Entretien avec Moha Boudhan
Lassociation « Identité amazighe » a rendu public le 4 octobre 2008 un document qui apporte du nouveau dans le paysage politique amazigh. Intitulé « Pour un Etat qui tire son identité de la terre amazighe au Maroc », le document déplace, pour la première fois dans lhistoire du mouvement amazigh contemporain, la question de lidentité au niveau de la notion de lEtat et du pouvoir politique en prônant une « réamazighation » de lEtat.
Nous avons entretenu, à ce sujet, à Selouan au Nord de Tamazgha occidentale, Moha Boudhan, lun des membres de cette association et directeur du mensuel amazigh Tawiza.
Entretien.
Tamazgha.fr : Où en est le combat amazigh à Tamazgha occidentale ?M. Boudhan :
On peut dire, sans crainte derreur, quavec la création de lIRCAM (Institut royal de la culture amazighe), le 17 octobre 2001, le combat amazigh, si lon veut continuer à lappeler ainsi, a été « intégré » avec succès à la nouvelle « politique berbère » inaugurée par le dit institut, ce qui lui a fait, bien sûr, perdre beaucoup de sa combativité.
En effet, le pouvoir a magnifiquement réussi à apprivoiser le Mouvement amazigh et à le vider de son contenu politique qui dérangeait énormément le pouvoir arabiste du Maroc, en lui donnant, grâce à lIRCAM, une orientation « culturaliste » où les revendications amazighes portent sur la culture, la langue, la poésie, les contes, la chanson, le folklore& et non sur le pouvoir politique, qui continue à être arabe sur une terre amazighe sans être contesté par le Mouvement amazigh, avec pour corollaire lexclusion politique permanente de lamazighité sur sa propre terre. Ce qui constitue lessence de la nouvelle « politique berbère » de la « nouvelle ère » au Maroc : vous, Imazighen, « faites » la culture mais ne faites pas la politique réservée aux seuls Arabes.
LIRCAM, représentant la nouvelle « politique berbère » du pouvoir, a réussi donc lapprivoisement et la « culturalisation » la de la cause amazighe, cest-à-dire sa dépolitisation, en agissant selon les éléments suivant :
– « Décapiter » les « têtes » du Mouvement amazigh en les nommant comme « élite royale » à lInstitut royal de la culture amazighe, avec tous les privilèges matériels et symboliques que procure lappartenance à une telle « élite royale ».
– Le renouvellement de cette « élite royale » tous les quatre ans, incite une grande partie de militants amazighs à être « sages » en renonçant à toute revendication politique et on se contentant des revendications « culturalistes » autorisées par la nouvelle « politique berbère », et ce dans le but de ne pas « salir » le dossier du « militant » qui aspire à être recruté un jour comme membre de l »élite royale » amazighe.
– Une grande partie des associations amazighes agissent de la même façon et avec la même « prudence » : paraître « sage » et « modérée » dans le but détablir des « partenariats » juteux avec lIRCAM qui naccepte comme « partenaires », parmi les associations amazighes, que celles qui ont fait preuve de leur conformité à la nouvelle « politique berbère » que supervise lIRCAM.
– En outre, cet IRCAM joue le rôle de « courtier » qui marchande les militants et associations amazighs pour les rallier à la nouvelle « politique berbère » en les soudoyant sous couvert dargent alloué aux « activités » culturelles amazighes et à la « recherche » et en leur miroitant des postes de travail à lIRCAM et des « partenariats » très lucratifs.
Tout le danger de lIRCAM réside dans cette politique « incitative » qui encourage, usant de largent, les associations et militants amazighs à adhérer à la nouvelle « politique berbère ». Cest-à-dire « militer » pour tamazight comme le veut le pouvoir arabe et conformément à ses intérêts et non à ceux de tamazight. Cest pourquoi cet institut (IRCAM) représente la plus grande supercherie du vingt et unième siècle visant tamazight, après lautre grande supercherie du vingtième siècle qui est le mythe dit « Dahir berbère ». Malheureusement cette supercherie (Celle du 21ème siècle) naurait jamais réussi sans la bénédiction et la collaboration de certains « grands » militants amazighs.
Un re-décollage du combat amazigh exige donc, comme condition sine qua non, la rupture totale et définitive avec la nouvelle « politique berbère » qui a neutralisé le combat am
azigh en le dépolitisant. Il faut revenir à lessence politique du problème amazigh en posant la question de lidentité, non pas des individus ou des groupes ethniques, mais de lidentité de lEtat. Cest ce qua fait lassociation « Identité Amazighe » en publiant le document « Pour un État qui tire son identité de la terre amazighe au Maroc ».
