur la côte ouest d’Alger parle avec un calme déroutant. Pourtant, c’est une vraie légende. Djelloul Malaïka est l’ancien responsable au sein du FLN des mouvements de libération accrédités en Algérie dans les années 1960 et 1970. Il n’aime pas trop évoquer ses « missions secrètes » d’acheminement d’armes en Amérique latine et en Afrique pour soutenir les mouvements de libération. Juste une phrase : « On a réalisé des coups spectaculaires. » Il se veut modeste. Il préfère juste montrer sa dernière distinction, en juin 2009 : la médaille de Grand officier de l’Ordre de la Liberté de la République du Portugal pour son soutien et sa solidarité avec le Mouvement de libération du Portugal.
Comment s’est-il retrouvé, lui un ancien de l’ALN, qui sera plus tard vice-président de l’APN entre 1977 et 1992, à ce poste ? « J’étais de l’ALN, je ressentais le malheur des pays africains comme étant le nôtre, nous étions victimes du même système abjecte : le colonialisme. Il y avait une fraternité naturelle contre le colonialisme ! »
Le passeport algérien de Zuma
« Après le déclenchement de la Révolution algérienne, tous les peuples opprimés à travers le monde et particulièrement en Afrique ont été largement enthousiasmés par l’évolution de la guerre de Libération. Alger a ensuite ouvert ses portes pour recevoir les combattants africains, leur offrant une tribune, une formation politique, militaire et universitaire. Mais cela a commencé avant l’Indépendance : des militants de l’ANC, dont Nelson Mandela, du MPLA angolais, le PAIGC de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert, dont le grand leader était Amilcar Cabral, le Swapo de l’actuel Namibie, etc., sont venus à la frontière marocaine pour suivre une formation militaire.
Mandela, par exemple, est resté plusieurs jours avec les officiers de l’armée des frontières dans une ferme au Maroc, cédée par El Hadj Mustapha Bouabdallah (père de Wahid Bouabdallah, PDG d’Air-Algérie), transformée en caserne modèle. Par la suite, Olivier Tambo, qui deviendra le président de l’ANC jusqu’en 1991, venait fréquemment à Alger. L’Algérie a ouvert à l’ANC un bureau d’information dans un grand appartement à la rue Larbi Ben M’hidi, non loin de la place de l’Emir Abdelkader. Ce bureau était représenté par de grandes personnalités de la lutte contre l’apartheid comme Robert Reisha ou le responsable des relations extérieures de l’ANC, Johnny Makatini, entre autres.
A partir d’Alger, ils informaient l’opinion internationale sur les horreurs de l’apartheid et expliquaient les raisons de leurs justes luttes. Même l’actuel président Zuma répète toujours son attachement à Algérie. Il n’a jamais oublié qu’il voyageait avec un passeport algérien ! C’était courageux de la part de l’Algérie de donner un passeport d’un pays souverain à des militants étrangers qui étaient qualifiés par leurs ennemis de ‘‘hors-la-loi’’ ! D’ailleurs, c’est l’Algérie qui a remporté une magnifique victoire contre le régime de l’apartheid lorsque, présidente de l’Assemblée générale de l’ONU en 1974, représentée par le ministre des AE de l’époque, Abdelaziz Bouteflika, elle a réussi à exclure l’Afrique du Sud des travaux de l’AG onusienne !
Sur le plan militaire aussi, l’Algérie a joué un rôle important : plusieurs militants venaient secrètement en Algérie pour s’entraîner et rentrer en Afrique du Sud pour mener des opérations militaires d’envergure. Et quand Mandela a été libéré en 1990, j’ai été pris d’une joie immense ! Un bonheur ! Je l’avais rencontré quand il était venu à Alger en mai de la même année. » On se souvient de ces moments de retrouvailles entre Mandela et l’Algérie. Le héros sud-africain avait déclaré : « Je suis Algérien, je suis Arabe, je suis musulman ! », avant de demander des nouvelles de Ben Bella, celles des personnes qu’il avait connues au sein de l’ALN et du GPRA et dont il avait gardé les noms en mémoire après 26 ans de captivité, à savoir le « docteur Mostefaï » (Chawki) et « Djamel » (Cherif Belkacem). Il n’avait cessé aussi de rappeler qu’il a été « le premier Sud-Africain à avoir été entraîné aux armes en Algérie. Quand je suis rentré dans mon pays pour affronter l’apartheid, ajoute-t-il, je me suis senti plus fort ».
