Retour sur Me Naciri, Hassan II, le trafic de drogue et Le Monde

Il y a quelques mois on pouvait lire dans Tel Quel un portrait assez flatteur de lactuel ministre de la justice, Me Mohamed Naciri, longtemps avocat du Palais et ce depuis Hassan II. Larticle soulignait lexcellente réputation professionnelle de Me Naciri père comme fils dailleurs, puisque son fils, Me Hicham Naciri, a une des meilleures réputations en tant que juriste daffaires ce dont je ne doute pas, les échos que jai recueillis allant unanimement dans le même sens. Sil est concurrencé par Mes Tber, Andaloussi ou Kettani (Ali et Azeddine) en terme de réputation, aucun dentre eux na sa proximité du Palais, et les affaires sensibles auxquelles il a été mêlées sont nombreuses.
Il en est une particulièrement intéressante: larticle du Monde en 1995 intitulé « Le Maroc, premier exportateur mondial de hachisch » et sous-titré « Un rapport confidentiel met en cause lentourage du roi Hassan II ». Voici les faits tels que résumés par la Cour européenne des droits de lhomme dans son jugement rendu le 25 juin 2002 dans laffaire Colombani contre France:

9. Lorsque le Maroc fit acte de candidature à lUnion européenne, la Commission européenne voulut, afin dapprécier cette candidature, être informée très précisément sur la question de la production de cannabis dans cet Etat et sur les mesures prises, conformément à la volonté politique du roi du Maroc lui-même, pour léradiquer. A cette fin, le secrétariat général de la Commission invita lObservatoire géopolitique des drogues (OGD) à réaliser une étude sur la production et le trafic de drogue au Maroc. Les enquêtes et rapports de cet observatoire, qui a cessé son activité en 2000, faisaient référence ; parmi les abonnés de ses publications figurent notamment le tribunal de grande instance et le parquet de Paris.
10. LOGD remit son rapport à la Commission européenne en février 1994. Ce document citait le nom de personnes impliquées dans le trafic de drogue au Maroc. Mais pour être plus efficace dans les discussions quelle devait entamer avec les autorités marocaines, la Commission demanda à lOGD détablir une nouvelle version du rapport, en supprimant le nom des trafiquants. Cette version expurgée du rapport initial fut publiée notamment dans un ouvrage diffusé par lOGD, « Etat des drogues, drogue des Etats », dans lequel un chapitre était consacré au Maroc. Le journal Le Monde avait évoqué cet ouvrage dans son édition datée du 25 mai 1994.
11. Quant à la version initiale, elle resta confidentielle pendant un certain temps, puis commença à circuler ; cest à lautomne 1995 que Le Monde en eut connaissance. Ce rapport se présentait sous forme de douze chapitres respectivement intitulés : 1. Le cannabis au Maroc dans son contexte historique, 2. Présentation générale du Rif, 3. Les caractéristiques de la culture du cannabis, 4. Répercussions socioéconomiques et zones de production, 5. Lextension des surfaces cultivées, 6. Le Maroc, premier exportateur mondial de hachisch, 7. Les voies du trafic, 8. Les réseaux, 9. Lémergence des drogues dures, 10. Largent de la drogue, 11. La « guerre à la drogue », et 12. Conclusions. Il était exposé quen dix ans les surfaces consacrées à la culture ancestrale du cannabis dans la région du Rif avaient été multipliées par dix et quà ce jour limportance de la production faisait « du royaume chérifien un sérieux prétendant au titre de premier exportateur mondial de hachisch ».
12. Dans son édition datée du 3 novembre 1995, Le Monde rendit compte de ce rapport dans un article publié sous la signature dEric Incyan.
13. Larticle était annoncé en première page sous le titre « Le Maroc, premier exportateur mondial de hachisch » et sous-titré « Un rapport confidentiel met en cause lentourage du roi Hassan II ». Assez bref (une trentaine de lignes sur deux colonnes), il résumait les termes du rapport de lOGD. En page 2 figurait un article plus développé (sur six colonnes) sous le titre « Un rapport confidentiel met en cause le pouvoir marocain dans le trafic du hachisch » et sous-titré « Selon ce document, commandé par lUnion européenne à lObservatoire géopolitique des drogues, le Maroc est le premier exportateur mondial et le premier fournisseur du marché européen. Il souligne la responsabilité directe des autorités chérifiennes dans ces activités lucratives ». Le contenu de larticle était en outre résumé dans un chapeau introductif ainsi libellé : « Drogues Dans un rapport confidentiel remis, en 1994, à lUnion européenne, et dont Le Monde a eu copie, lOGD indique que « le Maroc est devenu, en quelques années, le premier exportateur de hachisch dans le monde et le premier fournisseur du marché européen ». Cette étude met en doute la volonté des autorités chérifiennes de mettre un terme à ce trafic, malgré la « guerre à la drogue » quelles ont lancée, à lautomne 1992, à grand renfort de publicité. La corruption assure aux réseaux de trafiquants lappui de protecteurs, « du plus humble des fonctionnaires des douanes aux proches du Palais (&) »