Comment expliquez-vous cette facilité de la monarchie à corrompre ceux qui sont censés être lélite amazighe ?
Avec la même facilité par laquelle la Monarchie avait réussi à « corrompre » ses irréductibles adversaires des années 70 80, appartenant aux partis dopposition de cette époque, dont certains ont été même condamnés à mort, comme lex-premier ministre Abderrahman Youssoufi devenu, depuis sa nomination premier ministre par Hassan II, plus défenseur du Makhzen que le Makhzen lui-même. En effet, ce dernier a pu domestiquer et « makhzéniser » ses anciens ennemis qui remplissaient jadis les prisons, comme Benzekri, Herzni, Salah Elouadi, Serfati& etc. Les moyens de cette domestication facile, cest, bien sûr, largent que ces nouveaux serviteurs de la monarchie, quils combattaient hier, reçoivent à flots en les nommant dans des postes à des millions par mois. Cest là la capacité extraordinaire du makhzen à sadapter aux situations hostiles et en tirer profit.
En ce qui concerne l »élite amazighe », en plus de largent qui coule avec abondance à lIRCAM, et qui est employé pour corrompre cette élite, il faut reconnaître que la nature « culturaliste » des revendications amazighes depuis « la charte dAgadir », explique, en partie, cet apprivoisement facile de cette « élite » amazighe. Celle-ci revendiquait lenseignement de tamazight, son introduction dans les média& Cest ce qua fait la monarchie. Donc, pour cette « élite » amazighe, le pouvoir ne les a pas domestiqués, il a, au contraire, répondu à leurs revendications. Voilà le contenu pratique de la politique berbère. Cette politique est un autre moyen qui a fait preuve de son efficacité pour apprivoiser les « militants » amazighs.
Le document intitulé « Pour un Etat qui tire son identité de la terre amazighe au Maroc » semble très critique et propose une nouvelle stratégie de « survie ». Est ce que vous pouvez nous éclairer sur ce point ?
Avant de vous répondre, jaimerais faire une petite rectification concernant le mot « survie ». Le but du document nest pas la « survie » de tamazight. Pourquoi ? Parce que la « survie », selon le dictionnaire, cest le « fait de se maintenir en vie dans un environnement naturel mortifère ». Dans ce cas le « survivant » ne cherche quà rester en vie, même marginalisé, humilié, privé de ses droits et sans aucune dignité& La « survie » est donc une « vie moindre », une « vie » qui manque de vie. Cest cette situation de « survie », ou de « vie moindre », que vit lamazighité actuellement. Elle « survit » mais ne vit pas. Pour continuer à rester en vie, elle est humiliée, marginalisée, privée de ses droits et sa dignité. Cest une survie donc et non pas une vie. Cette situation de « survie » est créée et maintenue par la nouvelle politique berbère que mène lIRCAM dont le but est justement de faire en sorte que tamazight « survive » tout en lempêchant de « vivre » pleinement.
Le nouveau projet que propose notre document, cest donc redonner la vraie vie à tamazight en la sortant le létat de « survie » dans laquelle la maintient la nouvelle « politique berbère » du pouvoir arabiste au Maroc.
Comment faire passer tamazight de la « survie » à une vie vraie et pleine ? Tout simplement, en la faisant passer de la « politique berbère » à une vraie « politique amazighe ». Comment réussir ce passage de la « politique berbère » à la « politique amazighe » ? En revenant au contenu politique, et non culturel, de la question amazighe. En quoi consiste ce contenu politique de la question amazighe ? Il consiste en des revendications, non pas culturelles, mais politiques aspirant à lexercice du pouvoir par tamazight en tant quidentité de lEtat au Maroc.
La nouveauté du document est quil déplace, pour la première fois dans lhistoire du Mouvement amazigh, la question de lidentité du niveau des individus et des groupes ethniques, au niveau de lEtat et du pouvoir politique. Ce qui fait de cette revendication de « réamazigher » lEtat une revendication de référence, première et originelle quil suffit de satisfaire pour que toutes les autres revendications (comme lenseignement et la constitutionnalisation de tamazight par exemple) soient toutes réalisées automatiquement parce quelles sont incluses dans la grande revendication de référence, la première et loriginelle qui concerne lidentité de lEtat. Nous sommes partis du constat selon lequel lidentité, partout dans le monde, se définit essentiellement par le territoire et non pas par la race et lappartenance ethnique. Ainsi, lorsque je dis que je suis didentité amazighe, cela ne veut nullement dire que je porte des « gènes » amazighs, que personne dailleurs ne peut prouver. Cela veut dire simplement que jappartiens à la terre amazighe du Maroc. Mon identité est donc amazighe, suivant lidentité de la terre, où je vis comme y ont vécu mes aïeuls, même si mes origines raciales ne sont pas vraiment amazighes. Cette identité territoriale est représentée dans chaque pays par lidentité de lEtat de ce pays de qui tire cet Etat son identité. Ceci est valable pour tous les pays et les Etats du monde, sauf en cas de colonisation dun pays par une puissance étrangère, où ce pays est gouverné par un Etat dont lidentité est différente de lidentité du pays quil colonise.
