L’arrivée des narcotrafiquants en politique est peut-être bien l’événement marquant de la rentrée. Tour d’horizon.
Le parlement, et les conseils élus en général, sont accusés d’abriter de nombreux trafiquants de drogue. Rien que cela. Même la télévision publique, 2M en l’occurrence, a relayé le “message” puisque, début octobre, le dirigeant USFP Abdelhadi Khaïrate, ancien député, n’a pas hésité à affirmer que “le tiers ou au moins le quart des élus sont des trafiquants de drogue”. Le plus surprenant, c’est que, devant la gravité d’une telle accusation, les premiers concernés, c’est-à-dire les élus, préfèrent observer le silence.
La loi du silence
En théorie, pratiquement tous les partis ont dénoncé à un moment ou à un autre l’arrivée massive des trafiquants de drogue, par la voie des urnes, dans l’hémicycle. Mais rares sont ceux qui ont annoncé des mesures (d’expulsion, par exemple) contre cette catégorie d’élus à la recherche d’une protection : l’immunité parlementaire. “On peut dater l’arrivée des narcotrafiquants en politique dès les années 1970. Ils ont depuis essaimé dans toutes les instances élues et notamment dans les villes du Nord”, explique Rachid Filali Meknassi, secrétaire général de Transparency Maroc. Tous les partis sont-ils concernés ? “En pratique, oui. Surtout dans le nord du pays. Les partis le savent, les citoyens aussi”, précise notre source. Un des rares partis à avoir réagi, et plutôt violemment, reste le RNI. Mais les bleus n’avaient guère le choix. L’agence officielle MAP ayant épinglé un député impliqué dans une affaire de drogue à Meknès, les indépendants se sont empressés d’émettre un communiqué pour rappeler que ledit député-trafiquant n’appartenait plus au RNI depuis de longues années. Rien d’autre.
Intéressons-nous à présent au cas du PAM. Mi-septembre, le parti du tracteur déclare, via la commission des élections (que préside Fouad Ali El Himma), que certains parmi ses candidats avaient utilisé l’argent de la drogue pour financer leur dernière campagne électorale. Et que des mesures seront prises à leur encontre. Depuis, concrètement, aucune mesure n’a été prise. Silence total. “Rien n’a encore été décidé et la commission des élections planche toujours sur la question”, se défend mollement un responsable du PAM. Ainsi donc, au PAM comme ailleurs, c’est motus et bouche cousue. Pourquoi ? “Les partis sont pris à leur propre piège. A la base, ils sont indirectement responsables du phénomène puisqu’ils recherchent le candidat idéal, généralement populaire ou simplement riche, pour remporter la bataille des élections, et ferment les yeux sur tout le reste, analyse le politologue Mohamed Darif. Cela a accéléré l’arrivée des narcotrafiquants en politique”. Pour notre interlocuteur, les partis et leurs représentants sont dans un rapport “win-win” : “Le parti gagne des sièges et, en contrepartie, les trafiquants gagnent une immunité parlementaire pour 5 ans et donc la possibilité de défendre leurs intérêts sans être inquiétés”.
Le dilemme de l’Etat
Et l’Etat dans tout ça ? Eh bien, il semble laisser faire, laisser passer. Il y a bien eu des tentatives d’empêcher les narcotrafiquants de devenir des “élus de la nation”. Mais sans résultats probants. “En 2003, lors des élections communales, il y avait une liste noire de personnes interdites de se présenter aux élections. Les noms qui y figuraient étaient connus de tous”, se rappelle un militant associatif dans le Nord. Une liste noire ? “Faux, rétorque un haut responsable du ministère de l’Intérieur, il n’y a jamais eu de liste de citoyens interdits de candidature”. Soit… En fait, le ministère de l’Intérieur, comme l’explique notre interlocuteur, a préféré changer son fusil d’épaule depuis les élections législatives de 2007. “Chakib Benmoussa a invité les chefs de parti à demander, auprès de son département, tous les renseignements nécessaires concernant leurs candidats, avec l’idée de bloquer les candidatures suspicieuses en amont”. Cela n’a visiblement pas servi à grand-chose.