14. Par une lettre du 23 novembre 1995, le roi du Maroc adressa au ministre français des Affaires étrangères une demande officielle de poursuites pénales contre le journal Le Monde. Cette demande fut transmise au ministre de la Justice, lequel saisit le parquet de Paris, conformément aux dispositions de larticle 48-5 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
15. M. Colombani, directeur de la publication du quotidien Le Monde, et M. Incyan, auteur de larticle, furent cités à comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris pour offense proférée à lencontre dun chef dEtat étranger.
16. Par un jugement du 5 juillet 1996, considérant que le journaliste sétait borné à citer sans attaque gratuite ni déformation ou interprétation abusive les extraits dun rapport dont le sérieux nétait pas contesté et quil avait par conséquent poursuivi un but légitime, le tribunal correctionnel estima que lintéressé avait agi de bonne foi et le relaxa, de même que M. Colombani.
17. Le roi du Maroc ainsi que le ministère public interjetèrent appel de cette décision.
18. Par un arrêt du 6 mars 1997, la cour dappel de Paris, tout en reconnaissant que « linformation réitérée du public par la presse sur un sujet tel que le trafic international de la drogue constitue dévidence un but légitime », estima que la volonté dattirer lat
tention du public sur la responsabilité de lentourage royal et sur « la bienveillance des autorités » en ce quelle impliquait « une tolérance de la part du roi » « nétait pas exempte danimosité » puisquelle se trouvait « empreinte dintention malveillante ». Les articles incriminés contenaient une « accusation de duplicité, dartifice, dhypocrisie constitutive dune offense à chef dEtat étranger ». La bonne foi du journaliste était exclue dans la mesure où il ne justifiait pas avoir « cherché à contrôler lexactitude du commentaire de lOGD » et quil sen était tenu à la version unilatérale de cet organisme « en se faisant le porte-parole dune thèse comportant de graves accusations » sans laisser planer aucun doute sur le sérieux de cette source dinformation. De plus, la cour dappel souligna que le journaliste navait pas cherché à contrôler si létude faite en 1994 était toujours dactualité en novembre 1995. Elle releva quil navait justifié « daucune démarche faite auprès de personnalités, de responsables, dadministrations ou de services marocains aux fins de recueillir des explications sur labsence de concordance entre les discours et les faits, voire simplement des observations sur la teneur du rapport de lOGDLivre blanc », publié par les autorités marocaines en novembre 1994, relatif à la « politique générale du Maroc en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et pour le développement économique des provinces du Nord ».
». En outre, lauteur sétait abstenu dévoquer lexistence dun «
19. Les requérants furent donc déclarés coupables doffense envers un chef dEtat étranger et condamnés chacun à payer une amende de 5 000 francs français (FRF) et à verser au roi Hassan II, déclaré recevable en sa constitution de partie civile, 1 FRF à titre de dommages-intérêts et 10 000 FRF, en application de larticle 475-1 du code de procédure pénale. La cour dappel ordonna en outre à titre de complément de réparation la publication dans Le Monde dun communiqué faisant état de cette décision de condamnation.
20. Les requérants se pourvurent en cassation contre cet arrêt.
21. Par un arrêt du 20 octobre 1998, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi ; elle approuva la cour dappel qui avait considéré que « le caractère offensant du propos tenait à la suspicion de la sincérité de la volonté même du roi du Maroc de mettre un terme au trafic de drogue dans son pays, et à limputation de discours pernicieux, les effets dannonce étant présentés comme nayant dautre but que de maintenir limage du pays », dautant que la juridiction dappel avait relevé que cette imputation de duplicité était répétée à deux reprises et constaté que dans le contexte de larticle présentant le Maroc comme le premier exportateur mondial de hachisch et mettant en cause la responsabilité directe du pouvoir marocain et de membres de la famille royale, cette insistance à attirer lattention du lecteur sur la personne du roi était empreinte de malveillance.