Ici au Maroc, le pays est amazigh. Il na jamais été un territoire arabe. Mais le problème cest quil est gouverné par un Etat qui se réclame de lidentité arabe. Ce qui est une anomalie quil faut corriger en réinstaurant lidentité amazighe de lEtat conformément à lidentité du pays qui est amazighe. Cette identité amazighe de lEtat na jamais fait partie des revendications amazighes. On revendique toujours lenseignement de tamazight, sa constitutionnalisation, une télévision amazighe, son emploi dans ladministration et les tribunaux, etc.& A supposer que toutes ces revendications sont exaucées, pourtant cela ne change rien à lidentité arabe de lEtat au Maroc, ce qui signifie que lexclusion politique et non culturelle et linguistique de tamazight se poursuit.
En plus, ces revendications, parce quelles sont culturelles, linguistique et ethniques, font paraître Imazighen comme une minorité ethnique qui revendique la reconnaissance des ses droits culturels et linguistiques en tant que groupe ethnique ayant des droits spécifiques. Voilà ce qui met à laise le pouvoir arabiste au Maroc : si Imazighen sont une minorité, cest par rapport à une majorité « arabe » que cette minorité amazighe sollicite de reconnaître ses droits en tant que minorité ethnique. Donc, ce sont ces revendications culturelles, linguistiques et ethniques du Mouvement amazigh qui consolident lidentité arabe au Maroc en tant quidentité de la « majorité » et affaiblit du même coup, Imazighen en en faisant une petite minorité.
Voilà pourquoi le pouvoir arabiste ne trouve pas dinconvénient à répondre à ces revendications culturelles amazighes puisquelles ne constituent aucun danger sur le pouvoir politique qui reste exercée au nom de lidentité arabe. Ainsi est le contenu même de la nouvelle « politiques berbère » : Le pouvoir politique continue dêtre accaparé par les arabistes et exercé au nom de lappartenance arabe que représente lEtat arabe du Maroc tout en feignant de reconnaître à la « minorité » amazighe ses droits ethniques et culture
ls. Voilà où mène ce type de revendications que le Mouvement amazigh arbore depuis les années soixante-dix du siècle dernier.
Il faut donc revenir à la question de lidentité de lEtat qui doit être une identité amazighe. Voilà, en gros, le contenu du document. Le pouvoir politique doit redevenir amazigh, cest-à-dire être exercé au nom de lidentité amazighe qui est lidentité de la terre amazighe où sexerce ce pouvoir. Cela ne veut pas dire que les responsables politiques qui exercent le pouvoir doivent être racialement amazighs, non, cela veut dire simplement quils doivent exercer leur pouvoir au nom de lindenté amazighe représentée par lEtat amazigh.
Lorsque lEtat redevient amazigh, suivant la terre amazighe, lamazighité recouvre sa « vie » et abandonne la « survie » dans laquelle lont mises les revendications qui font delle lidentité dune « minorité » alors que la terre amazighe est toujours amazighe dans sa totalité.
Quest-ce qui distingue votre initiative de toutes les autres qua connu le mouvement amazigh (partis, CNC, Tada &)
La différence est de taille. Tous les autres projets et initiatives (Charte dAgadir, Le manifeste amazigh, Partis, CNC, Tada, Autonomies régionales&) nont jamais revendiqué la « réamazighation » de lEtat, de sorte quil redevienne un Etat amazigh, où le pouvoir est amazigh, cest-à-dire exercé au nom de lidentité amazighe en conformité avec lidentité de la terre amazighe du Maroc. Cette revendication identitaire portant sur lidentité de lEtat et du pouvoir politique, et non sur lidentité des individus et des groupes ethniques, est quelque chose de totalement nouveau dans lhistoire du MA qui na jamais demandé, dans ses communications et ses documents, à ce que lEtat marocain soit un Etat amazigh. Voilà ce qui distingue notre initiative de toutes les autres.