Vu de l’extérieur, l’Etat semble de plus en plus “tester” un autre moyen, non officiel, pour réduire, à défaut d’éliminer, le phénomène des narcotrafiquants en politique : fermer plus ou moins les yeux quand le trafiquant est simple élu communal, réagir quand l’importun se porte candidat à la mairie ou à la présidence de région. Quoi de mieux pour illustrer cette nouvelle “approche” que de rapporter cette anecdote, qui circule depuis plusieurs semaines dans le nord du pays : un narcotrafiquant a pu se présenter librement aux élections communales, et gagner confortablement son siège, avant de se faire convoquer par le Parquet quand il a décidé de postuler pour le poste de président de région. Les convocations avaient valeur de rappel à l’ordre et notre candidat a fini par renoncer à la présidence de la région, pour éviter de se retrouver de nouveau devant le procureur. Ces méthodes dissuasives, plus ou moins secrètes, à la limite de la légalité, finiront-elles par porter leurs fruits ?
En attendant une commission d’enquête
Revenons à présent à l’affaire Abdelhadi Khaïrate. On pouvait croire que la sortie tonitruante du député socialiste allait faire des vagues dans les travées du parlement, avec ses 595 élus. Que des têtes allaient tomber. Que des mesures concrètes seraient prises. Il n’en a rien été. “Le parlement aurait dû demander la mise en place d’une commission d’enquête ou, à défaut, convoquer Abdelhadi Khaïrate pour complément d’informations. On n’a rien vu de tout cela, ce qui est étonnant”, confirme le chercheur Mohamed Darif.
La balle est dans le camp du parlement. Mais aussi du gouvernement. Justement, le gouvernement, que pense-t-il de tout cela ? Nous avons interrogé à ce sujet Mohamed Saâd Alami, ministre istiqlalien chargé des Relations avec le parlement. Sa réponse : “Si Abdelhadi Khaïrate dispose de données exactes, il n’a alors qu’à les transmettre au ministre de la Justice, Abdelouahed Radi, qui est en même temps le chef de son parti”. Une manière de clore le débat. Momentanément, du moins.
La loi du silence
En théorie, pratiquement tous les partis ont dénoncé à un moment ou à un autre l’arrivée massive des trafiquants de drogue, par la voie des urnes, dans l’hémicycle. Mais rares sont ceux qui ont annoncé des mesures (d’expulsion, par exemple) contre cette catégorie d’élus à la recherche d’une protection : l’immunité parlementaire. “On peut dater l’arrivée des narcotrafiquants en politique dès les années 1970. Ils ont depuis essaimé dans toutes les instances élues et notamment dans les villes du Nord”, explique Rachid Filali Meknassi, secrétaire général de Transparency Maroc. Tous les partis sont-ils concernés ? “En pratique, oui. Surtout dans le nord du pays. Les partis le savent, les citoyens aussi”, précise notre source. Un des rares partis à avoir réagi, et plutôt violemment, reste le RNI. Mais les bleus n’avaient guère le choix. L’agence officielle MAP ayant épinglé un député impliqué dans une affaire de drogue à Meknès, les indépendants se sont empressés d’émettre un communiqué pour rappeler que ledit député-trafiquant n’appartenait plus au RNI depuis de longues années. Rien d’autre.