Larticle de Tel Quel reprend ce haut fait darmes de Me Mohamed Naciri, qui représentait Hassan II et le gouvernement marocain dans le procès en outrage intenté contre Jean-Marie Colombani, directeur de la publication du Monde, et Erich Inciyan, auteur de larticle:

Au début des années 1990, cest lui que Hassan II désigne pour attaquer en diffamation le quotidien français Le Monde, après que ce dernier a cité un rapport impliquant des membres de la famille royale dans le trafic de drogue. Dans la carrière de Naciri, cette affaire marque un tournant. La légende raconte que cest lui qui aurait convaincu le défunt monarque de réclamer seulement le franc symbolique. Cette attitude (Nous plaidons pour lhonneur) sera sans doute pour beaucoup dans la victoire retentissante que Naciri obtient contre le journal français de référence. Mieux : laffaire fait jurisprudence en France. Désormais, aucun journal reprenant un rapport potentiellement diffamatoire ne pourra se défausser devant la justice sur les auteurs du rapport. Une grande première qui ouvre définitivement les portes du Palais à lavocat casablancais.

Plus loin:

Affaire Le Monde. Sa victoire la plus retentissante
Dans un article paru dans lédition du 3 novembre 1995, le quotidien français Le Monde publie les détails dun rapport confidentiel de lObservatoire géopolitique des drogues, mettant en cause des membres de la famille royale marocaine. Problème : alors que le rapport taisait lidentité des personnes, le journaliste du Monde a choisi de les nommer. Hassan II porte plainte pour diffamation et réclame le franc symbolique. Cest la première grande affaire politique de Mohamed Naciri, avocat du roi du Maroc. Après avoir été débouté en première instance, Hassan II obtient gain de cause en appel. Le journal, ainsi que lauteur de larticle, sont condamnés à 5000 francs damende chacun, en plus du fameux franc symbolique réclamé par le monarque. Après la plaidoirie de Me Naciri, le président de la 11ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris a estimé quil y avait intention malveillante du Monde, reconnu coupable de duplicité, artifice, hypocrisie et offense envers le plaignant. Non seulement la victoire de Naciri est éclatante, mais elle fait jurisprudence en France. Pour Hassan II, cest un grand jour. Et pour Mohamed Naciri, le début de sa grande époque.