Que pensez-vous de linitiative du groupe de militants qui avaient rendu publique une déclaration dans laquelle ils font savoir quils vont donner naissance à une structure politique ?
Je ne pense que du bien. Ce nest pour le moment quun projet de rencontre pour débattre de la nature de cette structure. Nous, nous sommes déjà invités à participer à cette rencontre. Nous comptons défendre notre point de vue lié à la problématique de lidentité de lEtat qui doit être un Etat amazigh parce quil gouverne un pays amazigh. Nous espérons que cette structure politique, quelque en soit la forme, aura des objectifs orientés vers le combat pour la reconstruction dun Etat amazigh comme nous laffirmons dans notre document.
Revenons au Mouvement amazigh, nous constatons quaucune de ses revendications navait été satisfaite après plusieurs décennies de combat. Devrons-nous, désormais, faire du combat pour la souveraineté lun de nos buts stratégiques ?
Je ne partage pas lidée selon laquelle « aucune des revendications du MCA navait été satisfaite après plusieurs décennies du combat ». Le pouvoir arabiste a su, comme je lai expliqué auparavant, répondre à certaines revendications culturelles et linguistiques amazighes. Par exemple on ne peut pas nier la décision de lEtat dintroduire tamazight à la télévision, denseigner tamazight avec son alphabet tifinagh, même si cet enseignement connaît beaucoup de problèmes. Ces accomplissements au profit de tamazight les revendiquaient le MA depuis la charte dAgadir (1992) et ne se sont réalisées quà partir de la création de lIRCAM.
Donc la question est de savoir si des revendications amazighes ont été satisfaites ou non. La question cest dans quel sens le pouvoir a répondu à ces revendications. Dans le sens de la nouvelle « politique berbère » qui traite Imazighen comme une « minorité » revendiquant la reconnaissance de leurs doits spécifiques. Le paradoxe, cest que cette situation de minorité est entérinée par les revendications amazighes qui corroborent cette situation qui ne menace en aucun cas le pouvoir arabiste puisque ces revendications ne contestent pas ce pouvoir et naspirent pas à le remplacer par un pouvoir amazigh, cest-à-dire exercé au non de lidentité amazighe de la terre amazighe du Maroc. Quand le pouvoir sera exercé au nom de lamazighité, cela signifie effectivement que celle-ci a recouvré sa pleine souveraineté, ce qui veut dire la fin de la « politique berbère » dorigine étrangère comme le mot « berbère », et le début de la « politique amazighe » qui est une politique nationale exercée par imazighen eux-mêmes, comme le mot « amazigh » qui est dorigine proprement amazighe et interne, contrairement au vocable « berbère » venu de lextérieur.
Le recouvrement de la souveraineté amazighe est inséparable du recouvrement de lidentité amazighe de lEtat. Voilà sur quoi doivent porter les revendications amazighes pour sortir de la « politique berbère » dorigine étrangère.
Quel accueil le Mouvement amazigh a réservé à votre document ?
Un accueil mitigé sans grand enthousiasme chez les associations amazighes. Cette attitude sexplique par plusieurs raisons :
– Premièrement, le document est encore nouveau. Or les idées nouvelles requièrent plus de temps pour quelles se répandent et soient comprises et assimilées.
– Certains militants et associations amazighs se cramponnent de façon tellement forte à leurs positions vis-à-vis de lamazighité quils ne peuvent y renoncer, les dépasser, les faire évoluer ou les remplacer par dautres positions plus novatrices et plus utiles à lamazighité. Parce quils considèrent ces positions comme leur « capital » personnel quils doivent protéger, préserver et « fructifier » en organisant des colloques et des activités autour de ce « capital », dont certains exemples sont : « la charte dAgadir », « le manifeste amazigh », « les peuples autochtones », « lautonomie des régions amazighes », « la laïcité », « le parti amazigh »& Ces questions qui portent sur des sujets partiels, sectoriels et secondaires constituent une vraie entrave à la position de la question générale, globale et fondamentale de lexclusion politique de lamazighité, qui est la question de lidentité de lEtat au Maroc. En effet, le recouvrement de lidentité amazighe de lEtat au Maroc entraîne et implique une solution immédiate à toutes ces petites questions « sectorielles » et partielles.
– Beaucoup de militants et associations amazighs surtout, ne veulent pas « salir leur dossier » vis-à-vis du temple IRCAM en adoptant une nouvelle conception de lidentité qui est lopposé direct de la nouvelle « politique berbère » que dirige lIRCAM.
