Sahara Occidental: entre guerre froide et guerre économique

Les documents déclassés par Washington ont permis de connaître ce que nous savions déjà sans constatation officielle: que l’invasion du Sahara Occidental par le Maroc avait son facteur déterminant dans l’analyse géostratégique faite, à l’époque, par les Etats-Unis et qui les a amenés à soupeser les variables qui peuvent influer d’une manière décisive sur l’équilibre régional :
1) Les événements politiques au Portugal ouvraient une interrogation sur l’opérativité future de la base des Açores et, en conséquence, le contrôle en profondeur sur l’Etroit de Gibraltar. 
2) L’incertitude créée en Espagne par la maladie du général Franco accentue le risque d’instabilité au nord du Détroit par un changement incertain du régime politique. 
3) La crainte d’une éventuelle expansion de l’idéologie socialiste algérienne. 
4) Les richesses en pétrole et en phosphates que le territoire possède. Les EU et le Maroc sont les plus grands producteurs mondiaux de ce dernier, et l’uranium peut être obtenu à partir de l’acide phosphorique. 
Ces quatre facteurs sont orientés par le directeur adjoint de la CIA, Vernon Walters, ami personnel de Hassan II depuis 1942, vers une seule direction : la stabilité du Méditerranée occidental et la liberté de mouvements de la VI Flotte, essentiel pour le maintien des intérêts des EU au Proche Orient, passent par le renforcement du Maroc sur le plan économique et militaire, avec la collaboration de la France, au détriment de l’Algérie pour ainsi obtenir que le contrôle immédiat de la côte atlantique nord-africaine appartienne au royaume alaouite dans le cas où l’Espagne et le Portugal sombreraient dans l’instabilité. 
La « Marche Verte » est organisée avec l’argent saoudien par des agents de la CIA et avec l’accord du Secrétaire d’État, H. Kissinger, dès que la collaboration de la France a été obtenue. L’Espagne ne présente pas de problèmes puisque le plus grand obstacle était Franco qui lorsqu’il a été informé par Arias Navarro, dans un de ses moments de lucidité, a donné l’ordre de déclarer la guerre au Maroc. Quelques minutes après, il perd connaissance et Navarro, avec la collaboration de Carro et Solís ignorent son ordre et s’apprêtent à suivre les instructions de l’ami américain pour abandonner le Sahara. Au préalable, Cortina Mauri, ministre des Affaires Etrangères, avait été opportunément écarté de cette affaire et substitué dans la gestion de ce dossier par Solís Ruiz, qui en plus de ministre dans le dernier gouvernement de la dictature assumait la représentation des intérêts économiques du roi du Maroc en Espagne.
En tant que Chef d’État intérimaire, le prince Juan Carlos ne s’en est bien tiré puisque, dans son voyage éclair à El Aaiun, il arrive, avec facilité, à convaincre les commandements militaires de la fermeté du gouvernement et de la nécessité de résister face aux menaces marocaines, tandis qu’il négociait avec Hassan II, à l’aide des bons offices de Vernon Walters, le retrait des troupes espagnoles et l’annexion de l’ancienne province espagnole au royaume du Maroc. 
En vertu du traité de Madrid, l’Espagne cède l’administration du Sahara Occidental au Maroc et à la Mauritanie avec l’engagement des nouvelles puissances colonisatrices d’organiser un référendum dans lequel les sahraouis puissent choisir leur destin final. Dès que l’Espagne abandonne le territoire, en février 1976, une guerre de résistance est enclenchée par le Front Polisario qui empêche le contrôle effectif du territoire et oblige la Mauritanie à se retirer de la région de Rio de Oro en 1979. 
L’accord Tripartite de Madrid, après avoir laissé la porte ouverte au référendum, permet à l’Espagne et l’ONU de sauver la face. La première par son obéissance aux résolutions décolonistrices du Conseil de Sécurité, même si elle a abandonné les sahraouis à leur sort, et la deuxième pour avoir gardé sur papier un des principes de la Charte de San Francisco: le droit inaliénable des peuples à l’autodétermination.
La stratégie de Kissinger adoptée par le Président Gerald Ford, avec le temps, s’est avéré erronée. Les prévisions pour l’hégémonie marocaine au Maghreb n’ont pas eu lieu grâce à l’esprit de résistance démontré par les sahraouis. La guerre du Sahara est devenue une dalle pour le développement du Maroc qui, impuissant, a vu comment, en plus de ne pas être capable de contrôler tout le territoire, ses politiques de colonisation et d’intégration se tournaient simplement en répression et torture contre ceux qui n’acceptaient pas de se soumettre à lui.
Les causes objectives qui ont permis l’invasion du Sahara Occidental ont disparu : 
1) L’hypothèse la plus dangereuse qui contemplait l’instabilité de l’Espagne n’a pas eu lieu. 
2) Avec la fin de la guerre froide, la nouvelle stratégie des intérêts économiques américains écarte la méthode de privilégier un pays maghrébin au détriment de l’autre, au lieu de chercher l’équilibre régional par la voie de la compréhension et de l’accès libre aux matières premières existantes.

