Par Carlos Ruiz Miguel, 11 mars 2010
Un sommet a été célébré à Grenade, le 6 et 7 mars, entre l’UE et le Maroc. Il était prévu comme un acte culminant d’un processus de rapprochement, ou plutôt d’une complicité, de l’UE avec le Maroc. Mais les violations du Maroc, contre sa propre population et contre la population sahraouie commencent à avoir un écho en Europe qui rend plus difficile à l’UE sa bénédiction « démocratique » à un régime despotique. Cependant, bien que le politique ne puisse être déjà faussé, la complicité économique continue d’être scandaleuse.
1. Le Statut Avancé : tous les avantages et aucun inconvénient pour le Maroc
Le 13 octobre 2008 a eu lieu 7ème Réunion du Conseil d’Association Maroc / Union l’Européenne. Dans cette réunion; il a été accordé d’élever les relations de l’UE avec le Maroc pour attribuer au pays nord-africain un « statut avancé ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Eh bien, c’est ce que dit le Ministère de la Présidence du Gouvernement espagnol dans sa note de presse sur le sommet [1] :
Il a comme horizon que l’UE et le Maroc puissent partager dans le futur « tout sauf les institutions ».
Et partager les institutions impliquerait :
– choisir quelques parlementaires dans quelques élections libres et avec toutes les garanties (un peu inimaginable au Maroc)
– se soumettre aux sentences du Tribunal de Justice de l’UE (quelque chose qui mettrait en question le pouvoir absolu de la monarchie qui contrôle aussi le pouvoir judiciaire.
Enfin, le « statut avancé » cherche quelque chose opposé à l’essence de l’UE : donner un traitement privilégié à un pays non démocratique. De là le besoin de « justifier » ce traitement avec une présentation du Maroc comme un pays dans lequel « des réformes » sont en cours.
2. Le « Statut avancé, une déclaration d’intentions qui n’existe pas, mais qui cache les relations qui, en effet, existent.
Quand on discute sur le « statut avancé » il convient de remarquer que le « statut avancé » n’existe pas. C’est ce que les classiques nommaient un « flatus vocis ». Le président de l’UE dans ses « Observations » après le sommet de l’UE avec le Maroc a été très clair : c’est un « document conjoint ». Ou bien, pour qu’il soit clair : ce n’est pas un traité international. Ce n’est pas un instrument juridique et, donc, il n’est pas en vigueur. Mais ce qui existe, effectivemet, ce sont plusieurs conventions et normes juridiques qui déploient continuellement son efficacité :
– L’accord d’association entre l’UE et le Maroc de 1996 [2], qui est un traité international entré en vigueur en 2000; et
– Le Plan d’Action Conjoint de la Politique de Voisinage Européen de 2005 [3], qui est une convention internationale qui a été renforcée par le Règlement (CE) n º un 1638/2006, qui prévoit l’établissent des dispositions générales relatives à la création d’un Instrument Européen de Voisinage et d’Association [4].
Comme souligné par Kristina Kausch, le Plan d’Action essaie de pousser des réformes supposées « dans des endroits soigneusement choisis, sans que la distribution de pouvoir (au Maroc) ne soit affectée » de [5].
3. L’UE continue de financer l’occupation marocaine du Sahara
En effet, l’application de l’instrument de voisinage a été utilisée pour verser au Maroc une quantité énorme d’argent. Comme dévoilé par la Commission Européenne dans un communiqué de presse du 5 mars [6] :
Le Maroc est déjà le premier bénéficiaire dans la région des fonds européens assignés aux pays de la politique de voisinage avec une dotation de 654 millions d’euros pour la période 2007-2010. Afin d’aider le Maroc dans cette nouvelle étape statutaire de la relation bilatérale, l’UE va augmenter son aide au Maroc pour la période 2011-2013.
À cet argent il convient d’ajouter les 120 millions d’euros que l’UE donne au Maroc par les quatre ans en vigueur (2007-2011) de l’accord de pêche de 2006 [7]. Il est important de rappeler que cet accord de pêche a été déclaré illégal par les services juridiques du Parlement Européen après avoir inclus les eaux du Sahara Occidental sans avoir consulté la volonté du peuple sahraoui et sans qu’il bénéfice la population sahraouie[8].
Quel va être cette aide pour 2011-2013 ? L’agence officielle marocaine de presse le révèle dans une dépêche le 2 mars [9] :
Le Maroc bénéficiera d’un budget de 580,5 millions d’euros pour la période 2011-2013 dans le cadre de la politique européenne de voisinage (PEV), a annoncé, aujourd’hui mardi, la Commission Européenne (CE). Plus de 5,7 milliards d’euros seront destinés par l’Union Européenne à l’ensemble des partenaires de la PEV, avec 580 millions pour le Maroc, ajoute la même source.
Deux sont les hypothèses complémentaires entre elles :
– d’un côté, cet argent est en train d’être utilisé pour financer l’occupation du Sahara Occidental, dont le prix ne peut pas asssumé par le Maroc en solo;
– Ce montant d’argent, comme constaté par chacun, n’a pas servi à améliorer les conditions de vie des Marocains. Où est-il , donc?
– d’un autre côté, étant donnée le manque absolu de contrôle européen de la gestion et la destination de ces fonds, non seulement il est possible qu’il soit dévié pour financer l’occupation du Sahara, mais il est aussi possible qu’il soit utilisé comme des « retro-commissions ». Qu’est-ce que cela signifie ? Eh bien, quelque chose de très simple : 1) l’UE donne un argent public à la monarchie alaouite; 2) la monarchie reste avec une partie; 3) mais la monarchie doit, après, réintégrer une partie comme argent sale qui peut être utilisée pour l’enrichissement personnel comme pour le financement de partis politiques en Europe.