Ce qui explique que les militants indépendants ont accueilli favorablement le document duquel ils sinspirent et auquel ils se réfèrent dans leurs écrits publiés dans des journaux ou sur Internet. Dans ces écrits, un nouveau débat sur lidentité commence à sinstaller où lélément « terre » est central dans ce débat et où le politique, lié à lEtat et lexercice du pouvoir ; prend la place du culturel et du linguistique.
Nous sommes optimistes et confiants dans lavenir. Parce que nous croyons que le mensonge ne peut pas continuer à tromper toujours les gens, sinon il ny aurait jamais de science et de vérités. À un mom
ent ou un autre, la vérité finit toujours par éclater au grand jour. Il viendra donc un jour où le Mouvement amazigh fera de la « réamazighation » de lEtat sa principale revendication parce quil aura pris conscience que cest par la satisfaction de celle-ci que toutes les autres revendications seront automatiquement satisfaites.
Propos recueillis par :
Lhoussain Azergui. Sur Tamazgha
LIRCAM, représentant la nouvelle « politique berbère » du pouvoir, a réussi donc lapprivoisement et la « culturalisation » la de la cause amazighe, cest-à-dire sa dépolitisation, en agissant selon les éléments suivant :
– « Décapiter » les « têtes » du Mouvement amazigh en les nommant comme « élite royale » à lInstitut royal de la culture amazighe, avec tous les privilèges matériels et symboliques que procure lappartenance à une telle « élite royale ».
– Le renouvellement de cette « élite royale » tous les quatre ans, incite une grande partie de militants amazighs à être « sages » en renonçant à toute revendication politique et on se contentant des revendications « culturalistes » autorisées par la nouvelle « politique berbère », et ce dans le but de ne pas « salir » le dossier du « militant » qui aspire à être recruté un jour comme membre de l »élite royale » amazighe.
– Une grande partie des associations amazighes agissent de la même façon et avec la même « prudence » : paraître « sage » et « modérée » dans le but détablir des « partenariats » juteux avec lIRCAM qui naccepte comme « partenaires », parmi les associations amazighes, que celles qui ont fait preuve de leur conformité à la nouvelle « politique berbère » que supervise lIRCAM.
– En outre, cet IRCAM joue le rôle de « courtier » qui marchande les militants et associations amazighs pour les rallier à la nouvelle « politique berbère » en les soudoyant sous couvert dargent alloué aux « activités » culturelles amazighes et à la « recherche » et en leur miroitant des postes de travail à lIRCAM et des « partenariats » très lucratifs.
Tout le danger de lIRCAM réside dans cette politique « incitative » qui encourage, usant de largent, les associations et militants amazighs à adhérer à la nouvelle « politique berbère ». Cest-à-dire « militer » pour tamazight comme le veut le pouvoir arabe et conformément à ses intérêts et non à ceux de tamazight. Cest pourquoi cet institut (IRCAM) représente la plus grande supercherie du vingt et unième siècle visant tamazight, après lautre grande supercherie du vingtième siècle qui est le mythe dit « Dahir berbère ». Malheureusement cette supercherie (Celle du 21ème siècle) naurait jamais réussi sans la bénédiction et la collaboration de certains « grands » militants amazighs.
Un re-décollage du combat amazigh exige donc, comme condition sine qua non, la rupture totale et définitive avec la nouvelle « politique berbère » qui a neutralisé le combat am
azigh en le dépolitisant. Il faut revenir à lessence politique du problème amazigh en posant la question de lidentité, non pas des individus ou des groupes ethniques, mais de lidentité de lEtat. Cest ce qua fait lassociation « Identité Amazighe » en publiant le document « Pour un État qui tire son identité de la terre amazighe au Maroc ».
Comment expliquez-vous cette facilité de la monarchie à corrompre ceux qui sont censés être lélite amazighe ?
Avec la même facilité par laquelle la Monarchie avait réussi à « corrompre » ses irréductibles adversaires des années 70 80, appartenant aux partis dopposition de cette époque, dont certains ont été même condamnés à mort, comme lex-premier ministre Abderrahman Youssoufi devenu, depuis sa nomination premier ministre par Hassan II, plus défenseur du Makhzen que le Makhzen lui-même. En effet, ce dernier a pu domestiquer et « makhzéniser » ses anciens ennemis qui remplissaient jadis les prisons, comme Benzekri, Herzni, Salah Elouadi, Serfati& etc. Les moyens de cette domestication facile, cest, bien sûr, largent que ces nouveaux serviteurs de la monarchie, quils combattaient hier, reçoivent à flots en les nommant dans des postes à des millions par mois. Cest là la capacité extraordinaire du makhzen à sadapter aux situations hostiles et en tirer profit.
