Il faut être d’une grande naïveté pour croire que les relations entre l’Algérie et la France peuvent être, d’abord, autre chose que des relations d’intérêts, comme il le serait de le croire pour les relations entre toutes les nations du monde. Pourtant, dans le langage officiel, c’est souvent, pour ne pas dire toujours, que les brouilles et les retrouvailles des deux pays sont inscrites sur le registre affectif.
Il y a ce moment où ce mot de Giscard d’Estaing «La France historique rencontre l’Algérie indépendante», et puis il y a eu ce projet de traité d’amitié né sous l’ère Chirac après sa visite haute en couleur en 2003. Ce traité stipulait : «La relation d’amitié et de confiance que la France et l’Algérie entendent établir entre elles se doit d’être à tous égards exceptionnelle et exemplaire. Dans cette perspective, elles conviennent de l’élaboration et de la finalisation d’un traité qui consacrera leur volonté de mettre en place un partenariat d’exception dans le respect de leur histoire et de leur identité.» Le «respect de leur histoire», une formule en kaléidoscope, faite de telle sorte qu’on serait bien en peine d’en donner un contenu qui plaise à la victime et au bourreau.
Des turbulences, qui en surface ont des allures officielles de contentieux sur le mode de lecture des effets de la colonisation sur l’Algérie vont très tôt modérer les élans vers un rapprochement.
L’arrivée au pouvoir de l’exubérant Sarkozy va assez rapidement remettre à plat toutes les données. Chirac avait bien stigmatisé la France à propos des persécutions des juifs. L’Algérie met dans la balance les crimes du colonialisme et demande la repentance. En face, ce sont les louanges à ses «bienfaits» qui sont le plus scandés par les cercles du pouvoir. Depuis, rien ne va plus. Sauf quand il s’agit du commerce au profit de la France.
En fait, dès le début des années 1990, les gouvernements français successifs ont cru que leur ancienne colonie avait changé dans le sens qu’ils voulaient et que leur zone d’influence allait s’en enrichir. L’Algérie allait s’inscrire naturellement dans le giron de la Françafrique. Libéralisée, politiquement lissée, elle ne posera pas de problèmes à son intégration.
Le passif n’étant pas pris en compte, l’arrogance est pour beaucoup dans la surestimation par l’Hexagone de ses capacités à soumettre l’Algérie. Il y a aussi cette prétention à considérer l’Afrique du Nord comme sa chasse gardée, en souvenir du rôle qui lui a été délégué par les Etats-Unis dans cette région.
Nous ne préjugeons pas de ce qui aurait pu être obtenu si l’Algérie se trouvait dans une situation de grande fragilité économique et dans un isolement international étouffant, mais la France ne veut rien lâcher de ses prétentions et ne rien modifier de sa politique régionale. Elle implantera une usine de construction automobile au Maroc et voudra vendre ses voitures en Algérie et avec les meilleures conditions du marché. Elle soutient sans défection la colonisation du Sahara Occidental et voudrait que ses engins de travaux publics en fin de vie soient déversés sur les chantiers algériens.
François-Xavier Verschave, le ciseleur du mot de l’ancien président de la Côte d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny qui, le premier, utilisa l’expression «France-Afrique» en 1955, nous dit : «La Françafrique, c’est comme un iceberg. Vous avez la face du dessus, la partie émergée de l’iceberg : la France meilleure amie de l’Afrique, patrie des droits de l’homme, etc. Et puis ensuite, vous avez 90% de la relation qui est immergée : l’ensemble des mécanismes de maintien de la domination française…» D’après le même auteur, la France cherche avant tout à «assurer la place de l’État français au niveau international, grâce à une «sphère d’influence» en Afrique francophone garantissant un nombre important de votes à l’ONU et un accès privilégié aux matières premières stratégiques, fort nombreuses dans la région, soit l’ «exploitation des rentes» .Ce que l’Algérie a de toute évidence refusé d’offrir selon les clauses souhaitées.
Cette volonté d’hégémonie se déploie aussi sur le terrain de «la défense de la francophonie contre le développement de la culture et de la langue anglo-saxonnes dans le monde.
Il y a encore et surtout, sous la surface, ces réseaux qui travaillent à la permanence de la mainmise sur les politiques des Etats et sur leur mode de gouvernance.
L’histoire sanglante du colonialisme, si elle a à chaque occasion été mise sur le tapis, constitue en fait l’expression ultime du problème et il n’y a pas d’expression de rechange. Les faits ne sont pas anodins et ne sont pas d’ordinaires péripéties entre Etats aux exigences équilibrées. Il s’agit d’une démarche néocolonialiste mise en œuvre contre un pays considéré comme un vassal potentiel, et ce pays résiste. Les réactions aux dernières mesures algériennes prises dans le cadre de la loi de finances ont plutôt ressemblé à une réponse à un fait accompli, mais la décision de classer l’Algérie dans une liste de pays à risque est une confirmation de la véritable attitude française. Cette décision qui, signalons-le en passant, ne concerne ni le Maroc, ni la Tunisie, ni la Mauritanie (même si elle est copiée sur celle d’Obama) ne peut être justifiée que par le refus français d’établir des relations équitables et respectueuses de la souveraineté du partenaire. Elle ne relève pas, de ce fait, d’une attitude récente, parce qu’on ne passe pas d’un projet de traité d’amitié à une mise au ban.
Le tout est de mesurer jusqu’où cela va aller et quelles sont les réponses à apporter à cette atteinte à la dignité des citoyens algériens. Notre diplomatie trouve la décision «inappropriée» et lui cherche des «explications», alors qu’elle découle du droit léonin que se sont arrogé quelques puissances, du simple fait qu’elles sont des puissances. Il est possible que les USA paniquent et que dans le mépris dans lequel ils tiennent nos contrées, ils aient jugé utile de se protéger par une mesure aussi ridicule qu’inefficace, mais venant de Sarkozy, le message est clair. Il a suivi Bush sans vergogne, il ne lâchera pas une occasion pour faire mal et négocier en bonne position.
La réponse à donner ne doit donc pas être diplomatique mais doit être «appropriée» à l’objectif que la décision a visé. Ne rien céder à la Françafrique et les Sarkozy-Hortefeux en auront pour leur calcul.
En attendant que la France officielle traite les morts et les suppliciés de la longue tragédie d’un peuple avec, au moins, les égards dus à des êtres humains. En attendant qu’elle accepte que l’indépendance des pays et que leur souveraineté peut être une réalité et que les exceptions ne sont pas la règle. Les IDE français peuvent rester là où ils sont.
D’autant qu’on croit savoir que, c’est bien vrai, Ouyahia III a décidé de ne plus les attendre, eux qui ne sont jamais venus qu’en miettes, et de leur faire passer plusieurs conditions s’ils se présentent.
On croit, enfin, savoir que ça rue pas mal dans les brancards dans les milieux d’affaires de là- bas.
Source : MULHOUSE TV
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