Intéressons-nous à présent au cas du PAM. Mi-septembre, le parti du tracteur déclare, via la commission des élections (que préside Fouad Ali El Himma), que certains parmi ses candidats avaient utilisé l’argent de la drogue pour financer leur dernière campagne électorale. Et que des mesures seront prises à leur encontre. Depuis, concrètement, aucune mesure n’a été prise. Silence total. “Rien n’a encore été décidé et la commission des élections planche toujours sur la question”, se défend mollement un responsable du PAM. Ainsi donc, au PAM comme ailleurs, c’est motus et bouche cousue. Pourquoi ? “Les partis sont pris à leur propre piège. A la base, ils sont indirectement responsables du phénomène puisqu’ils recherchent le candidat idéal, généralement populaire ou simplement riche, pour remporter la bataille des élections, et ferment les yeux sur tout le reste, analyse le politologue Mohamed Darif. Cela a accéléré l’arrivée des narcotrafiquants en politique”. Pour notre interlocuteur, les partis et leurs représentants sont dans un rapport “win-win” : “Le parti gagne des sièges et, en contrepartie, les trafiquants gagnent une immunité parlementaire pour 5 ans et donc la possibilité de défendre leurs intérêts sans être inquiétés”.
Le dilemme de l’Etat
Et l’Etat dans tout ça ? Eh bien, il semble laisser faire, laisser passer. Il y a bien eu des tentatives d’empêcher les narcotrafiquants de devenir des “élus de la nation”. Mais sans résultats probants. “En 2003, lors des élections communales, il y avait une liste noire de personnes interdites de se présenter aux élections. Les noms qui y figuraient étaient connus de tous”, se rappelle un militant associatif dans le Nord. Une liste noire ? “Faux, rétorque un haut responsable du ministère de l’Intérieur, il n’y a jamais eu de liste de citoyens interdits de candidature”. Soit… En fait, le ministère de l’Intérieur, comme l’explique notre interlocuteur, a préféré changer son fusil d’épaule depuis les élections législatives de 2007. “Chakib Benmoussa a invité les chefs de parti à demander, auprès de son département, tous les renseignements nécessaires concernant leurs candidats, avec l’idée de bloquer les candidatures suspicieuses en amont”. Cela n’a visiblement pas servi à grand-chose.
Vu de l’extérieur, l’Etat semble de plus en plus “tester” un autre moyen, non officiel, pour réduire, à défaut d’éliminer, le phénomène des narcotrafiquants en politique : fermer plus ou moins les yeux quand le trafiquant est simple élu communal, réagir quand l’importun se porte candidat à la mairie ou à la présidence de région. Quoi de mieux pour illustrer cette nouvelle “approche” que de rapporter cette anecdote, qui circule depuis plusieurs semaines dans le nord du pays : un narcotrafiquant a pu se présenter librement aux élections communales, et gagner confortablement son siège, avant de se faire convoquer par le Parquet quand il a décidé de postuler pour le poste de président de région. Les convocations avaient valeur de rappel à l’ordre et notre candidat a fini par renoncer à la présidence de la région, pour éviter de se retrouver de nouveau devant le procureur. Ces méthodes dissuasives, plus ou moins secrètes, à la limite de la légalité, finiront-elles par porter leurs fruits ?
En attendant une commission d’enquête
Revenons à présent à l’affaire Abdelhadi Khaïrate. On pouvait croire que la sortie tonitruante du député socialiste allait faire des vagues dans les travées du parlement, avec ses 595 élus. Que des têtes allaient tomber. Que des mesures concrètes seraient prises. Il n’en a rien été. “Le parlement aurait dû demander la mise en place d’une commission d’enquête ou, à défaut, convoquer Abdelhadi Khaïrate pour complément d’informations. On n’a rien vu de tout cela, ce qui est étonnant”, confirme le chercheur Mohamed Darif.
La balle est dans le camp du parlement. Mais aussi du gouvernement. Justement, le gouvernement, que pense-t-il de tout cela ? Nous avons interrogé à ce sujet Mohamed Saâd Alami, ministre istiqlalien chargé des Relations avec le parlement. Sa réponse : “Si Abdelhadi Khaïrate dispose de données exactes, il n’a alors qu’à les transmettre au ministre de la Justice, Abdelouahed Radi, qui est en même temps le chef de son parti”. Une manière de clore le débat. Momentanément, du moins.
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