En ce qui concerne l »élite amazighe », en plus de largent qui coule avec abondance à lIRCAM, et qui est employé pour corrompre cette élite, il faut reconnaître que la nature « culturaliste » des revendications amazighes depuis « la charte dAgadir », explique, en partie, cet apprivoisement facile de cette « élite » amazighe. Celle-ci revendiquait lenseignement de tamazight, son introduction dans les média& Cest ce qua fait la monarchie. Donc, pour cette « élite » amazighe, le pouvoir ne les a pas domestiqués, il a, au contraire, répondu à leurs revendications. Voilà le contenu pratique de la politique berbère. Cette politique est un autre moyen qui a fait preuve de son efficacité pour apprivoiser les « militants » amazighs.
Le document intitulé « Pour un Etat qui tire son identité de la terre amazighe au Maroc » semble très critique et propose une nouvelle stratégie de « survie ». Est ce que vous pouvez nous éclairer sur ce point ?
Avant de vous répondre, jaimerais faire une petite rectification concernant le mot « survie ». Le but du document nest pas la « survie » de tamazight. Pourquoi ? Parce que la « survie », selon le dictionnaire, cest le « fait de se maintenir en vie dans un environnement naturel mortifère ». Dans ce cas le « survivant » ne cherche quà rester en vie, même marginalisé, humilié, privé de ses droits et sans aucune dignité& La « survie » est donc une « vie moindre », une « vie » qui manque de vie. Cest cette situation de « survie », ou de « vie moindre », que vit lamazighité actuellement. Elle « survit » mais ne vit pas. Pour continuer à rester en vie, elle est humiliée, marginalisée, privée de ses droits et sa dignité. Cest une survie donc et non pas une vie. Cette situation de « survie » est créée et maintenue par la nouvelle politique berbère que mène lIRCAM dont le but est justement de faire en sorte que tamazight « survive » tout en lempêchant de « vivre » pleinement.
Le nouveau projet que propose notre document, cest donc redonner la vraie vie à tamazight en la sortant le létat de « survie » dans laquelle la maintient la nouvelle « politique berbère » du pouvoir arabiste au Maroc.
Comment faire passer tamazight de la « survie » à une vie vraie et pleine ? Tout simplement, en la faisant passer de la « politique berbère » à une vraie « politique amazighe ». Comment réussir ce passage de la « politique berbère » à la « politique amazighe » ? En revenant au contenu politique, et non culturel, de la question amazighe. En quoi consiste ce contenu politique de la question amazighe ? Il consiste en des revendications, non pas culturelles, mais politiques aspirant à lexercice du pouvoir par tamazight en tant quidentité de lEtat au Maroc.
La nouveauté du document est quil déplace, pour la première fois dans lhistoire du Mouvement amazigh, la question de lidentité du niveau des individus et des groupes ethniques, au niveau de lEtat et du pouvoir politique. Ce qui fait de cette revendication de « réamazigher » lEtat une revendication de référence, première et originelle quil suffit de satisfaire pour que toutes les autres revendications (comme lenseignement et la constitutionnalisation de tamazight par exemple) soient toutes réalisées automatiquement parce quelles sont incluses dans la grande revendication de référence, la première et loriginelle qui concerne lidentité de lEtat. Nous sommes partis du constat selon lequel lidentité, partout dans le monde, se définit essentiellement par le territoire et non pas par la race et lappartenance ethnique. Ainsi, lorsque je dis que je suis didentité amazighe, cela ne veut nullement dire que je porte des « gènes » amazighs, que personne dailleurs ne peut prouver. Cela veut dire simplement que jappartiens à la terre amazighe du Maroc. Mon identité est donc amazighe, suivant lidentité de la terre, où je vis comme y ont vécu mes aïeuls, même si mes origines raciales ne sont pas vraiment amazighes. Cette identité territoriale est représentée dans chaque pays par lidentité de lEtat de ce pays de qui tire cet Etat son identité. Ceci est valable pour tous les pays et les Etats du monde, sauf en cas de colonisation dun pays par une puissance étrangère, où ce pays est gouverné par un Etat dont lidentité est différente de lidentité du pays quil colonise.