Il convient d’avoir ces idées d’une façon claire pour savoir contre quoi il faut protester si vraiment on veut mettre fin à l’occupation …
4. Mais le sommet reste politiquement dévalué
Politiquement, le sommet a été un échec annoncé. Et pour vérifier cela, il suffit d’analyser les deux délégations. De la part du Maroc, l’absence du monarque absolu, Mohamed VI, révélait que ce pays ne pouvait pas ou ne voulait pas donne
r l’importance maximale à la réunion. De la part de l’UE, les absences semblaient retentissantes. Non seulement du « ministre » européen des Affaires Etrangères, Catherine Ashton, mais aussi de tous les premiers ministres et chefs d’État, excepté Rodríguez Zapatero, ce qui ne collait pas avec le discours à propos de la « grande importance » que « l’Europe » donne au Maroc.
5. Les Droits Humains, des invités inexcusables du sommet avec le Maroc
La comédie intitulée « Statut avancé » requérait un scénario selon lequel le Maroc « mérite » le « statut avancé » parce qu’il a fait de grands « progrès » en démocratie, en État de Droit et en droits de l’homme. Cependant, depuis qu’en octobre 2008 l’UE a attribué à la relation avec le Maroc l’étiquette de « statut avancé », le régime de Mohamed VI s’est senti grand et a augmenté la répression à l’intérieur du Maroc et dans les territoires occupés du Sahara Occidental. Les rapports internationaux qui témoignent de ce processus de détérioration des droits de l’homme au Maroc et au Sahara Occidental sont constants. Et les victimes de cette détérioration étaient présentes à Grenade.
D’un côté, Aminatou Haidar est apparu à Grenade, la victime la plus connue des violations de Mohamed VI contre les droits de l’homme au Sahara Occidental. Ignacio Camacho, l’ex-directeur d’ABC, l’a bien dit : Il est plus que prouvé que la déportation de Haidar a été une grave erreur du Makhzen qui va lui coûter très cher [10] :
Aminatou a gagné beaucoup plus qu’une bataille de dignité; elle a rééquilibré un pouls politique et diplomatique que son côté avait pratiquement perdu.
Le chroniqueur et ex-directeur d’ABC Ignacio Camacho s’est montré beaucoup plus perspicace que l’éditorialiste du même journal qui, avec une confusion pathétique de désirs et de réalité, a affirmé le 19 décembre [11] que :
Son geste (de Haidar) peut paraître digne d’éloge, mais il reste à voir s’il va être utile pour la cause de l’indépendance du Sahara Occidental.
D’un autre côté, à Grenade, étaient présents les journalistes et autres personnes marocaines qui ont témoigné de la répression aveugle et brutale de la liberté publique au Maroc contre les Marocains et pas seulement au Sahara Occidental et contre les sahraouis [12].
De la sorte, la mise en scène préparée par la Moncloa est restée complètement démontée. Pour s’en assurer, il suffit de relever que dans la note de presse sur le sommet émise par le Ministère de la Présidence il n’y a pas d’allusion aux droits de l’homme [13]. Cependant, le communiqué conjoint final [14] n’a pas pu les négliger. Avec un langage diplomatiquement codifié il a signalé que :
L’UE salue les réformes entreprises par le Maroc ces dernières années dans ce cadre, mais elle souligne l’importance de poursuivre le processus de réformes législatives, politiques et institutionnelles spécialement en matière de justice et de liberté d’expression, de presse et d’association.
Mais, si quelqu’un n’a pas bien compris, c’était le président de l’UE qui dans ses « Observations » publiées le 7 mars sur le sommet [15] a été accablant au sujet des droits de l’homme au Maroc :
J’ai clairement exprimé aussi notre volonté de voir des progrès dans le respect de la liberté fondamentale et des droits de l’homme pour que ces droits soient assurés à tous les ciotyens,
comme dans le Sahara Occidental :
Nous avons aussi discuté de la question du Sahara Occidental, (…) l’Union Européenne continuera d’être active sur le front des aspects humanitaires du conflit. Nous désirons voir des améliorations dans la situation des droits de l’homme dans ce contexte et dans la situation de ses défenseurs.
6. Conclusion
Le sommet de Grenade n’a pas accompli les attentes politiques du Maroc. Le discours officiel européen envers le Maroc s’est endurci et il est moins complaisant que lorsque le statut avancé de ce pays avec l’UE a été proclamé en octobre 2008. Il n’y a aucun indice qui permet de penser que ce « statut avancé » va se concrétiser dans un futur proche. Même sa viabilité est discutable dans le moyen terme si nous tenons en compte qu’un aspect central du même est l’établissement d’une clause [16] de réadmission d’émigrants d’états tiers similaire à celle que l’Espagne a signé avec le Maroc en 1992 … mais que le Maroc refuse d’accomplir jusqu’à présent!
Cependant, tout semble indiquer que les relations économiques continuent comme dans le passé. Même si l’Accord de pêche (120 millions d’euros dans 4 ans pour le Maroc) n’ pas été traité, l’UE garde le Maroc comme le premier pays du monde en quantité de fonds perçus à travers l' »instrument de voisinage ». La disparité entre la divergence politique et la complicité économique, arrivera-t-elle à provoquer une tension de rupture ?
Notes :
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