Seulement, le match judiciaire ne sest pas arrêté là, même si le Maroc nétait plus partie à laffaire. Invoquant en effet la Convention européenne des droits de lhomme (CEDH), Colombani et Inciyan allaient porter laffaire devant la Cour européenne des droits de lhomme, estimant leur condamnation pénale pour offense publique à chef dEtat étranger contraire à larticle 10 de la CEDH:

1. Toute personne a droit à la liberté dexpression. Ce droit comprend la liberté dopinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans quil puisse y avoir ingérence dautorités publiques et sans considération de frontière. (&)
2. Lexercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (&) à la protection de la réputation ou des droits dautrui (&)

Laffaire ainsi portée devant la Cour de Strasbourg (siège de la Cour européenne des droits de lhomme) consistait à déterminer la compatibilité de la condamnation pénale des intéressés avec le principe de la liberté dexpression. Le Maroc, qui était à lorigine de laction publique contre Le Monde et sétait constitué partie civile, avait obtenu la condamnation des plaignants Colombani et Inciyan par les tribunaux français – jusquà la Cour de cassation guère connus pour leur indépendance en matière politique ni pour une jurisprudence avant-gardiste en matière de liberté de la presse. Les plaignants allaient obtenir gain de cause.
Dans son jugement rendu le 25 juin 2002 dans laffaire Colombani contre France, la Cour européenne des droits de lhomme avait ainsi jugé, à lunanimité de ses sept juges qui la composaient dans cette affaire, que cette condamnation violait larticle 10 CEDH:

59. En lespèce, les requérants ont été condamnés pour avoir publié des propos offensant un chef dEtat le roi du Maroc , parce quils mettaient en cause la volonté affichée par les autorités marocaines, et au premier chef le roi, de lutter contre le développement du trafic de hachisch à partir du territoire marocain.
60. La condamnation sanalyse sans conteste en une ingérence dans lexercice par les requérants de leur droit à la liberté dexpression.
61. La question se pose de savoir si pareille ingérence peut se justifier au regard du paragraphe 2 de larticle 10. Il y a donc lieu dexaminer si cette ingérence était « prévue par la loi », visait un but légitime en vertu de ce paragraphe, et était « nécessaire, dans une société démocratique » (Lingens c. Autriche, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 103, pp. 24-25, §§ 34-37).
62. La Cour constate que les juridictions compétentes se sont fondées sur larticle 36 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et que leurs décisions étaient motivées, comme le soutient le Gouvernement, par un but légitime : protéger la réputation et les droits dautrui, en loccurrence le roi du Maroc qui régnait alors.
63. La Cour doit cependant examiner si cette ingérence légitime était justifiée et nécessaire dans une société démocratique, notamment si elle était proportionnée et si les motifs fournis par les autorités nationales pour la justifier étaient pertinents et suffisants. Ainsi, il est essentiel de rechercher si les autorités nationales ont correctement fait usage de leur pouvoir dappréciation en condamnant les requérants pour offense.
64. La Cour relève dabord que le public, notamment le public français, avait un intérêt légitime à sinformer sur lappréciation portée par la Commission européenne sur un problème tel que celui de la production et du trafic de drogue au Maroc, pays qui avait fait acte de candidature à lUnion européenne et qui, en tout état de cause, entretenait des relations étroites avec les Etats membres, en particulier avec la France.
65. La Cour rappelle quen raison des « devoirs et responsabilités » inhérents à lexercice de la liberté dexpression la garantie que larticle 10 offre aux journalistes en ce qui concerne les comptes rendus sur des questions dintérêt général est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique (Goodwin précité, p. 500, § 39, et Fressoz et Roire précité, § 54). A la différence des juges dappel et de cassation, la Cour estime quen lespèce le contenu du rapport de lOGD nétait pas contesté et que ce document pouvait légitimement être considéré comme crédible pour ce qui est des allégations litigieuses. Pour la Cour, lorsque la presse contribue au débat public sur des questions suscitant une préoccupation légitime, elle doit en principe pouvoir sappuyer sur des rapports officiels sans avoir à entreprendre des recherches indépendantes. Sinon, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde » (voir, mutatis mutandis, Goodwin précité, p. 500, § 39). Ainsi, la Cour estime que Le Monde pouvait raisonnablement sappuyer sur le rapport de lOGD, sans avoir à vérifier lui-même lexactitude des faits qui y étaient consignés. Elle naperçoit aucune raison de douter que les requérants ont agi de bonne foi à cet égard et estime donc que les motifs invoqués par les juridictions nationales ne sont pas convaincants.
66. De plus, la Cour souligne quen lespèce les requérants ont été sanctionnés car larticle portait atteinte à la réputation et aux droits du roi du Maroc. Elle relève que, contrairement au droit commun de la diffamation, laccusation doffense ne permet pas aux requérants de faire valoir lexceptio veritatis, cest-à-dire de prouver la véracité de leurs allégations, afin de sexonérer de leur responsabilité pénale. Cette impossibilité de faire jouer cette exception constitue une mesure excessive pour protéger la réputation et les droits dune personne, même lorsquil sagit dun chef dEtat ou de gouvernement.
67. Par ailleurs, la Cour relève que, depuis un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 25 avril 2001, les juridictions internes commencent à reconnaître que le délit prévu par larticle 36 de la loi du 29 juillet 1881 et son interprétation par les tribunaux constituent une atteinte à la liberté dexpression garantie par larticle 10 de la Convention. Ainsi, les autorités nationales elles-mêmes semblent admettre que pareille incrimination nest pas une mesure nécessaire dans une société démocratique pour atteindre un tel but, dautant plus que lincrimination de diffamation et dinjure, qui est proportionnée au but poursuivi, suffit à tout chef dEtat, comme à tout un chacun, pour faire sanctionner des propos portant atteinte à son honneur ou à sa réputation ou savérant outrageants.
68. La Cour observe que lapplication de larticle 36 de la loi du 29 juillet 1881 portant sur le délit doffense tend à conférer aux chefs dEtat un régime exorbitant du droit commun, les soustrayant à la critique seulement en raison de leur fonction ou statut, sans que soit pris en compte son intérêt. Elle considère que cela revient à conférer aux chefs dEtats étrangers un privilège exorbitant qui ne saurait se concilier avec la pratique et les conceptions politiques daujourdhui. Quel que soit lintérêt évident, pour tout Etat, dentretenir des rapports amicaux et confiants avec les dirigeants des autres pays, ce privilège dépasse ce qui est nécessaire pour atteindre un tel objectif.
69. La Cour constate donc que le délit doffense tend à porter atteinte à la liberté dexpression et ne répond à aucun « besoin social impérieux »cest le régime dérogatoire de protection prévu par larticle 36 pour les chefs dEtats étrangers qui est attentatoire à la liberté dexpression, et nullement le droit pour ces derniers de faire sanctionner les atteintes à leur honneur, ou à leur réputation, ou encore les propos injurieux tenus à leur encontre, dans les conditions de droit reconnues à toute personne. susceptible de justifier cette restriction. Elle précise que
70. En résumé, même si les raisons invoquées par lEtat défendeur sont pertinentes, elles ne suffisent pas à démontrer que lingérence dénoncée était « nécessaire dans une société démocratique ».la Cour considère quil nexistait pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les restrictions imposées à la liberté dexpression des requérants et le but légitime poursuivi. Dès lors, elle estime quil y a eu violation de larticle 10 de la Convention. Nonobstant la marge dappréciation des autorités nationales,