Ici au Maroc, le pays est amazigh. Il na jamais été un territoire arabe. Mais le problème cest quil est gouverné par un Etat qui se réclame de lidentité arabe. Ce qui est une anomalie quil faut corriger en réinstaurant lidentité amazighe de lEtat conformément à lidentité du pays qui est amazighe. Cette identité amazighe de lEtat na jamais fait partie des revendications amazighes. On revendique toujours lenseignement de tamazight, sa constitutionnalisation, une télévision amazighe, son emploi dans ladministration et les tribunaux, etc.& A supposer que toutes ces revendications sont exaucées, pourtant cela ne change rien à lidentité arabe de lEtat au Maroc, ce qui signifie que lexclusion politique et non culturelle et linguistique de tamazight se poursuit.
En plus, ces revendications, parce quelles sont culturelles, linguistique et ethniques, font paraître Imazighen comme une minorité ethnique qui revendique la reconnaissance des ses droits culturels et linguistiques en tant que groupe ethnique ayant des droits spécifiques. Voilà ce qui met à laise le pouvoir arabiste au Maroc : si Imazighen sont une minorité, cest par rapport à une majorité « arabe » que cette minorité amazighe sollicite de reconnaître ses droits en tant que minorité ethnique. Donc, ce sont ces revendications culturelles, linguistiques et ethniques du Mouvement amazigh qui consolident lidentité arabe au Maroc en tant quidentité de la « majorité » et affaiblit du même coup, Imazighen en en faisant une petite minorité.
Voilà pourquoi le pouvoir arabiste ne trouve pas dinconvénient à répondre à ces revendications culturelles amazighes puisquelles ne constituent aucun danger sur le pouvoir politique qui reste exercée au nom de lidentité arabe. Ainsi est le contenu même de la nouvelle « politiques berbère » : Le pouvoir politique continue dêtre accaparé par les arabistes et exercé au nom de lappartenance arabe que représente lEtat arabe du Maroc tout en feignant de reconnaître à la « minorité » amazighe ses droits ethniques et culture
ls. Voilà où mène ce type de revendications que le Mouvement amazigh arbore depuis les années soixante-dix du siècle dernier.
Il faut donc revenir à la question de lidentité de lEtat qui doit être une identité amazighe. Voilà, en gros, le contenu du document. Le pouvoir politique doit redevenir amazigh, cest-à-dire être exercé au nom de lidentité amazighe qui est lidentité de la terre amazighe où sexerce ce pouvoir. Cela ne veut pas dire que les responsables politiques qui exercent le pouvoir doivent être racialement amazighs, non, cela veut dire simplement quils doivent exercer leur pouvoir au nom de lindenté amazighe représentée par lEtat amazigh.
Lorsque lEtat redevient amazigh, suivant la terre amazighe, lamazighité recouvre sa « vie » et abandonne la « survie » dans laquelle lont mises les revendications qui font delle lidentité dune « minorité » alors que la terre amazighe est toujours amazighe dans sa totalité.
Quest-ce qui distingue votre initiative de toutes les autres qua connu le mouvement amazigh (partis, CNC, Tada &)
La différence est de taille. Tous les autres projets et initiatives (Charte dAgadir, Le manifeste amazigh, Partis, CNC, Tada, Autonomies régionales&) nont jamais revendiqué la « réamazighation » de lEtat, de sorte quil redevienne un Etat amazigh, où le pouvoir est amazigh, cest-à-dire exercé au nom de lidentité amazighe en conformité avec lidentité de la terre amazighe du Maroc. Cette revendication identitaire portant sur lidentité de lEtat et du pouvoir politique, et non sur lidentité des individus et des groupes ethniques, est quelque chose de totalement nouveau dans lhistoire du MA qui na jamais demandé, dans ses communications et ses documents, à ce que lEtat marocain soit un Etat amazigh. Voilà ce qui distingue notre initiative de toutes les autres.
Que pensez-vous de linitiative du groupe de militants qui avaient rendu publique une déclaration dans laquelle ils font savoir quils vont donner naissance à une structure politique ?
Je ne pense que du bien. Ce nest pour le moment quun projet de rencontre pour débattre de la nature de cette structure. Nous, nous sommes déjà invités à participer à cette rencontre. Nous comptons défendre notre point de vue lié à la problématique de lidentité de lEtat qui doit être un Etat amazigh parce quil gouverne un pays amazigh. Nous espérons que cette structure politique, quelque en soit la forme, aura des objectifs orientés vers le combat pour la reconstruction dun Etat amazigh comme nous laffirmons dans notre document.
Revenons au Mouvement amazigh, nous constatons quaucune de ses revendications navait été satisfaite après plusieurs décennies de combat. Devrons-nous, désormais, faire du combat pour la souveraineté lun de nos buts stratégiques ?