3) Aujourd’hui, la puissance d’un pays réside dans la stabilité de son système politique, sa force économique et militaire, et sa capacité de faire face à tous les risques potentiels tels que le terrorisme. Ces nouvelles données font de l’Algérie la première puissance de la région. 
4) L’économie marocaine étant sous l’emprise des sociétés françaises et européennes, la politique économique des EU s’oriente vers l’Algérie. 
Si la politique parrainée par les EU était basée sur la défense de ses intérêts en Méditerranée, celle de l’Espagne était le résultat de la lâcheté d’une classe dirigeante lors des derniers jours de la dictature franquiste. Ce qui est curieux c’est que le dictateur était le seul qu’on ne pouvait pas accuser de lâche. Les autres personnages impliqués dans la vente du Sahara Occidental ont été généreusement payés pour leur collaboration en argent comptant, en pouvoir ou les deux choses à la fois. En détriment, bien sûr, du prestige international de l’Espagne et de la vie de milliers de sahraouis.
Même si la classe politique espagnole émergente n’a pas fait mieux, malgré la position initiale du Parti Socialiste Espagnol favorable au droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, la diplomatie espagnole s’en est progressivement éloignée en assumant, avec le sponsoring français, les thèses favorables au Maroc.
Le Président français actuel si sensible à la souffrance des infirmières bulgares, des droits de l’homme en Chine, du destin des moines de Thibérin, s’active énergiquement en faveur des thèses de Mohamed VI malgré le fait que son pays est accusé par les principales organisations de défense des droits de l’homme de pratiquer d’une manière systématique la torture, les séquestrations et les disparitions dans les territoires occupés du Sahara Occidental. 
Cependant, l’ONU, pendant toutes ces années, est restée ferme dans sa reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, mais, sous la pression de l’administration Bush et de l’Elysée, elle s’est montrée trop compréhensive avec les tactiques dilatoires et l’inaccomplissement des accords de Madrid. L’avant-dernier tour joué au peuple sahraoui a été le rapport de Peter van Walsun, l’ex-envoyé spécial du Secrétaire Général Ban Ki Moon, en encourageant les sahraouis à accepter l’offre marocaine d’une large autonomie à l’intérieur du royaume marocain. Mais, le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, reconnu par toutes les résolutions du Conseil de Sécurité, ne peut pas être escamoté sur la base d’une offre unilatérale du Maroc dont le but unique est de contourner une consultation acclamée par toute la communauté internationale. 
En outre, Peter van Walsum devrait savoir que l’application d’une autonomie authentique dans le royaume alaouite est impossible, puisqu’il s’agit d’un régime autoritaire dans lequel les lois sont dictées par le palais royal ainsi que les sentences, et où le roi communique au ministre de l’intérieur, chaque fois qu’il y a des élections générales, combien de sièges il doit donner à chaque parti politique. 
Par conséquent, pour que Mohamed VI puisse offrir une autonomie il doit, avant,  changer toute la superstructure de l’État. Dans les conditions actuelles, cette offre n’est qu’un exercice rhétorique, l’autonomie étant contre la nature-même du régime. N’oublions pas que le peuple du Rif n’attend que cela depuis des années. 
Les effets négatifs de la guerre sur le Maroc commencent à se faire sentir sur la sphère internationale. Récemment, des faits de grande importance sont à souligner. Le premier, les déclarations de l’ambassadeur sortant des EU à Alger : « L’administration nord-américaine n’a pas l’intention de faire pression sur le Front Polisario pour qu’il accepte la proposition d’autonomie (…) Les EU souhaitent une solution pragmatique sous les auspices de l’ONU (…) les EU ont favorablement accueilli les idées contenues dans la proposition sahraouie ». 
Le deuxième a été la pétition réalisée par de nombreux parlementaires européens, dans l’Assemblée Nationale française, pour que la France respecte le droit d’autodétermination du peuple sahraoui à la veille de la présidence française de l’UE. 
De plus en plus de voix se lèvent au sein de l’Union Européenne pour  protester contre la répression marocaine dans le territoire sahraoui. Des faits qui montrent qu’à chaque jour qui passe, l’occupation marocaine devient de plus en plus contestée à cause des violations systématiques des droits de l’homme.

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