La Cour allouait à Colombani et Inciyan 4 096,46 ¬ pour dommage matériel, et 21 852,20 ¬ pour frais et dépens, mais ce jugement
na pas affecté la condamnation des plaignants par les tribunaux français et donc la victoire judiciaire du Palais et de Me Naciri aîné.
Premier résultat important de ce jugement, loffense publique à chef dEtat étranger a été abrogée par le biais de la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (Perben II).
Le jugement lui-même estime, contrairement à la Cour dappel de Paris et à la Cour de cassation, que « le contenu du rapport de lOGD nétait pas contesté et que ce document pouvait légitimement être considéré comme crédible pour ce qui est des allégations litigieuses » à savoir limplication de lentourage de Hassan II dans le trafic de drogue.
Et contrairement à ce qua écrit Tel Quel « Mieux : laffaire fait jurisprudence en France. Désormais, aucun journal reprenant un rapport potentiellement diffamatoire ne pourra se défausser devant la justice sur les auteurs du rapport. Une grande première » et « Non seulement la victoire de Naciri est éclatante, mais elle fait jurisprudence en France«  – cette jurisprudence était déjà établie précédemment. A titre dexemple, dans le « Traité de droit de la presse » de Henri Blin, Albert Chavanne et Roland Drago (Librairies techniques, Paris, 1969, pp. 232-233), citant ce que la loi et la jurisprudence considèrent comme une allégation ou imputation dans le cadre de la diffamation (pour rappel, la diffamation selon la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse – consiste en une allégation ou imputation dun fait déterminé visant une personne déterminée et portant atteinte à son honneur et à sa considération, article ), on peut lire ceci:

Le moyen le plus courant de lallégation est celui de la reproduction des écrits ou des propos dun tiers ou attribués à un tiers, voire même à la victime (arrêt de la Cour dappel de Dijon du 25 février 1931). Cette simple reproduction équivaut à la prise des propos à son compte personnel. Il pourra sagir de la reproduction dun écrit déjà publié ailleurs (arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation du 3 mai 1966). Larticle 29 de la loi de 1881 assimile du reste expressément la publication directe et la publication par voie de reproduction. Il en va de même pour la reproduction du récit dun tiers ou la lecture publique dune lettre missive, qui contient des imputations diffamatoires (arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation du 5 janvier 1950).

Mentionnons enfin lerreur suivante de Tel Quel: « Problème : alors que le rapport taisait lidentité des personnes, le journaliste du Monde a choisi de les nommer« . Faux: la version initiale du rapport mentionnait bel et bien des noms de personnalités marocaines impliquées dans le trafic de drogue, par la suite retirés du rapport rendu public par la Commission européenne. Ce nest donc pas comme si Le Monde avait de son propre chef rajouté des noms qui ne se trouvaient pas dans le rapport.
Tel Quel sest laissé abuser par sa source sur laffaire Le Monde sinon Mohamed Naciri du moins un partenaire ou salarié de son cabinet ou un confrère bien intentionné sur la portée de la victoire judiciaire indéniable remportée par lui au nom de son client. Avoir gagné en appel et en cassation dans les conditions de lespèce, face au alors fort prestigieux Le Monde et alors que le contexte de laffaire droit du public a être informé sur limplication de lentourage du pouvoir marocain dans le trafic de drogue sans compter le sérieux de la source initiale, un rapport commandité par la Commission européenne – lui était défavorable, cela est indéniablement un exploit en soi. Mais ça na sans doute pas paru suffisant pour son panégyrique: il a fallu monter de toutes pièces une victoire judiciaire non seulement habile mais en plus historique.
Or sil est bien un jugement qui a fait jurisprudence dans cette affaire cest bien le jugement de la Cour européenne des droits de lhomme Colombani contre France, où ni le Maroc ni Me Naciri aîné nétaient directement impliqués, qui a abouti à la suppression de linfraction doffense publique à chef dEtat étranger. Le Palais avait certes remporté une bataille, mais sa victoire a paradoxalement impliqué quil ne pourrait plus jamais bénéfcier du statut privilégié quaccordait le droit de la presse français aux chefs dEtat étrangers jusquen 2004. Si le Palais souhaite poursuivre en France un journal français qui manquerait dégard à son rang, il lui faudra le faire dans les mêmes conditions que nimporte quel justiciable.
Le droit est décidément assimilable à une technique et il est difficile à un journaliste den parler correctement sans y avoir été formé. Un peu de prudence aurait été pertinent ici.
Lectures complémentaires:
– « Production de cannabis et de haschich au Maroc : contexte et enjeux« , étude de Pierre-Arnaud Chouvy du CNRS (2008)

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