Pèlerinage à Alger
« A l’époque, l’ambiance était empreinte d’une profonde fraternité, c’était de vrais compagnons de lutte, comme des compatriotes, des frères. Lors d’une conférence de presse de Amilcar Cabral à la villa Boumaâraf, à Ghermoul, à Alger, siège des mouvements de libération en Algérie, il répondait à la question d’un journaliste américain sur l’engagement et l’aide de l’Algérie en ces termes : ‘‘Prenez un stylo et prenez note : les musulmans vont en pèlerinage à la Mecque, les chrétiens au Vatican et les mouvements de libération nationale à Alger !’’ J’étais à côté de lui. C’est un souvenir qui restera à jamais dans mon esprit. Après l’indépendance du Mozambique, le président Samora Machel – qui a suivi sa formation militaire à Cherchell et Bouguerra – a fait venir ses instructeurs algériens dans son pays et les a présentés à son peuple : ‘‘Voilà les hommes qui ont formé l’ensemble de nos militants !’’ »
Allô Lisbonne, ici Alger
Malaïka parle aussi du soutien de l’Algérie au MPLA angolais et aux mouvements en Guinée Bissau contre le colonialisme portugais. « D’ailleurs, au lendemain de l’Indépendance, l’Algérie a refusé d’établir des relations diplomatiques avec le Portugal du dictateur António de Oliveira Salazar et a offert l’asile politique aux militants politiques qui combattaient la dictature dans un local rue Aubert, à Alger. Tous les jours, ces militants s’adressaient d’Alger par la radio au peuple portugais expliquant que les militants africains n’étaient pas seulement contre le colonialisme, mais aussi contre les dictatures ! L’Algérie ne soutenait pas que les mouvements africains, nous aidions les combattants de la liberté partout, sans distinction, dans leurs luttes contre l’injustice. »
Qu’en reste-t-il ?
« Une position algérienne d’amitié avec tous nos frères africains. Ces liens très forts sont restés. Tous ces pays heureusement indépendants aujourd’hui entretiennent de très bonnes relations avec l’Algérie, mais malheureusement il reste sur le continent un pays colonisé : le Sahara occidental. D’ailleurs, tous nos frères africains ont tout de suite compris et soutenu le gouvernement de la République arabe sahraouie démocratique. Parce que en Afrique, nous sommes conscients que ce peuple lutte contre un colonialisme, le colonialisme marocain. Ce sentiment de soutien, de solidarité, c’est quelque chose qui est resté. »
Témoin privilégié de ce qu’était « la Mecque des révolutionnaires », Djelloul Malaïka nous replonge dans l’atmosphère d’Alger de l’époque, capitale des exilés politiques et des combattants pour la liberté.
Par Adlène Meddi
Quelque chose dans ses yeux gris-bleu brille toujours. Du haut de ses 83 ans, âge qu’il déclare avec une malice de vieux routier, l’homme dans sa villa à Bologhine sur la côte ouest d’Alger parle avec un calme déroutant. Pourtant, c’est une vraie légende. Djelloul Malaïka est l’ancien responsable au sein du FLN des mouvements de libération accrédités en Algérie dans les années 1960 et 1970. Il n’aime pas trop évoquer ses « missions secrètes » d’acheminement d’armes en Amérique latine et en Afrique pour soutenir les mouvements de libération. Juste une phrase : « On a réalisé des coups spectaculaires. » Il se veut modeste. Il préfère juste montrer sa dernière distinction, en juin 2009 : la médaille de Grand officier de l’Ordre de la Liberté de la République du Portugal pour son soutien et sa solidarité avec le Mouvement de libération du Portugal.
Comment s’est-il retrouvé, lui un ancien de l’ALN, qui sera plus tard vice-président de l’APN entre 1977 et 1992, à ce poste ? « J’étais de l’ALN, je ressentais le malheur des pays africains comme étant le nôtre, nous étions victimes du même système abjecte : le colonialisme. Il y avait une fraternité naturelle contre le colonialisme ! »
Le passeport algérien de Zuma
« Après le déclenchement de la Révolution algérienne, tous les peuples opprimés à travers le monde et particulièrement en Afrique ont été largement enthousiasmés par l’évolution de la guerre de Libération. Alger a ensuite ouvert ses portes pour recevoir les combattants africains, leur offrant une tribune, une formation politique, militaire et universitaire. Mais cela a commencé avant l’Indépendance : des militants de l’ANC, dont Nelson Mandela, du MPLA angolais, le PAIGC de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert, dont le grand leader était Amilcar Cabral, le Swapo de l’actuel Namibie, etc., sont venus à la frontière marocaine pour suivre une formation militaire.
Mandela, par exemple, est resté plusieurs jours avec les officiers de l’armée des frontières dans une ferme au Maroc, cédée par El Hadj Mustapha Bouabdallah (père de Wahid Bouabdallah, PDG d’Air-Algérie), transformée en caserne modèle. Par la suite, Olivier Tambo, qui deviendra le président de l’ANC jusqu’en 1991, venait fréquemment à Alger. L’Algérie a ouvert à l’ANC un bureau d’information dans un grand appartement à la rue Larbi Ben M’hidi, non loin de la place de l’Emir Abdelkader. Ce bureau était représenté par de grandes personnalités de la lutte contre l’apartheid comme Robert Reisha ou le responsable des relations extérieures de l’ANC, Johnny Makatini, entre autres.