Je ne partage pas lidée selon laquelle « aucune des revendications du MCA navait été satisfaite après plusieurs décennies du combat ». Le pouvoir arabiste a su, comme je lai expliqué auparavant, répondre à certaines revendications culturelles et linguistiques amazighes. Par exemple on ne peut pas nier la décision de lEtat dintroduire tamazight à la télévision, denseigner tamazight avec son alphabet tifinagh, même si cet enseignement connaît beaucoup de problèmes. Ces accomplissements au profit de tamazight les revendiquaient le MA depuis la charte dAgadir (1992) et ne se sont réalisées quà partir de la création de lIRCAM.
Donc la question est de savoir si des revendications amazighes ont été satisfaites ou non. La question cest dans quel sens le pouvoir a répondu à ces revendications. Dans le sens de la nouvelle « politique berbère » qui traite Imazighen comme une « minorité » revendiquant la reconnaissance de leurs doits spécifiques. Le paradoxe, cest que cette situation de minorité est entérinée par les revendications amazighes qui corroborent cette situation qui ne menace en aucun cas le pouvoir arabiste puisque ces revendications ne contestent pas ce pouvoir et naspirent pas à le remplacer par un pouvoir amazigh, cest-à-dire exercé au non de lidentité amazighe de la terre amazighe du Maroc. Quand le pouvoir sera exercé au nom de lamazighité, cela signifie effectivement que celle-ci a recouvré sa pleine souveraineté, ce qui veut dire la fin de la « politique berbère » dorigine étrangère comme le mot « berbère », et le début de la « politique amazighe » qui est une politique nationale exercée par imazighen eux-mêmes, comme le mot « amazigh » qui est dorigine proprement amazighe et interne, contrairement au vocable « berbère » venu de lextérieur.
Le recouvrement de la souveraineté amazighe est inséparable du recouvrement de lidentité amazighe de lEtat. Voilà sur quoi doivent porter les revendications amazighes pour sortir de la « politique berbère » dorigine étrangère.
Quel accueil le Mouvement amazigh a réservé à votre document ?
Un accueil mitigé sans grand enthousiasme chez les associations amazighes. Cette attitude sexplique par plusieurs raisons :
– Premièrement, le document est encore nouveau. Or les idées nouvelles requièrent plus de temps pour quelles se répandent et soient comprises et assimilées.
– Certains militants et associations amazighs se cramponnent de façon tellement forte à leurs positions vis-à-vis de lamazighité quils ne peuvent y renoncer, les dépasser, les faire évoluer ou les remplacer par dautres positions plus novatrices et plus utiles à lamazighité. Parce quils considèrent ces positions comme leur « capital » personnel quils doivent protéger, préserver et « fructifier » en organisant des colloques et des activités autour de ce « capital », dont certains exemples sont : « la charte dAgadir », « le manifeste amazigh », « les peuples autochtones », « lautonomie des régions amazighes », « la laïcité », « le parti amazigh »& Ces questions qui portent sur des sujets partiels, sectoriels et secondaires constituent une vraie entrave à la position de la question générale, globale et fondamentale de lexclusion politique de lamazighité, qui est la question de lidentité de lEtat au Maroc. En effet, le recouvrement de lidentité amazighe de lEtat au Maroc entraîne et implique une solution immédiate à toutes ces petites questions « sectorielles » et partielles.
– Beaucoup de militants et associations amazighs surtout, ne veulent pas « salir leur dossier » vis-à-vis du temple IRCAM en adoptant une nouvelle conception de lidentité qui est lopposé direct de la nouvelle « politique berbère » que dirige lIRCAM.
Ce qui explique que les militants indépendants ont accueilli favorablement le document duquel ils sinspirent et auquel ils se réfèrent dans leurs écrits publiés dans des journaux ou sur Internet. Dans ces écrits, un nouveau débat sur lidentité commence à sinstaller où lélément « terre » est central dans ce débat et où le politique, lié à lEtat et lexercice du pouvoir ; prend la place du culturel et du linguistique.
Nous sommes optimistes et confiants dans lavenir. Parce que nous croyons que le mensonge ne peut pas continuer à tromper toujours les gens, sinon il ny aurait jamais de science et de vérités. À un mom
ent ou un autre, la vérité finit toujours par éclater au grand jour. Il viendra donc un jour où le Mouvement amazigh fera de la « réamazighation » de lEtat sa principale revendication parce quil aura pris conscience que cest par la satisfaction de celle-ci que toutes les autres revendications seront automatiquement satisfaites.
Propos recueillis par :
Lhoussain Azergui. Sur Tamazgha
Soyez le premier à commenter