A partir d’Alger, ils informaient l’opinion internationale sur les horreurs de l’apartheid et expliquaient les raisons de leurs justes luttes. Même l’actuel président Zuma répète toujours son attachement à Algérie. Il n’a jamais oublié qu’il voyageait avec un passeport algérien ! C’était courageux de la part de l’Algérie de donner un passeport d’un pays souverain à des militants étrangers qui étaient qualifiés par leurs ennemis de ‘‘hors-la-loi’’ ! D’ailleurs, c’est l’Algérie qui a remporté une magnifique victoire contre le régime de l’apartheid lorsque, présidente de l’Assemblée générale de l’ONU en 1974, représentée par le ministre des AE de l’époque, Abdelaziz Bouteflika, elle a réussi à exclure l’Afrique du Sud des travaux de l’AG onusienne !
Sur le plan militaire aussi, l’Algérie a joué un rôle important : plusieurs militants venaient secrètement en Algérie pour s’entraîner et rentrer en Afrique du Sud pour mener des opérations militaires d’envergure. Et quand Mandela a été libéré en 1990, j’ai été pris d’une joie immense ! Un bonheur ! Je l’avais rencontré quand il était venu à Alger en mai de la même année. » On se souvient de ces moments de retrouvailles entre Mandela et l’Algérie. Le héros sud-africain avait déclaré : « Je suis Algérien, je suis Arabe, je suis musulman ! », avant de demander des nouvelles de Ben Bella, celles des personnes qu’il avait connues au sein de l’ALN et du GPRA et dont il avait gardé les noms en mémoire après 26 ans de captivité, à savoir le « docteur Mostefaï » (Chawki) et « Djamel » (Cherif Belkacem). Il n’avait cessé aussi de rappeler qu’il a été « le premier Sud-Africain à avoir été entraîné aux armes en Algérie. Quand je suis rentré dans mon pays pour affronter l’apartheid, ajoute-t-il, je me suis senti plus fort ».
Pèlerinage à Alger
« A l’époque, l’ambiance était empreinte d’une profonde fraternité, c’était de vrais compagnons de lutte, comme des compatriotes, des frères. Lors d’une conférence de presse de Amilcar Cabral à la villa Boumaâraf, à Ghermoul, à Alger, siège des mouvements de libération en Algérie, il répondait à la question d’un journaliste américain sur l’engagement et l’aide de l’Algérie en ces termes : ‘‘Prenez un stylo et prenez note : les musulmans vont en pèlerinage à la Mecque, les chrétiens au Vatican et les mouvements de libération nationale à Alger !’’ J’étais à côté de lui. C’est un souvenir qui restera à jamais dans mon esprit. Après l’indépendance du Mozambique, le président Samora Machel – qui a suivi sa formation militaire à Cherchell et Bouguerra – a fait venir ses instructeurs algériens dans son pays et les a présentés à son peuple : ‘‘Voilà les hommes qui ont formé l’ensemble de nos militants !’’ »
Allô Lisbonne, ici Alger
Malaïka parle aussi du soutien de l’Algérie au MPLA angolais et aux mouvements en Guinée Bissau contre le colonialisme portugais. « D’ailleurs, au lendemain de l’Indépendance, l’Algérie a refusé d’établir des relations diplomatiques avec le Portugal du dictateur António de Oliveira Salazar et a offert l’asile politique aux militants politiques qui combattaient la dictature dans un local rue Aubert, à Alger. Tous les jours, ces militants s’adressaient d’Alger par la radio au peuple portugais expliquant que les militants africains n’étaient pas seulement contre le colonialisme, mais aussi contre les dictatures ! L’Algérie ne soutenait pas que les mouvements africains, nous aidions les combattants de la liberté partout, sans distinction, dans leurs luttes contre l’injustice. »
Qu’en reste-t-il ?
« Une position algérienne d’amitié avec tous nos frères africains. Ces liens très forts sont restés. Tous ces pays heureusement indépendants aujourd’hui entretiennent de très bonnes relations avec l’Algérie, mais malheureusement il reste sur le continent un pays colonisé : le Sahara occidental. D’ailleurs, tous nos frères africains ont tout de suite compris et soutenu le gouvernement de la République arabe sahraouie démocratique. Parce que en Afrique, nous sommes conscients que ce peuple lutte contre un colonialisme, le colonialisme marocain. Ce sentiment de soutien, de solidarité, c’est quelque chose qui est resté. »
El Watan, 11/5/2010
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